L’action publique Vincent Dubois To cite this version: Vincent Dubois. L’action

L’action publique Vincent Dubois To cite this version: Vincent Dubois. L’action publique. Cohen (A.), Lacroix (B.), Riutort (Ph.) dir. Nouveau manuel de science politique, La D´ ecouverte, p. 311-325, 2009. <halshs-00498038> HAL Id: halshs-00498038 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00498038 Submitted on 6 Jul 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 L’action publique Vincent Dubois Dans les sociétés occidentales contemporaines, l‘État est devenu le cadre dans lequel s‘exerce le « fait de domination » (Weber, 1971). La croissance du rôle de l‘État dans « l‘adoption des règles générales concernant les rapports entre groupes sociaux [et] la légitimation des pratiques en usage » (Lagroye et. al. 2002, p. 502) et avec elle le développement de l‘intervention publique dans de nombreux domaines constituent dès lors des processus socio- historiques décisifs pour la structuration de ces sociétés. Engagés dès la seconde moitié du XIXe siècle, poursuivis dans l‘entre-deux-guerres et plus encore dans la période dite des Trente glorieuses, ils ont notamment conduit à transférer la prise en charge de problèmes sociaux du privé vers le public, à renforcer les administrations publiques, et à intensifier leurs relations d‘interdépendance avec les différents groupes professionnels et sociaux. Avec une force et des rythmes qui diffèrent selon les pays et les secteurs, un processus inverse de désengagement des pouvoirs publics ou au moins de redéfinition de leur intervention est en cours depuis grosso modo le milieu des années 1970 — ce qu‘on désigne communément sous le terme générique du « tournant néo-libéral ». Les faits les plus marquants de l‘histoire sociale et politique récente constituent en effet autant de traits caractéristiques d‘une involution. Des systèmes publics de socialisation des risques et services publics sont remis en cause. La compression du budget, des effectifs et du périmètre d‘action des administrations publiques s‘accompagne d‘une tendance à « externaliser » vers des opérateurs privés des fonctions jusque là exercées par des agents publics. C‘est globalement l‘étendue des responsabilités des pouvoirs publics qui est révisée à la baisse, au nom d‘une autolimitation pragmatique (« l‘Etat ne peut pas tout faire ») et-ou du principe de responsabilité individuelle (« il ne faut pas tout en attendre »). Au gouvernement de la société piloté par l‘État succéderait une « gouvernance » à laquelle participerait de manière variable un ensemble d‘acteurs publics et privés, situés tant aux niveaux local et supranational qu‘au plan national. Cela n‘équivaut cependant pas mécaniquement à une disparition de l‘action publique, ce dont témoigne entre autres la multiplication des réformes ou l‘« inflation normative ». Cela n‘empêche pas non plus un rôle 2 important de l‘État, maintenu malgré les réformes libérales, renouvelé dans ses fonctions (que l‘on pense aux débats sur « l‘État régulateur » ou « l‘État stratège »), voire renforcé sous ses formes traditionnelles, par exemple répressives lorsqu‘il s‘agit de sécurité. D‘un processus de rationalisation (identifié par Weber) articulé au développement de l‘État, on passerait ainsi à une politique de « rationalisation » (prônée par les réformateurs contemporains) conduisant inversement à en réduire l‘importance ou à tout le moins à en redéployer l‘action. Dans les deux cas, et quelles que soient par ailleurs les limites des évolutions dans un sens ou dans l‘autre, des positions sociales s‘établissent ou se défont, des ressources sont transférées, des systèmes de relations et de représentation se (re)structurent ; en bref des mutations sociales majeures s‘opèrent. Que ce soit par sa genèse, son institutionnalisation et son développement ou à l‘inverse du fait de sa réduction ou de son démantèlement, l‘action publique est bien ainsi au cœur des transformations des sociétés contemporaines, dont elle forme à la fois le résultat et le vecteur. C‘est la raison pour laquelle son analyse doit être rapportée à ces transformations et peut contribuer de façon décisive à leur compréhension. On définira en ce sens l‘action publique comme l’ensemble des relations, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux. Ces relations, plus ou moins institutionnalisées, s‘établissent entre des acteurs aux statuts et positions diversifiées qu‘on ne peut réduire a priori aux seuls « pouvoirs publics » : représentants de groupes d‘intérêt, journalistes, entrepreneurs privés ou usagers y côtoient ministères, organisations internationales, fonctionnaires ou responsables politiques. Le statut des acteurs ne suffit donc pas à définir l‘action publique. Les pratiques qui contribuent à cette régulation sociale sont elles aussi diversifiées, de l‘édiction de normes au recours à l‘expertise, de l‘allocation de ressources matérielles à la production discursive. De sorte que l‘action publique ne peut pas plus être cantonnée à l‘exercice de la « puissance publique » ou à la délivrance de « services publics », pour reprendre les catégories institutionnelles juridiques si prégnantes en la matière. Par-delà son caractère protéiforme, la spécificité de l‘action publique tient donc avant tout à la légitimation politique des « réponses » qu‘elle apporte à des « problèmes sociaux », des ressources qu‘elle distribue ou des formes d‘organisation sociale qu‘elle promeut. 