Élections : quand les chefs ne méritent pas leur peuple L a moitié pleine de la
Élections : quand les chefs ne méritent pas leur peuple L a moitié pleine de la bouteille n’est pas, on le sait, celle qui intéresse le plus les commentateurs de l’actualité politique africaine. D’abord parce qu’ici comme ailleurs les trains qui arrivent à l’heure n’ont jamais fait grimper l’Audimat ni vendre du papier, ensuite parce que relever – pire, mettre en valeur – le côté positif d’une situation expose celui qui s’y livre au soupçon de naïveté,voiredecomplaisance,commesil’afrobashingétait le critère suprême en matière d’objectivité. Des exercices démocratiques, ou présumés tels, qui viennent en ce mois d’août de se dérouler au Sénégal, au Rwanda, au Kenya et en Afrique du Sud, la plupart des médias n’ont donc retenu que l’aspect dysfonctionnel : fraudes à Dakar, unanimisme suspect à Kigali,violences ethniques à Nairobi, humiliation publique du chef à Pretoria. Certes, le temps n’est plus où les éditorialistes occidentaux assimilaient ces scrutins à des bouffonneries de rois nègres, mais la représentation ordinaire des élections africaines (qu’il s’agisse du vote des simples citoyens ou, comme en Afrique du Sud, de celui desdéputés)continuedecharriersonlotdepréjugés :cene seraientdécidémentpasdesélections«commelesautres», encore moins « comme les nôtres ». Erreur ! Prenons le cas de Jacob Zuma. Considérer comme un signe d’immaturité le fait que l’ANC ait décidé à une courte majorité de le maintenir à la présidence en mettant en échec une neu- vième tentative de destitution est une bêtise. Il s’agit là au contraire d’une preuve de… maturité politique.L’ANCétantencoreetdeloin,qu’onle veuilleounon,lepartilepluslégitimeenAfrique duSud,cesursisluipermetd’éviterl’éclatement avant son prochain congrès, en décembre. Une fois choisi le candidat du Congrès pour la pré- sidentielle de 2019, Zuma ne sera plus en attendant qu’un chef d’État symbolique, dépouillé de la réalité du pouvoir et de l’essentiel de sa capacité de nuisance. Autre cas : les élections sénégalaise et kényane. Y a-t‑il eu fraude ? C’est possible. Au point d’inverser les résultats ? Sans doute pas. Et quand bien même, puisque au risque de choquer il est possible de considérer la fraude comme un… progrès ! En Afrique, jusqu’au début des années 1990 et à de rares exceptions près, les scrutins se déroulaient sur une base non concurrentielle. Il n’était donc nul besoin de frauder, pas plus qu’une course à un seul cheval ne permet de tri- cher. Soyons réalistes : si les vainqueurs ont parfois recours à la corruption électorale sous toutes ses formes (argent, trucages divers, charcutage des circonscriptions, etc.), les vaincus aussi, dès que l’occasion se présente ou qu’ils sont en position de le faire. Ce n’est donc pas la présence de fraudes qui délimite le seuil de l’acceptable entre une élection « normale » et un simulacre de scrutin, mais le degré d’égalité des concurrents devant la fraude. À Dakar comme à Nairobi ou ailleurs, la contestation du résultat par les perdants dépend largement de ce constat d’inégalité, tout autant qu’elle correspond à l’absence de stratégie de remplacement*. Au risque – encore – de l’inconvenance, ajoutons que le vote communautaire (ou ethnique), considéré comme la clé du scrutin kényan, n’a rien d’irrationnel ni d’antino- mique avec le vote d’opinion. À condition que le marché politique soit libre, ce qui est le cas au Kenya comme au Sénégal, et que le secret du choix soit garanti, voter pour le candidatdugroupeauquelonappartientn’estenAfriqueni grégaire ni contraire au fonctionnement de la démocratie. Idem pour la violence : le fait que la participation collective à l’acte électoral tourne parfois (hélas) à la confrontation physique est certes condamnable. Mais est-ce pour autant une régression ? Seuls les scru- tins sans enjeu ne suscitent aucune violence – dont l’éradication relève d’un long processus éducatif. En réalité, le véritable ennemi de la démocratieélectorale,c’estl’abstention,lasortie du jeu, ce que les anglophones appellent l’exit option. Sur ce plan, à constater les longues et patientes files d’attente devant les bureaux de vote (56 % de taux de participation au Sénégal, soit 20 points de plus qu’il y a cinq ans, 80 % environauKenya,90%auRwanda,mêmesice dernier chiffre, politiquement incorrect, n’est explicable que dans le contexte historique très particulier de ce dernier pays), l’optimisme est de mise. Les Africains traitent l’exercice électoral avec un respect, une révérence et un sérieux depuis longtemps oubliés en Occident, au point que l’on est fondé à se demander s’ils ne sont pas plus prêts pour la démocratie que leurs propres dirigeants. Un peuple a le chef qu’il mérite, dit l’adage. En Afrique, bien souvent, les chefs ne méritent pas leur peuple. * Sur les 28 scrutins présidentiels organisés ces trois dernières années au sud du Sahara, 16 sont considérés comme