« Fortifiez en vous l’homme intérieur » (Ephésiens, 3, 16) Lettre sur l’intério
« Fortifiez en vous l’homme intérieur » (Ephésiens, 3, 16) Lettre sur l’intériorité « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi. » (Ap 3, 20). Le Christ frappe à la porte de l’âme, comme un mendiant d’amour. Tableau de William Homan Hunt (1827-1910), La lumière du monde, peint en 1851-1853, Keble college, Oxford. « Fortifiez en vous l’homme intérieur » (Ephésiens, 3, 16) Lettre sur l’intériorité Lettre no 4 du Supérieur général 5 INTRODUCTION L’urgence d’une réforme Cette lettre est dans la continuité des précédentes. Avec la lettre sur la pauvreté, j’ai abordé la question de la solidarité avec les plus petits. Avec celle sur la fraternité, j’ai développé un autre aspect de la vocation assomptionniste : notre enga- gement dans la communion. Enfin avec l’intériorité, je sou- haite aborder ce que nous voulons être quand nous parlons de nous comme des hommes de foi. La foi est un sujet très vaste à étudier et quasiment inépuisable. En l’abordant par le biais de l’intériorité, je tiens à dire l’urgence de la question de la prière dans la vie du religieux assomptionniste et celle plus large de l’unification de nos existences. En visitant les communautés à travers le monde, j’ai cons- taté que nous n’étions guère mystiques. Cela est une façon de dire que nous sommes en général peu enclins à la vie con- templative ou, pour parler plus simplement, peu disposés à la prière. Or, nous le savons, la prière est au cœur de l’engagement du religieux. Il ne peut pas y avoir de consécra- tion religieuse durable s’il n’y a pas de relation régulière et nourrie avec le Seigneur. Cette lettre n’est pas une invitation à la fuite du monde, bien au contraire. Il s’agit pour moi de réveiller les sources profondes de notre amour et de nous aider à revenir vers Celui qui est à l’origine de tout bien. Sans vie intérieure so- lide, il n’y a pas d’apostolat conséquent. Pourquoi parler d’intériorité plutôt que de prière ? J’ai la conviction que notre monde entraîne une grande dispersion, 6 une fuite de l’homme à l’extérieur de lui. Nous n’avons jamais eu autant de « distractions » ou de « divertissements » au sens où Blaise Pascal l’entendait, c’est-à-dire de choses qui nous détournent de l’essentiel. L’intériorité est cette capacité de l’homme qui lui permet de vivre dans la vérité sans fuir le présent. Elle est cette source de vie qui jaillit en lui car elle le rattache à l’éternité. L’intériorité est une de ces valeurs qui permet de prendre conscience de sa personnalité, d’apprendre à regarder, ob- server, admirer, de « sentir et goûter les choses intérieure- ment », de remercier, de pardonner, de dépasser l'immédia- teté perceptible. Elle permet à chacun de se déconnecter des sollicitations immédiates du monde pour se retrouver seul à seul avec lui-même, se créer un espace et un temps pour le repos, le rêve, l’imagination, la réflexion, la prière. Comme l’écrit le père abbé général des cisterciens, le Père Mauro-Giuseppe Lepori : « La véritable crise de la vie chré- tienne, et de la vie religieuse et monastique, n’est pas une crise des formes, mais de la substance. Nous vivons dissipés, non parce que nous manquons de vertus, de discipline, de cohérence, mais parce que nous manquons d’expérience mys- tique dans notre relation avec le Christ. »1 Parler de la vie spirituelle, c’est aussi s’exposer personnel- lement. Car on ne peut demander à un aveugle de parler de peinture ou à un sourd de disserter sur la musique. Je serai humble dans mon approche, car je reconnais que je ne sais pas prier. Bien souvent ma prière est de demander au Sei- gneur, comme les apôtres le firent, de venir à mon aide pour m’apprendre à prier comme il le faut. Parler de la prière et de l’intériorité, c’est aussi se livrer aux autres. Une vie de prière 1 Frère Mauro-Giuseppe LEPORI, Lettre de Carême 2014, « Et si Dieu nous donnait son cœur ? ». 