THÉORIES DE LA VIOLENCE, POLITIQUES DE LA MÉMOIRE ET SUJETS DE LA DÉMOCRATIE Ge

THÉORIES DE LA VIOLENCE, POLITIQUES DE LA MÉMOIRE ET SUJETS DE LA DÉMOCRATIE Georges Navet, Patrice Vermeren L’Esprit du temps | « Topique » 2003/2 N°83 | pages 43 à 53 ISSN 0040-9375 DOI 10.3917/top.083.0043 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-topique-2003-2-page-43.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps. © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il ne s’agirait, dès lors, que de reproduire, face à la répétition du même phénomène, les “solutions” et les modèles déjà répertoriés par la philosophie et la théorie politique. Le paradoxe saute immédiatement aux yeux. Si la violence est toujours présente, voire recrudescente, c’est 1/ ou bien que les “solutions” proposées ont échoué, – qu’elles s’avèrent à tout le moins avoir été insuffisantes ; 2/ ou bien que des formes nouvelles de violence sont apparues, qui vouent les dites solutions à la désuétude. Il n’est évidemment pas exclu que les deux hypothèses puissent au moins partiellement être vraies l’une et l’autre, et se compléter. On n’en déduira pas qu’il faut recommencer la réflexion en faisant table rase du passé. Le problème de la violence a toujours constitué un des défis centraux de la philosophie et de la théorie politique, et il serait à la fois vain et présomp- tueux de prétendre ignorer les réponses qui lui ont été données. D’un autre côté, essayer de repérer ce que les formes de violence contemporaines peuvent comporter de nouveau ne saurait s’effectuer sans garder en mémoire, ne serait- ce qu’implicitement, ce qu’ont été ses formes plus anciennes. Comme ce sont précisément les formes inédites de violence (même s’il arrive qu’elles soient désignées par le même vocable que les anciennes, ou qu’elles n’en soient que le paroxysme) qui amènent à ré-interroger les modèles théoriques, un regard nouveau s’ouvre sur ces derniers, et les reproblématise. Théories de la violence, politiques de la mémoire et sujets de la démocratie Georges Navet et Patrice Vermeren Topique, 2003, 83, 43-53. © L?Esprit du temps | Téléchargé le 21/01/2022 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 195.98.225.201) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 21/01/2022 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 195.98.225.201) 44 TOPIQUE On peut espérer qu’en retour, la reproblématisation éclaire mieux et davantage ce qu’il en est de la violence contemporaine – ce qui fait violence (ou violences) à notre époque. Il faudrait alors procéder selon deux axes de questionnement : 1 - réinterroger les modèles théoriques qui s’efforcent à la fois d’expliquer et de résorber la violence ; 2 - analyser les formes nouvelles que prend cette violence aujourd’hui. On n’oubliera pas que les deux axes renvoient perpétuellement l’un à l’autre et s’entr’appellent. Sans le perpétuel retour en amont du côté des fondements philosophiques, l’analyse s’exposerait au risque de se perdre dans l’empiricité; inversement, sans la pierre de touche des analyses, la théorie s’exposerait au risque de verser dans l’abstraction pure. 1/ nous distinguerons, de manière très schématique, parce que programma- tique, trois grands modèles théoriques (ou théorico-pratiques) : Le modèle juri- dico-étatique ; le modèle révolutionnaire ; le modèle néo-libéral. a) le modèle juridico-étatique rassemble des auteurs qui peuvent être par ailleurs aussi différents que Kant et Max Weber, Hobbes et Habermas. Il consiste à coupler un primat du droit (le plus souvent sous la forme de la loi) et une instance chargée de le faire respecter, l’état. Le couplage est au mieux exprimé par Habermas lorsqu’il écrit : “L’idée d’état de droit requiert un type d’orga- nisation de la force publique qui oblige le pouvoir politique constitué sous forme juridique à se légitimer à son tour en fonction du droit légitimement édicté” (Droit et démocratie, Gallimard 1997, p. 188). Le cercle se veut rationnel, comme est supposé l’être le droit lui-même. C’est ainsi la raison qui s’oppose à la violence, et l’on perçoit bien en quoi l’idée habermasienne d’une régulation par la raison communicationnelle tendrait à éliminer toute violence. Il reste la définition que donne Weber de l’état