Christophe Guilluy Fractures françaises Champs essai © Flammarion, 2013, pour c
Christophe Guilluy Fractures françaises Champs essai © Flammarion, 2013, pour cette édition © François Bourin Éditeur 2010 Dépot légal : octobre 2013 ISBN Epub : 9782081315709 ISBN PDF Web : 9782081315716 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782081289611 Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix) Présentation de l'éditeur Des banlieues aux zones rurales, des métropoles aux petites villes, dans quel état se trouvent les couches populaires, après vingt ans de mondialisation ? Dans Fractures françaises, Christophe Guilluy nous propose une leçon inédite de géographie sociale. S’appuyant sur sa discipline, il révèle une situation des couches populaires très différente des représentations caricaturales habituelles. Leur évolution dessine une France minée par un séparatisme social et culturel. Derrière le trompe- l’oeil d’une société apaisée, s’affirme en fait une crise profonde du « vivre ensemble ». Les solutions politiques et une nouvelle attitude sont possibles, pour peu que les nouveaux antagonismes qui travaillent la société soient reconnus et discutés publiquement. Il y a urgence : si la raison ne l’emporte pas, les pressions de la mondialisation qui élargissent les fractures sociales et culturelles risquent de faire exploser le modèle républicain. Christophe Guilluy est géographe. Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est notamment l’auteur, avec Christophe Noyé, de l’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004). Introduction Les nouveaux conflits français Un millier de Chinois manifestent ce dimanche pour dénoncer l'insécurité. Les jeunes maghrébins et africains des cités environnantes sont accusés d'être responsables de nombreux vols et agressions dont sont victimes les ressortissants de la diaspora chinoise. La tension est palpable et la manifestation dégénère. Plusieurs jeunes sont frappés. Seul un important déploiement policier empêchera un véritable affrontement ethnique. Sommes-nous à Los Angeles, à Chicago ou à Londres ? Dans une ville anglo-saxonne ? Dans un pays où le communautarisme serait la norme, où les individus seraient définis par leur appartenance ethnique et culturelle ? Non, nous sommes à Belleville, à Paris, en France, en 2010. Si la presse a plus ou moins couvert l'événement1, force est de constater que la classe politique dans son ensemble est restée muette. Toujours prêts à nous servir des disputes sur des sujets où les contradicteurs sont d'accord sur à peu près tout, les partis politiques n'ont pas souhaité commenter ce qui, a minima, révèle une crise du « vivre ensemble » et, par contrecoup, provoque une remise en cause de l'idéal républicain. Il faut dire qu'en France, le multiculturalisme et ses effets ne sont pas débattus. Mais il est un autre sujet dont on ne veut pas parler. Le même silence gêné a accompagné la parution en février 2010 d'un rapport de la Direction générale du Trésor et de la politique économique2. Les conclusions méritaient pourtant de faire débat puisque les experts estimaient qu'entre 2000 et 2007, 63 % des destructions d'emplois industriels en France avait été le fait de la concurrence internationale. De quoi alimenter le débat public sur les bienfaits de la mondialisation libérale ? Non, en France, la mondialisation et ses effets ne se discutent pas. Non plus. Mondialisation libérale et multiculturalisme, ces thématiques majeures font l'objet d'un consensus politique et ne sont donc pas ou peu interrogées. Il faut dire que les principales victimes de la mondialisation et les pratiquants (contrairement aux croyants) de la société multiculturelle ont disparu depuis au moins trois décennies des écrans radars des politiques et des médias. Cette invisibilité des couches populaires permet ainsi de promouvoir une société apaisée où le conflit n'a plus sa place. En 2010, les fins de mois de 15 millions de personnes se jouent à 50 ou 150 euros près et 8 millions de Français sont considérés comme pauvres3. Cette insécurité sociale n'a pourtant débouché sur aucun conflit majeur. Tout se passe comme si le retrait de la sphère médiatique, culturelle et politique des premières victimes de la mondialisation assurait la pérennité du système. On le voit, si la disparition culturelle et politique des catégories populaires souligne la crise démocratique, elle permet surtout d'installer durablement l'image en trompe l'œil d'une société apaisée, moyennisée et consensuelle. L'invisibilité des couches populaires évacue l'idée même de conflit. La conflictualité sociale et culturelle ne fait plus partie du champ politique ; c'est d'ailleurs une des principales causes de la désaffection d'une grande partie des électeurs pour les partis politiques. Cette société sans conflit permet d'entretenir efficacement le mythe d'une classe moyenne majoritaire et bénéficiaire de la mondialisation. Ce déni de tout antagonisme social fait écho à l'absence de débat sur les effets de l'émergence d'une société dite multiculturelle. La