crédibles. Deux restent à venir en 2017 : en Angola et au Liberia. Éditorial François Soudan Les Africains abordent l’exercice avec un respect et un sérieux qui n’ont plus cours chez les Occidentaux. JEUNE AFRIQUE N0 2953-2954 • DU 13 AU 26 AOÛT 2017 3 10 ÉVÉNEMENT Le Cameroun hors jeu? 18 GRAND ANGLE Comment se portent nos chefs d’État? 99 FOCUS Responsabilité sociétale des entreprises PHOTOS DE COUVERTURES: ÉDITION GÉNÉRALE: ILLUSTRATION ANTOINE MOREAU-DUSAULT POUR JA ÉDITION CONGO: NICOLAS MESSYASZ/HANSLUCAS.COM ÉDITION TUNISIE: STEFFI LOOS/AFP 6 Confidentiel 10 LA SEMAINE DE JEUNE AFRIQUE 10 Football Le Cameroun hors jeu? 16 Ilyas El Omari Surprise du chef 17 Ne Muanda Nsemi Illuminé 18 GRAND ANGLE 18 Secret médical Comment se portent nos chefs d’État? 28 AFRIQUE SUBSAHARIENNE 28 Côte d’Ivoire Les forces du désordre 32 Guinée Tibou Kamara, l’insubmersible 34 Politique Macron, modèle d’opposition 35 Plaidoyer En selle l’Afrique! 38 MAGHREB & MOYEN-ORIENT 38 Tunisie Chahed, an I 42 Maroc Bain de jouvence 44 Mauritanie Qui perd gagne 45 Algérie Le visage d’une génération écoresponsable 47 Moyen-Orient Après Daesh, le chaos? 50 EUROPE, AMÉRIQUES, ASIE 50 États-Unis Des prédateurs à la Maison-Blanche 54 Interview Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’OMS 56 Parcours Sandra Nkaké, le grand mix 57 Coulisses 58 Inde Le blues des héritiers 61 LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE 61 Congo Sortir d’un monde de brut 84 ÉCONOMIE 84 Aga Khan « Prince » du développement 92 Télécoms Branle-bas de combat pour l’acquisition de Tigo Sénégal 94 Aéronautique En Afrique, Airbus réduit l’écart avec Boeing 96 Industrie Comment le textile tunisien tente de sortir de l’ornière 99 FOCUS 99 Responsabilité sociétale des entreprises 104 CULTURE & MÉDIAS 104 Humour Mieux vaut en rire 128 VOUS & NOUS 128 Courrier des lecteurs 129 Diagnostic Réorienter l’aide sanitaire à l’Afrique 130 Post-scriptum Vous retrouverez « Ce que je crois », de Béchir Ben Yahmed, dans JA no 2959 du 24 septembre N0 2953-2954 • DU 13 AU 26 AOÛT 2017 JEUNE AFRIQUE 4 Côte d’Ivoire Trahi par un coup de fil L a découverte à Bouaké, dans la nuit du 14 au 15 mai, d’une cache d’armes au domicile de Souleymane Kamaraté Koné, alias Soul to Soul, directeur du protocole de Guillaume Soro, ne résulte pas d’une dénonciation, comme cela avait été dit, mais d’un appel de Soul to Soul lui-même, que les autorités ont intercepté, durant la mutinerie, grâce à une écoute téléphonique. Selon nos informations, au cours de cet appel, Soul to Soul indique à l’un des mutins l’emplacement de la cache et lui conseille de se réarmer. Quinze tonnes d’armes ainsi que des munitions ont été retrouvées dans l’ancienne piscine réaménagée en sous-sol de la maison. Plusieurs proches du président de l’Assemblée nationale ont, depuis, été entendus par les enquêteurs de la brigade de recherche de la gendarmerie. Parmi eux, le lieutenant-colonel Issouf Ouattara (alias Kobo), chef de la sécurité de Soro, et le colonel Adama Yéo, l’un des responsables de la sécurité du Parlement. Tous deux étaient chargés de reverser cet arsenal dans les stocks de l’armée. Parallèlement, la mission des experts des Nations unies sur ces mêmes caches d’armes, diligentée à la demande du président, Alassane Ouattara, a été prolongée – elle avait engagé ses investigations le 7 juin et devait travailler un mois. Ces spécialistes des questions d’armement épaulent l’équipe ivoirienne, composée d’une dizaine de personnes. Selon leurs premières constatations, les armes découvertes ont bien été acquises en 2011, comme l’assurait l’entourage de Soro. Ils tentent d’identifier leur provenance et leur mode d’acquisition. Et, surtout, de localiser d’autres caches dans le pays (il y en aurait au moins deux de plus selon eux). Un rapport intermédiaire doit être remis aux autorités à la mi-septembre. ISSOUF SANOGO/AFP Quelques-unes des armes découvertes à Bouaké, le 15 mai. RD Congo Le calendrier, éternelle patate chaude Le plus grand flou continue de régner autour de la date de la prochaine présidentielle congolaise. Début juillet, Corneille Nangaa, le président de la Ceni, avait reconnu que le scrutin n’aurait « probablement pas » lieu en 2017, sans toutefois fixer une nouvelle échéance. Afin de souligner « l’urgence » de la publication d’un nouveau calendrier, l’OIF a dépêché à Kinshasa, du 6 au 10 août, son directeur des affaires politiques, le Canado-Camerounais Georges Nakseu Nguefang. Il a rencontré Bruno Tshibala, le Premier ministre, et, en l’absence de Nangaa, en déplacement à l’intérieur du pays, Norbert Basengezi, le numéro deux de la Ceni, qui lui a promis une publication « rapide ». En réalité, personne ne veut endosser seul uploads/Politique/jeune-afrique-13-au-26-aout-2017.pdf
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- Publié le Fev 08, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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