comme instance détenant “le monopole de la violence légitime (ou supposée légitime)”, définition d’inspi- ration hobbesienne, mais qu’un Kant aurait tout aussi bien pu accepter. La violence n’est jugulée qu’au prix d’une autre violence, en quelque sorte préventive, qui suppose que la violence des hommes demeure au moins latente, toujours menaçante, toujours à juguler de nouveau. La distinction qu’effectue Kant entre le droit (qui a pour support l’arbitre, et qui ne demande qu’une conformité extérieure aux normes) et la morale (qui a pour supports la volonté et la raison, et qui demande l’adhésion intérieure) le montre au mieux. L’état, dès lors, devient le moyen qu’a trouvé la raison pour, sinon s’imposer, du moins se maintenir. Mais un moyen paradoxal, puisqu’il consiste à importer dans le système rationnel ce qui au point de départ était donné pour son contraire, la violence. Il est ainsi permis de penser que Hobbes, qui laisse au prince (ou à l’assemblée gouvernante) sa violence naturelle, n’est pas plus inconséquent que ceux qui prétendent rationaliser l’état de part en part. Même Hobbes, toutefois, a besoin de présupposer des individus rationnels © L?Esprit du temps | Téléchargé le 21/01/2022 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 195.98.225.201) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 21/01/2022 sur www.cairn.info via Campus Condorcet (IP: 195.98.225.201) GEORGES NAVET ET PATRICE VERMEREN – THÉORIES DE LA VIOLENCE, POLITIQUES DE LA MÉMOIRE ET SUJETS DE LA DÉMOCRATIE 45 pour engendrer l’état (il faut que chacun découvre in petto que la paix serait plus avantageuse que la guerre généralisée, et en tire les lois naturelles auxquelles le monarque donnera effectivité et force) : à présupposer que naîtra en chacun un désir d’état, un désir que la violence des autres et la sienne propre soient tenues en quelque sorte en lisière, ou retenues, par un état. Les individus hobbesiens ne visent qu’à pouvoir s’occuper en paix de leurs propres affaires. En insistant sur le caractère co-originel des droits privés et des droits politiques, Habermas se donne les moyens théoriques d’une légitimation plus rationnelle de l’état, mais, du même coup, met involontairement en lumière la fragilité pratique de cette légitimation. La prévalence croissante des droits et des intérêts privés sur les droits et les soucis politiques à pour résultat de miner la légitimité de l’état (en tendant à le réduire à un simple mainteneur d’ordre) au moment même où le processus de globalisation restreint son champ de manœuvre. L’équilibre entre raison et violence, ou plutôt la mise en forme de la violence par la raison, qui donnait au modèle son assise, tend à se défaire. C’est alors une violence à la fois endémique et irrationnelle qui apparaît. Endémique, parce que ce qui consti- tuait pour Hobbes un point de départ à conjurer – la peur généralisée de l’autre–, s’insinue entre les individus. Irrationnelle, parce ce que même le noyau initial de rationalité sur lequel Hobbes prenait appui, – la préservation de soi –, est ébranlé par des modes de violence suicidaire. Une des tâches principales serait d’explorer cette crise du modèle juridico- étatique, au moyen d’un aller retour permanent entre ses bases théoriques et les phénomènes de violence propres à notre époque. b) le modèle révolutionnaire repose sur une critique du modèle précédent, notamment sur une remise en cause de l’état comme figure de rationalité. L’état, qui se présentait dans le modèle précédent comme une instance de contre violence, apparaît là (par exemple dans la critique des Principes de la philo- sophie du droit de Hegel qu’effectue Marx) comme une instance qui dissimule et renforce une violence de classe. Il est justifié, dès lors, d’exercer à son endroit comme à l’endroit de la classe dominante une contre violence. Le geste de légitimation de sa propre violence ressemble d’assez près à celui sur lequel fait fond le modèle juridico-étatique: la violence se justifie d’être une réponse à une violence antérieure – d’être une contre violence. La différence est qu’ici, la contre violence est supposée devoir abolir à terme toute violence, uploads/Politique/2003-2-83top-nav.pdf

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