Éditorial BENJAMIN OU LE POINT D’INTERFÉRENCE DU THÉOLOGIQUE ET DU POLITIQUE Yv

Éditorial BENJAMIN OU LE POINT D’INTERFÉRENCE DU THÉOLOGIQUE ET DU POLITIQUE Yves Charles Zarka Presses Universitaires de France | « Cités » 2018/2 N° 74 | pages 3 à 12 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130801924 DOI 10.3917/cite.074.0003 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2018-2-page-3.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La pensée de Strinberg : l’Enfer n’est nullement ce qui nous attend – mais cette vie-ci », Walter Benjamin2. « Certes, ce n’est qu’à l’humanité rédimée qu’échoit pleinement son passé. C’est-à-dire que pour elle seule son passé est devenu intégralement citable. Chacun des instants qu’elle a vécus devient “une citation à l’ordre du jour” – et ce jour est justement celui du Jugement dernier », Walter Benjamin3. L’œuvre de Benjamin, fragmentaire et traversée de correspondances, inactuelle et pourtant engagée dans l’à-présent le plus actuel, souvent cryptée et néanmoins resplendissante, diverse sans jamais être éclectique, traversée d’illuminations qui permettent de repenser notre temps, est comme une étoile filante qui vient de la nuit des temps nous faire un signe évanescent avant de disparaître dans un futur inconnu de nous. Signe de 1. « Sur le concept d’histoire », thèse VIII, in Œuvres III, traduction de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Ruch, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2000, p. 433. 2. « Zentralpark. Fragments sur Baudelaire », in Charles Baudelaire, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque », 2002, p. 242. 3. « Sur le concept d’histoire », thèse III, op. cit., p. 429. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/01/2023 sur www.cairn.info par Xiao tang YANG via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/01/2023 sur www.cairn.info par Xiao tang YANG via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) Éditorial Yves Charles Zarka 4 l’immémorial dans le présent et promesse d’un avenir radicalement diffé- rent, telle est non seulement l’empreinte de l’œuvre mais celle de Benjamin lui-même sur nous. Il a été d’une certaine manière ce qu’il a pensé. Cette empreinte est très différente de celles des philosophes anciens ou moder- nes : ni sage obscur de l’être (dont le jargon nous enfume), ni théoricien de la conscience (on ne saurait croire que celle-ci est le fondement inten- tionnel du sens), ni fondateur de système (le système c’est la totalisation, ce à quoi il faut précisément échapper), ni penseur de l’évidence (qui cache toujours une part obscure de vérité), sa pensée philosophique – car elle est bien de part en part philosophique – est absolument singulière. Elle se déploie dans des chemins différents, aussi bien en critique littéraire, en théorie de l’art, en interprétation de la tradition religieuse, en philosophie de l’histoire, en théologie, peut-être même en exégèse de certains passages bibliques, en théorie politique, etc. Cette diversité n’est pas un éclatement. La préoccupation fondamentale de Benjamin est de comprendre le présent d’aujourd’hui, la situation du monde dans son actualité, et d’en interroger le sens. Pourquoi sommes-nous ici et maintenant ? Notre existence a-t-elle un sens ou est-elle totalement absurde ? Sommes-nous des êtres jetés dans un désert indifférent et dans un moment du temps vide ? Comment se fait-il alors que l’à-présent soit porteur d’un si grand danger, celui de la cata- strophe ? Devant ce danger faut-il désespérer ou y a-t-il encore une place pour l’espoir ? Mais qu’est-ce qui peut nous donner cet espoir ? Qu’est-ce qui peut nous faire penser que, tout à l’heure ou peut-être demain, les choses seront différentes d’aujourd’hui ? Ce sont, je crois, les questions qui sont au fondement de la pensée de Benjamin, celles qui l’ont conduit toute sa vie, une vie qu’il a interrompue à l’heure du plus grand désastre de l’histoire de l’humanité, quand toutes les issues lui semblaient fermées. Comme si, pressentant la giganteste catastrophe, la catastrophe au-delà de