3 Si la sociologie de l‘action publique constitue un domaine de recherche à part entière, dans la mesure où elle a des terrains et des outils qui lui sont spécifiques, elle ne peut cependant être détachée de la réflexion générale des sciences sociales sur le fonctionnement des sociétés — détachement dont l‘hyperspécialisation de l‘analyse des politiques publiques présente parfois le risque. Cette analyse doit au contraire se concevoir comme une contribution à la connaissance des modes d‘organisation sociale et de leurs transformations. Elle est plus précisément partie intégrante de la sociologie politique, dans la mesure où elle a pour but d‘analyser les modes d‘exercice du pouvoir et de la domination dans leur dimension politique. Les pages qui suivent précisent et illustrent ces propositions, en revenant sur la formation et les limites d‘un savoir spécialisé dans le domaine des politiques publiques, puis en étudiant la structuration des relations constitutives des politiques et les pratiques par lesquelles elles se réalisent. 1. Les héritages d’une discipline appliquée De la science de gouvernement à la spécialité académique Le retour sur l‘histoire des disciplines académiques, par la référence-révérence aux pères fondateurs ou le rappel des principes originels, sert souvent à l‘édification autant qu‘à la formation des étudiants qui s‘y consacrent. Un tel retour constitue ici plutôt une invitation à mettre à distance une certaine tradition comme préalable nécessaire à la formation de leur posture intellectuelle. Cette tradition provient d‘abord de la policy science américaine (Parsons, 1995, p. 16-29 ; Duran in Boussaguet et. al., 2004, p. 232-241 ; Hassenteufel, 2008, p. 19-25). Les travaux au demeurant très variés qui en sont issus ont apporté leur lot d‘informations empiriques et d‘innovations analytiques. La place qu‘y occupent les dimensions normatives et prescriptives les détournent toutefois pour partie de la visée de connaissance propre aux sciences sociales au profit d‘une visée pratique d‘amélioration de l‘action publique. Cette spécialité ne s‘appuie guère sur les apports de la sociologie européenne qui, à l‘instar de ses initiateurs Weber, Marx et Durkheim, a abordé la question de l‘État dans une théorie générale du monde social. Elle emprunte davantage à l‘économie, à la théorie des organisations ou au behaviorisme, dans la perspective d‘un accompagnement de programmes d‘intervention publique dont il s‘agit de rationaliser la conception, de rendre l‘organisation fonctionnelle et les résultats efficaces. Le politiste états-unien Harold D. 4 Lasswell (1902-1978) est un des premiers et principaux promoteurs d‘une telle orientation. Aux références intellectuelles se combine une conception de l‘activité scientifique elle-même liée à une croyance politique : cette connaissance joue volontiers le rôle d‘auxiliaire technique du pouvoir parce que ses promoteurs considèrent l‘amélioration des performances gouvernementales grâce à la science comme un gage de progrès démocratique. La policy science se développe dès lors de concert avec le lancement de grands programmes gouvernementaux, dans les années 1930 avec le New Deal, puis après la seconde guerre mondiale et le développement de l‘intervention publique. Les recherches rebaptisées policy analysis à partir de cette période se veulent moins naïvement optimistes quant à la conduite des politiques et aux résultats qu‘on peut en attendre. Elles mettent en évidence les « dysfonctionnements bureaucratiques » dans la lignée des analyses de Robert Merton, se fondent largement sur le postulat de « rationalité limitée » formulé par le psychologue et économiste Herbert Simon, et analysent le processus d‘élaboration des politiques publiques sous l‘angle de la « débrouillardise » et du « tâtonnement » (muddling through) comme le propose notamment Charles Lindblom. On peut y voir la manifestation d‘une analyse critique de l‘action publique. À condition toutefois de rappeler que cette dimension critique consiste (au moins implicitement) à rapporter les politiques observées à uploads/Politique/l-action-publique-notions-universelles 1 .pdf

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