CLES Comprendre Les Enjeux Stratégiques Note hebdomadaire d’analyse géopolitiqu
CLES Comprendre Les Enjeux Stratégiques Note hebdomadaire d’analyse géopolitique de l’ESC Grenoble. 10 novembre 2011 42 Fédéralisme et identité linguistique La Belgique rattrapée par sa géopolitique Le 17 février dernier, la Belgique battait le record du monde de la plus longue période sans gouvernement. Pour sortir de la crise, Flamands et Wallons ont arrêté début octobre un plan de réforme de l’État. Le pays devrait toutefois rester sans gouvernement durant plusieurs semaines encore faute d’accord politique entre partis politiques belges. L’avenir de la Belgique en tant qu’État-nation semble toujours un peu plus incertain. On prête à Talleyrand, mandaté en 1830 par Louis-Philippe pour discuter l’avenir de la Belgique, cette remarque lors des négociations : "Ce n’est pas une nation, deux cents protocoles n’en feront jamais une nation. Cette Belgique ne sera jamais un pays, cela ne peut tenir". Deux siècles plus tard, la Belgique est profondément divisée par ses frontières linguistiques, au point qu’une sécession entre le Nord et le Sud soit régulièrement évoquée. Une situation qui doit beaucoup à une géopolitique complexe et bien souvent méconnue. Par Jean-François Fiorina Directeur de l’Ecole Supérieure de Commerce de Grenoble D e l’Ancien Régime à la Monarchie de Juillet, Charles-Maurice de Talleyrand- Périgord aura survécu à pas moins de sept régimes différents. Etait-ce un grand serviteur de l’État ou un politicien sans scrupule ? Qu’il fascine ou qu’il révulse, tous s’accordent sur le fait qu’il fut un diplomate d’exception. On retient son souci de l’équilibre européen qui repose sur l’existence de petits pays "placés comme des coins sécuritaires entre les grandes puissances" (Emmanuel de Waresquiel). C’est fi dèle à ce principe que le "Prince des diplomates" mène sa dernière grande mission : l’instauration du royaume indépendant de Belgique. Les circonstances de cet avènement sont l’une des clés de compréhension du différend qui oppose Wallons et Flamands aujourd’hui. La Belgique, pensée à l’origine comme un État-tampon Au congrès de Vienne (1815), la Prusse, l’Angleterre, la Russie et l’Autriche, vainqueurs de Napoléon Ier, divisent l’Europe sans tenir compte des sentiments nationaux. Les territoires de la future Belgique sont rattachés à ceux de la Hollande pour former un État-tampon au Nord de la France. Cette nouvelle carte est destinée à prévenir toute reprise d’une politique révolutionnaire et expansionniste française. Mais très rapidement, des tensions se font jour entre le Nord et le Sud, soit entre la Hollande et la Belgique contemporaines. En août 1830, les Bruxellois se révoltent, bientôt rejoints par des Liégeois et plusieurs régions francophones comme néerlandophones. Les insurgés, bercés par les idées de 1789, repoussent les troupes hollandaises et déclarent leur indépendance. Les grandes puissances d’alors convoquent fi n 1830 une conférence internationale à Londres pour statuer sur la révolution belge. Talleyrand représente la France avec pour consigne de morceler les territoires rebelles entre la Prusse, l’Angleterre et la France. Il n’en fera rien, Au Congrès de Vienne (1815), les territoires de la future Belgique sont rattachés à ceux de la Hollande pour former un Etat-Tampon au Nord de la France. CLES - Comprendre Les Enjeux Stratégiques - Note d’analyse n°42 - 10 novembre 2011 - www.grenoble-em.com - 1 - bien au contraire. Il refuse de concéder aux Anglais comme aux Prussiens une frontière avec la France. Talleyrand préconise donc la création d’un royaume de Belgique "placé sous le gouvernement d’un prince quelconque, qui serait trop faible pour inquiéter". Le projet du "diable boiteux", selon l’expression de Victor Hugo, remporte l’adhésion : la Belgique sera neutre et indépendante. Elle fera surtout de nouveau offi ce d’État-tampon. Comme partout en Europe au même moment, le moteur du soulèvement initial tient à la politique réactionnaire de la dynastie régnante. Les Orange Nassau commettent deux erreurs symboliques majeures en souhaitant supplanter l’éducation catholique de Belgique par des écoles publiques, donc protestantes, et en privilégiant le développement économique du Nord, au détriment de ceux qui allaient devenir les Belges - Flamands et Wallons confondus. Ceux-ci avaient déjà combattu ensemble à Waterloo, constituant une troupe distincte au sein de l’armée des Pays-Bas. Leur alliance puise ses racines plus loin encore dans l’histoire, dans la lutte des provinces méridionales des Pays-Bas espagnols, restées catholiques, face à la dissension puis à la pression militaire des protestants des Provinces Unies du Nord. Moins de trois siècles plus tard, cette césure religieuse reste plus importante que la question linguistique. La bourgeoisie et la noblesse de Flandre parlent français, quand le fl amand est considéré comme un dialecte populaire. La constitution belge de 1831 retient le principe de l’unicité et de l’indivisibilité du pays en passant