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Available at: http://hdl.handle.net/2078.3/167383 [Downloaded 2023/03/06 at 07:06:47 ] "Hegel penseur de l'Etat contre la démocratie" Carré, Louis CITE THIS VERSION Carré, Louis. Hegel penseur de l'Etat contre la démocratie. In: Tumultes, Vol. 1, no.44, p. 38-51 (NaN) http:// hdl.handle.net/2078.3/167383 Le dépôt institutionnel DIAL est destiné au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques émanant des membres de l'UCLouvain. Toute utilisation de ce document à des fins lucratives ou commerciales est strictement interdite. L'utilisateur s'engage à respecter les droits d'auteur liés à ce document, principalement le droit à l'intégrité de l'œuvre et le droit à la paternité. La politique complète de copyright est disponible sur la page Copyright policy DIAL is an institutional repository for the deposit and dissemination of scientific documents from UCLouvain members. Usage of this document for profit or commercial purposes is stricly prohibited. User agrees to respect copyright about this document, mainly text integrity and source mention. Full content of copyright policy is available at Copyright policy TUMULTES, numéro 44, 2015 Hegel penseur de l’État contre la démocratie Louis Carré Université libre de Bruxelles, F.R.S./FNRS En 1843, lors de son séjour à Kreuznach, le jeune Marx rédige un commentaire critique suivi de la section que Hegel avait consacrée à « l’État » dans ses Principes de la philosophie du droit1. Marx s’attaque en particulier au modèle de monarchie constitutionnelle dont Hegel avait livré une démonstration rationnelle, pour lui opposer la vérité de la démocratie comme constitution des constitutions, comme « l’énigme résolue de toutes les constitutions ». Là où Hegel avait hypostasié l’État en la personne du monarque, Marx entend quant à lui ramener l’État à son fondement véritable, qui réside dans le « peuple réel », dans le démos en sa totalité. Face au modèle de l’État hégélien qui ne faisait que reproduire sans la réfléchir la scission moderne de l’homme politique et de l’homme privé, ramener l’État à son fondement démocratique véritable, à « l’unité vraie de l’universel et du particulier », revient du même coup à liquider l’État politiquement abstrait. Comme l’a justement souligné Solange Mercier-Josa, la liquidation de l’État abstrait ne conduit cependant pas chez Marx à une disparition pure et simple de la politique. Ce qui est ultimement visé dans la critique marxienne de l’État hégélien, c’est non pas « le dépérissement de la politique en tant qu’universel concret », mais bien « la politisation des masses, chaque individu 1. Les Principes de la philosophie du droit (1820) seront cités dans la traduction de J.-F. Kervégan (Paris, PUF, 2013, 3e édition augmentée) avec l’indication entre parenthèses du numéro du paragraphe. Les lettres R et A renvoient respectivement aux remarques et aux additions des paragraphes. Hegel penseur de l’État contre la démocratie 38 vivant tous les aspects de sa vie individuelle comme éminemment politique2 ». Dans un passage clé de son commentaire, Marx formule une curieuse remarque : s’il est vrai que la démocratie est le « genre » (Gattung) universel dont relèvent toutes les autres constitutions en tant qu’espèces particulières, elle n’en demeure pas moins une espèce particulière de constitution s’opposant aux autres en tant qu’elle est leur essence véritable. Cette remarque curieuse (pour ne pas dire absurde d’un point de vue strictement logique : comment une chose pourrait-elle à la fois relever d’un genre supérieur et d’une espèce qui lui est subordonnée ?) s’explique néanmoins au regard de l’intention critique de Marx vis-à-vis de l’hégélianisme (et, derrière lui, vis-à-vis de l’État prussien à son époque). Car, en tant que vérité des constitutions passées, présentes et à venir, la démocratie doit tout d’abord se poser comme une constitution particulière par opposition à l’État (qu’il soit monarchique ou républicain). Marx ajoute : « Dans tous les États non démocratiques, l’État, la loi, la constitution, dominent sans dominer réellement, c’est-à-dire sans imprégner matériellement le contenu des autres sphères non-politiques. Dans la démocratie la constitution, la loi, l’État lui-même ne sont qu’une autodétermination du peuple, un contenu déterminé que le peuple se donne pour autant qu’il est constitution politique3. » Autrement dit, à la différence de « la démocratie de la non-liberté » qui caractérise d’après Marx l’ensemble de la période médiévale, la démocratie moderne doit tout d’abord partir d’une différenciation des sphères sociales et politiques afin de surmonter dans un second temps l’abstraction dans laquelle l’État hégélien les avait maintenues séparées. Dans le cadre moderne d’une démocratie réelle (et toute démocratie moderne tend à être réelle pour Marx), la politisation du social en appelle à une socialisation du politique (et inversement), de sorte que l’opposition du politique et du social, de l’État et de la société civile, sur laquelle se fondait la philosophie hégélienne de l’État, se trouve dépassée. Si j’ai commencé par un bref rappel de la critique marxienne de l’État hégélien, c’est afin d’examiner l’hypothèse d’un renversement de cette critique. Aussi séduisants que puissent nous sembler 2. S. Mercier-Josa, « La première critique marxiste de l’État », in Pour lire Hegel et Marx, Paris, Éditions Sociales, 1980, p. 44. 