7 est nécessairement alimentée par des préférences, des au- teurs, des attitudes corporelles. Je dirai simplement comment je vis aussi cette expérience intime de la rencontre de Dieu, même si elle est très balbutiante et imparfaite. Je ne serai surtout pas un modèle, mais j’espère que ma franchise et ma passion pourront réveiller le goût de l’intimité avec le Dieu de Jésus-Christ. Je crois qu’il y a dans l’homme une aspiration à vivre pro- fondément la relation avec soi, avec les autres, avec l’univers et avec Dieu. Cette aspiration peut s’appeler intériorité ou vie spirituelle. Elle est la conviction que l’homme ne se résume pas à un assemblage d’atomes et de molécules, mais qu’il est bien un être doué de pensée et capable de se dépasser. La dimension mystique est souvent oubliée car notre envi- ronnement humain favorise la compétition et la rentabilité. Il n’y a pas de diplôme pour la vie intérieure et les rémunéra- tions professionnelles sont alignées sur l’efficacité et la pro- duction. La vie intérieure est le parent pauvre de notre mo- dernité. Le monde contemporain favorise l’extériorité et cela suscite un malaise dans la civilisation. Le consumérisme, l’individualisme, l’hédonisme ont perturbé profondément la vision traditionnelle de l’humain. Le croyant en Jésus-Christ constate ces évolutions et sou- haite annoncer, malgré tout, la Bonne nouvelle du Royaume. Ce Royaume qui est en nous et autour de nous comme le di- sait le Père Emmanuel d’Alzon. Le Père Mauro-Giuseppe Lepori écrivait récemment sur la situation de son ordre dans un autre article. Le texte peut être transposé à d’autres congrégations. J’adhère à sa vision de l’urgence d’une réforme de la vie religieuse en la recen- trant sur la vie intérieure. « Il nous est indispensable de retrouver la dimension mys- tique au cœur ou plutôt à la source de notre vocation. Ce qui 8 ne veut pas dire décoller de la réalité mais être conscient de la réalité totale et, par conséquent, mettre au centre de notre vie et de notre cœur la relation à Dieu, l’expérience de Dieu. » « Car en regardant les communautés, je me pose parfois la question : ces gens sont-ils religieux cisterciens par amour du Christ ou pour une autre raison ? Est-ce qu’ils rencontrent vraiment Jésus ? Ont-ils une relation vivante avec lui ? Vivent- ils par lui, avec lui, en lui ? » « Et entendons-nous, cette question de la mystique n’est pas réservée aux moniales ou aux monastères dits “contem- platifs” ; c’est une question urgente pour tous, je dirai même, encore plus urgente pour les communautés qui ont un enga- gement pastoral ou d’enseignement ou d’autres activités. Car sans ce centre, je constate que les gens se perdent, ils s’égarent, ils ne sont pas heureux, ils commencent à vivre comme des païens. »2 Cette remarque sur les païens rejoint un commentaire que fit le Père Hervé Stéphan lors de la visite canonique d’une province. Il avait constaté que les religieux se retrouvaient pour prier les jours de travail, mais qu’ils délaissaient la prière commune le dimanche. Hervé avait eu cette réflexion dure, mais exacte : « vous êtes devenus des athées pratiques. En oubliant le jour du Seigneur, vous vivez comme des païens. » La thèse que je défends dans cette lettre est reprise de la position d’un philosophe contemporain, Jean-Louis Chrétien3, qui considère que le fait marquant de la sécularisation n’est pas tant la disparition de la foi en Dieu qu’une crise de l’intériorité. La sécularisation a consacré une identité mo- 2 Mauro-Giuseppe LEPORI, « Sur la situation de l’ordre cister- cien », in Vies Consacrées, n° 1, 2015, p. 7. 3 Jean-Louis CHRÉTIEN, L’espace intérieur, Editions de Minuit, p. 60 et p. 252. 9 derne désaffectée de la présence de Dieu. Le contemporain habite seul dans son moi, dans sa conscience. L’intériorité a, en quelque sorte, été profanée. L’homme est seul avec lui- même. I. L’INTÉRIORITÉ DANS LA TRADITION ASSOMPTIONNISTE Il n’y a pas que les grands ordres qui ont une tradition spi- rituelle forte. Notre congrégation grâce à l’enseignement d’Emmanuel d’Alzon et à celui de saint Augustin, possède une armature solide pour la construction d’une vie spirituelle. Le Père d’Alzon a insisté pour que nous soyons tout « bonne- ment catholiques » et il avait raison. Nous n’avons pas de dévotions particulières, mais nous nous nourrissons à la tra- dition même de l’Église. Ce serait une erreur de croire que nous vivons une médiocrité spirituelle alors que nous avons un riche héritage. Notre congrégation est un institut apostolique, mais nous sommes religieux. Et la vie religieuse s’organise à partir d’un charisme de fondation qui doit circuler telle une sève dans les communautés et les religieux assomptionnistes. La vie intérieure selon le Père d’Alzon « La vie du religieux sera une vie d’oraison et de recueille- ment en présence de Dieu. » (E.S., p. 61) uploads/Religion/ 171-fortifiez-en-vous-l-homme-int-233-rieur-assumptio-org.pdf
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- Publié le Nov 11, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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