outre la répartition linguistique territoriale en vigueur depuis la période romaine. La Belgique se situe en effet sur la frontière linguistique qui sépare les peuples germanophones de leurs cousins romans. Si les Belges s’étaient retrouvés dans leur soulèvement contre leurs voisins septentrionaux et protestants, il leur manquait une unité véritable, un dessein - et plus encore un destin fondé sur un "désir de vivre ensemble" (Ernest Renan). Le français s’impose comme langue offi cielle au mépris du néerlandais parlé par le peuple : ce clivage initial est surtout social, entre l’élite et les classes populaires. La Belgique souffre ainsi dès sa création d’un défi cit de cohérence nationale. Cet état de fait s’aggravera tout au long de la révolution industrielle. Au milieu du XIXe siècle, la Belgique fi gure parmi les pays les plus en pointe dans le domaine de l’industrie de l’acier et du charbon, dans celle du verre, de l’armement et du textile. Cette prospérité n’est cependant pas partagée par tous les Belges. La répartition des richesses est très inégale entre classes sociales, mais aussi entre régions. La Flandre demeure pour l’essentiel une région pauvre et agraire, tandis que la Wallonie bénéfi cie de son bassin minier. Ainsi se cristallisent peu à peu des revendications socio-économiques et des aspirations linguistiques, qui renvoient à un profond désir de reconnaissance culturelle. L’émancipation sociale des Flamands et le combat linguistique pour la reconnaissance du néerlandais vont se confondre dès la fi n du XIXe siècle, le nationalisme fl amand se forgeant notamment dans les combats de la Grande Guerre, où se multiplient les tensions entre les soldats fl amands et leurs offi ciers francophones (Frontbeweging - "mouvement du front" ou frontisme). L’affi rmation du sentiment régional Le véritable tournant s’opère au lendemain de la Première Guerre mondiale avec l’introduction du suffrage universel direct (1919). Les Flamands sont plus nombreux que les Wallons et s’organisent politiquement. Dès 1921, une loi crée ainsi des régions linguistiques. Le droit à l’usage de la langue de son choix devient une affaire collective. Il faut attendre les années 1960 pour que le divorce entre les deux communautés se concrétise politiquement. Les Flamands marchent sur Bruxelles à deux reprises pour réclamer le tracé défi nitif des frontières linguistiques, la reconnaissance de leur langue par l’administration et l’instauration du bilinguisme dans la capitale pourtant à nette majorité francophone. De leur côté, les Wallons espèrent bénéfi cier d’une plus large autonomie pour mener une politique sociale susceptible de répondre à la crise économique provoquée par les fermetures des mines de charbon. Avec l’avènement du secteur tertiaire, c’est en effet la Flandre qui prospère désormais et la Wallonie qui s’enfonce dans le marasme économique. Une première réforme de l’État est décidée en 1970. Elle sera suivie de trois autres grandes révisions constitutionnelles (1980, 1988 et 1993) qui entérineront l’actuelle division linguistique en quatre entités distinctes : une région néerlandophone (la Flandre), une région francophone (la Wallonie), une région germanophone constituée par un petit territoire rattaché à la Belgique lors du traité de Versailles (1919) et une région bilingue néerlandais/français pour la capitale. Le principe d’un État-nation centralisé, affi rmé en 1831, est ainsi remis en cause au profi t d’un État fortement décentralisé composé de minorités linguistiques. Talleyrand préconise la création d’un royaume de Belgique "placé sous le gouvernement d’un prince quelconque, qui serait trop faible pour inquiéter." Il faut attendre les années 1960 pour que le divorce entre les deux communautés se concrétise politiquement. CLES - Comprendre Les Enjeux Stratégiques - Note d’analyse n°42 - 10 novembre 2011 - www.grenoble-em.com - 2 - Au XIXe siècle, la répartition des richesses est très inégale entre classes sociales, mais aussi entre régions. La Flandre demeure essentiellement agraire, tandis que la Wallonie bénéficie de son bassin minier. En Belgique, l’État-nation ne fait plus sens. Il reste certes la fi gure royale, gage d’une unité de façade, mais le roi ne dispose d’aucune autorité politique. La région est devenue une nouvelle forme d’organisation spatiale et culturelle à part entière, sans bénéfi cier pour autant de la pleine souveraineté. C’est bien là l’originalité du modèle de gouvernance proposé par les Belges. Il est d’ailleurs remarquable qu’il ait été institué sans recours à l’extrême violence politique, contrairement à ce que l’on a pu observer en Espagne ou en Irlande du Nord par exemple. Vers la sécession ? Il n’en demeure pas moins que l’on assiste à un véritable émiettement des territoires, et à une forme de "balkanisation de la Belgique" davantage uploads/Politique/cles42.pdf
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- Publié le Dec 17, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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