3. Marx, Écrits de jeunesse. Critique du droit politique hégélien. Critique de l’économie politique, Paris, Quai Voltaire, 1994, p. 81. Louis Carré 39 39 aujourd’hui les propos du jeune Marx, ne masquent-ils pas un problème de fond, le problème d’une incompatibilité du pouvoir étatique et de la démocratie4 ? Sans vouloir réhabiliter telle quelle la conception hégélienne de l’État qui, de fait, débouche sur une démonstration philosophique du bien-fondé de la monarchie constitutionnelle, j’aimerais dans ce qui suit chercher chez Hegel des pistes de réflexion sur les liens problématiques qu’entretiennent État et démocratie. La thèse que je souhaiterais défendre est que « l’illusion (Schein) politique » dans laquelle Marx reproche à l’État hégélien de verser pourrait bien se retourner contre la « vérité démocratique ». Pour ce faire, j’examinerai dans un premier temps l’« idée » de l’État qui se dégage de la philosophie hégélienne du droit. Je tâcherai ensuite de déconstruire certains des poncifs (tenaces) associés à l’État hégélien, pour enfin esquisser la question de savoir dans quelle mesure penser, à la façon de Hegel, l’État contre la démocratie peut s’avérer philosophiquement salutaire, y compris du point de vue d’une réflexion autour de la « démocratie réelle ». L’« idée » de l’État Sous une perspective hégélienne, se questionner sur la manière dont le discours philosophique pourrait le plus adéquatement se saisir conceptuellement de l’État doit primer sur la réalité empirique et diverse de celui-ci. « À propos de l’idée de l’État, remarque Hegel, il ne faut pas avoir sous les yeux des États particuliers, des institutions particulières, il faut plutôt examiner pour elle-même l’idée, ce Dieu effectif » (§258 A). Le primat méthodologique que Hegel accorde au concept de l’État sur tel ou tel État en particulier permet déjà de répondre aux critiques bien connues qui voient en lui le philosophe officiel de l’État prussien5. Est-ce à dire pour autant que le concept de l’État que le philosophe se donne à penser se trouve détaché de toute réalité empirique ? Nullement. Pour quelqu’un dont le leitmotiv a été très tôt de « comprendre ce qui est6 », le concept de l’État ne peut 4. Cf. M. Abensour, La démocratie contre l’État. Marx et le moment machiavélien, Paris, Félin, 2004, p. 13 : « la démocratie est anti-étatique ou elle n’est pas ». Comme le suggère déjà son titre, cet article se veut une réponse « hégélienne » à la critique marxienne de l’État telle que l’a reconstruite Abensour dans son important ouvrage. 5. Cf. en particulier R. Haym, Hegel et son temps, Paris, Gallimard, 2008. À ce sujet, voir la mise au point de J.-F. Kervégan, L’effectif et le rationnel. Hegel et l’esprit objectif, Paris, Vrin, 2007, pp. 239-241. 6. Hegel, Écrits politiques, Paris, Champs Libre, 1977, p. 35. Hegel penseur de l’État contre la démocratie 40 véritablement être saisi que dans sa tension vis-à-vis d’une réalité existante, à savoir la réalité institutionnelle de l’État moderne (fût-il ou non prussien). Cette tension permanente du concept et de sa réalité s’appelle chez Hegel « l’idée » entendue comme la « congruence » toujours à reprendre du conceptuel et du réel, ici du concept de l’État et de sa réalité empirique. Mais quelle est alors cette « idée » de l’État dont Hegel entend nous fournir la démonstration dans sa Philosophie du droit ? S’agissant du versant empirique de l’État, Hegel ne prétend pas innover. On peut ainsi dégager dans le corpus hégélien une définition relativement usuelle de l’État : « L’État exige un centre commun, un monarque et une assemblée, où se trouvent réunis les différents pouvoirs, les rapports avec les puissances étrangères, la force militaire, les finances qui y correspondent, etc. ; un centre dont les dirigeants aient le pouvoir indispensable de s’affirmer et d’affirmer leurs décisions, de maintenir les différents éléments sous leur dépendance7. » L’État se caractérise par la réunification des pouvoirs autour d’un point central constitué d’un monarque et d’une assemblée. Cette centralisation du pouvoir s’accompagne d’une série de prérogatives : l’État règle les rapports avec les uploads/Politique/lcarrac-hegel-penseur-de-l-x27-etat-contre-la-dacmocratie-tumultes-na044.pdf
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- Publié le Fev 16, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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