conflictualité culturelle est elle aussi occultée par une représentation idéalisée du multiculturalisme, celle d'une société métissée. Dans ce contexte, le débat politique n'est plus le lieu de l'antagonisme ou du débat, mais un espace où les acteurs entretiennent des disputes dérisoires tout en s'accordant sur « l'essentiel ». Le paradoxe est que plus les inégalités et la conflictualité augmentent, plus on nous renvoie l'image d'une société consensuelle et apaisée. L'invisibilité culturelle des catégories populaires met ainsi à l'abri le politique de la violence sociale et culturelle qu'elles subissent de plus en plus dans la réalité. Mais ce consensus apparent n'est pas « la fin de l'Histoire ». La situation réelle montre au contraire la montée de nouvelles dissensions. Les catégories populaires, même privées de débouché politique, manifestent une hostilité croissante au processus de mondialisation. À l'opposé des élites, la majorité des habitants des pays développés ne se réjouit que modérément de l'émergence d'une classe moyenne indienne ou chinoise. Elle constate au contraire que si les classes supérieures des pays développés et la classe moyenne chinoise ou indienne bénéficient de la mondialisation, leurs propres conditions de vie et de travail subissent une dégradation progressive. Pour l'heure, si la contestation de la mondialisation libérale et la perplexité des couches populaires face aux effets du multiculturalisme ne s'expriment pas encore dans le débat politique, elle n'influence pas moins l'organisation des territoires. L'un des enjeux de ce livre est de révéler les véritables ressorts de la recomposition sociale et démographique des territoires. Ce diagnostic permet de comprendre comment les couches populaires vivent et réagissent aux effets de la mondialisation et du multiculturalisme. À une époque où les débats ont disparu, la géographie sert de révélateur aux conflictualités4 qu'une doxa dominante refuse de prendre en compte. Le choix d'analyser les nouvelles dynamiques sociales et territoriales à partir de la question des classes populaires peut être perçu comme « démagogique ». Leur simple évocation paraît suspecte. De la même manière, la critique des élites et des classes dominantes et supérieures sera évidemment perçue comme « populiste ». Nous assumons ce choix pour deux raisons. La première est que ces catégories, majoritaires, structurent encore la société. La seconde, plus fondamentale, est que l'évocation de leur réalité sociale et territoriale permet d'apprécier les effets concrets des choix économiques et sociétaux des classes dominantes. Dès lors, et s'il est entendu que le « peuple » n'a pas toujours raison face aux élites, l'évocation d'une France « vue d'en bas » permet au moins de rappeler son existence et de mieux comprendre la réalité sociale de l'Hexagone. Tout au long de cet essai, nous essaierons de contourner les postures idéologiques en nous intéressant non à « ce qui disent les gens » mais plutôt à « ce qu'ils font ». L'analyse géographique permet ainsi d'éviter les postures idéologiques pour observer, par exemple, la réalité des pratiques d'évitement résidentiel ou scolaire. La description territoriale de ces dynamiques montre que loin de se résumer à une opposition idéologique entre « mondialistes libéraux » et « nationalistes » ou, pire, entre « racistes » et « non-racistes », la question du séparatisme traverse l'ensemble de la société. Ces pratiques attaquent la cohésion nationale mais elles ne signifient pas pour autant que la société française ait opéré un basculement « à l'américaine ». L'avenir ne se limite pas à un choix entre républicanisme et communautarisme, ni à celui du métissage ou de la guerre civile. En revanche, il est certain que la mise à l'écart prolongé des catégories populaires dans un système mondialisé ne pourra être gérable très longtemps. Le premier objectif de ce livre est de démystifier la présentation caricaturale et officielle des rapports sociaux en France. La description des nouveaux conflits français passe par une remise en cause de la représentation « officielle » mais caricaturale de la société française : celle qui oppose les banlieues aux autres territoires, ou des minorités aux classes moyennes. Les représentations des banlieues, de la classe moyenne et des minorités sont celles qui légitimisent le plus le discours ambiant, celui des médias et de la classe dominante. Ces représentations ont ainsi imposé l'idée d'une société française divisée entre des exclus, essentiellement les minorités qui vivent en banlieue, et la classe moyenne. Les banlieues sont devenues les territoires de l'exclusion, tandis que la France pavillonnaire est censée illustrer le mythe de la classe moyenne. Ces représentations suggèrent aussi que nous sommes déjà entrés dans une société uploads/Politique/guilluy-christophe-fractures-francaises.pdf
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- Publié le Nov 02, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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