toute pensée, au-delà de toute imagination de l’enfer, des êtres humains gazés et brûlés par millions, il s’était lui-même résigné. Lui, mais pas sa pensée. Aujourd’hui, celle-ci ne doit pas être simplement l’objet d’exégèses savantes (par ailleurs, parfois extraordinairement utiles et intéressantes4), 4. Pour ne m’en tenir qu’à certaines interprétations françaises, je pense en particulier au livre remarquable de Stéphane Mosès, L’Ange de l’histoire : Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, Seuil, 1992, mais aussi à celui de Gérard Raulet, Le Caractère destructeur : esthétique, théologie et politique chez Walter Benjamin, Paris Aubier, 1997, et au livre, récemment paru, de Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie, Paris, Éditions de l’Éclat, 2014, on pourra y trouver une analyse minutieuse et quasi talmudique des thèses « Sur le concept d’histoire ». Mais il faudrait citer beau- coup d’autres auteurs, dont certains contribuent à ce numéro de Cités. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/01/2023 sur www.cairn.info par Xiao tang YANG via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 01/01/2023 sur www.cairn.info par Xiao tang YANG via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221) Benjamin ou le point d’interférence du théologique et du politique Yves Charles Zarka  5 mais peut encore éclairer notre présent. L’enfer n’a peut-être pas dit son dernier mot. Il faut savoir lui résister, il faut savoir empêcher le malheur de se reproduire, et pour cela il faut que nous sachions qui nous sommes, repenser le passé à partir de notre situation présente pour y trouver la force et le courage, la vaillance de combattre les puissances dominantes (techno- logique, économique, politique) et ouvrir le champ des possibles au-delà du réel tel qu’il se donne et veut se perpétuer : faire en sorte que l’utopique advienne. S’il faut partir du présent et y revenir – comment pourrions-nous faire autrement, sinon en tombant dans l’illusion positiviste et historiciste de retrouver un passé prétendument objectif tel qu’en lui-même ? – il faut, pour comprendre ce présent, prendre de la distance, peut-être remonter au plus lointain, à l’immémorial que certaines expériences actuelles (comme celle de la contemplation artistique, d’une lecture biblique, de la prière, des fêtes qui scandent le temps du calendrier qui n’est pas celui des hor- loges) évoquent et même actualisent de manière fugitive mais réelle. Pour comprendre le présent, il faut que le passé ait un sens pour nous, qu’une configuration passée puisse être reconnue dans notre présent. À bien la considérer, l’histoire n’est jamais faite qu’à partir des intérêts présents et pour y répondre. Mais, ce passé reconnu, réinterprété, en un sens retrouvé, n’est pas l’effet de la nostalgie, moins encore celui d’un caractère réac- tionnaire, il ouvre un horizon pour l’avenir, pour l’action qui doit trans- former le présent et faire advenir autre chose (Benjamin dit le bonheur / la rédemption) que ce que nous vivons. Le présent ne saurait délivrer son sens immédiatement. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie. Nous portons un héritage et c’est dans la mesure où nous l’assumons que notre présent et notre avenir prennent leur sens. Mais comprendre le sens, c’est aussi devoir agir, car nous sommes encore pris dans l’alternative de la cata- strophe et de la rédemption. Ces quelques lignes soulignent les trois préoccupations fondamentales de Benjamin auxquelles toutes ses recherches se ramènent : l’histoire, la théologie et la politique. Cela est vrai depuis ses premiers textes, ainsi dans « La vie des étudiants » de 1915, il écrit : « La tâche historique est de don- ner forme absolue, en toute pureté, à l’état immanent de perfection, de le rendre visible et de le faire triompher dans le présent. Or, si l’on en décrit pragmatiquement des détails (institutions, mœurs, etc.), loin de circons- crire uploads/Politique/benjamin-ou-le-point-d-x27-interference-du-theologique-et-du-politique 1 .pdf

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