A propos de l’évolution de la conception du miracle de guérison dans le catholi
A propos de l’évolution de la conception du miracle de guérison dans le catholicisme au XXème siècle. Bernard UGEUX. Introduction Il a toujours été beaucoup question de miracles dans le christianisme, particulièrement dans l’Eglise catholique. Cela ne signifie pas pour autant que ceux-ci aient toujours été les bienvenus. Le paradoxe est qu’alors que des miracles doivent être sérieusement attestés pour une béatification ou une canonisation, l’institution ecclésiale est beaucoup moins à l’aise lorsqu’il est question d’une personne vivante qui réalise des miracles. De même pèse- t-il parfois un soupçon sur certaines manifestations extraordinaires dans le cadre de ce qu’on appelle la « religiosité populaire » (apparitions, visions) ou dans celui de la mystique. On sait de quelle façon ont été suspectés de leur vivant de grands mystiques comme Sainte Thérèse d’Avila ou Saint Jean de la Croix. L’émotion a toujours été passée au crible de la raison, souvent avec suspicion. A partir de l’époque des Lumières, les miracles ont été de plus en plus soupçonnés au nom des exigences de la rationalité moderne, aussi bien ceux des saints que ceux présentés dans les Evangiles. Jusqu’il y a une trentaine d’années, bien des croyants instruits affirmaient croire malgré les miracles, plutôt qu’à cause de ceux-ci. Ils les dérangeaient dans leur conception de Dieu et de son rapport aux lois de la nature. Les miracles étaient relégués dans le domaine de l’irrationnel ou de la naïveté populaire. Or, de nos jours, il semble que ceux-ci posent de moins en moins question dans certains milieux chrétiens, toutes confessions confondues. Il est normal qu’il y ait eu des miracles et qu’il y en ait toujours. Ils sont reconnus par un nombre croissant de chrétiens comme la preuve que Dieu est toujours à l’œuvre, jusque dans le cours des événements quotidiens. Mais quand on parle de miracle, que désigne-t-on ? Dans le langage courant, on considère que le miracle est un « fait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention divine bienveillante auquel on confère une signification spirituelle » (Le Petit Robert, 1985). Il y a, d’une part, un fait extraordinaire, et d’autre part, son interprétation spirituelle. Ce qui autorise à parler de miracle, c’est moins le caractère extraordinaire de l’événement que l’explication spirituelle qu’on lui donne… C’est ici que tout se joue. En effet, encore faut-il que le fait soit bien reconnu comme extraordinaire… Reconnu par qui ? Extraordinaire par rapport à quoi ? Par rapport à ce qui est considéré comme normal, habituel. Or, nous savons que c’est la culture qui définit la norme. Ce qui peut être considéré comme a-normal ou extra-ordinaire, d’origine divine ou surnaturelle même, dans telle culture, peut être interprété comme un phénomène tout à fait naturel ou normal, explicable selon les conventions L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. habituelles, la vision du monde ou les connaissances scientifiques dans une autre. Cette question relève donc autant de l’épistémologie que de l’herméneutique. Le débat sur le miracle est un débat sur la normativité religieuse ou culturelle. Si la définition du miracle a été étudiée de façon rigoureuse de la part de la hiérarchie catholique, c’est pour des raisons ecclésiales, religieuses et sociales évidentes. Il existe aussi des enjeux économiques et politiques (enjeux internes de pouvoir). D’un point de vue économique, pour ne parler que du succès des lieux de pèlerinage, les retombées sont évidentes. A Toulouse, on se souvient des concurrences médiévales entre sanctuaires tout au long des chemins de Saint-Jacques à propos de l’efficacité des reliques miraculeuses, sources de profits lucratifs et de prestige. Quant aux enjeux politiques, outre ceux qui sont liés aux enjeux économiques, ils concernent la responsabilité du maintien de l’orthodoxie et de l’ordre ecclésial. Les Eglises veillent à ce que leur corpus de croyances soit rigoureusement transmis, et qu’on ne confonde pas saine piété chrétienne et manifestation sauvage d’enthousiasme populaire, selon elles1. Tant qu’on reste dans le contexte des grands sanctuaires, les enjeux semblent relativement circonscrits. Or, de nos jours, il est question d’une multiplication de miracles dans les Eglises pentecôtistes et dans leur version récente, le Renouveau charismatique catholique. La question se pose donc à une échelle de plus en plus large, puisque le mouvement est mondial. Il est complexe, puisque des guérisons miraculeuses se produiraient dans des groupes informels, difficiles à circonscrire. En effet, certains groupes de prière se réunissent en marge (mais pas forcément en opposition) des structures ecclésiales habituelles. Cette remontée progressive de la croyance dans les miracles est à relier avec l’évolution contemporaine de la conception de la santé et de la maladie dans les sociétés occidentales et au déploiement de nouvelles demandes thérapeutiques qui s’accompagnent de plus en plus d’une recherche spirituelle (Psychologie Magazine, 1999). En outre, les Eglises chrétiennes se voient ainsi provoquées à approfondir le lien entre salut et santé dans leurs propres traditions. Les fidèles leur demandent : pourquoi les Eglises ne guériraient- elles pas aujourd’hui alors que le Christ le faisait dans le passé et a explicitement transmis ce pouvoir à ces disciples? Je traiterai ici des miracles de guérison en m’efforçant de fournir quelques repères sur l’évolution religieuse de leur interprétation au siècle dernier. Tout d’abord, quel sens est donné aux miracles par la tradition biblique ? Ensuite, qu’en est-il de l’évolution de la conception de la guérison miraculeuse à Lourdes ? Enfin, comment les guérisons sont-elles 1 Aujourd’hui encore, il existe de réelles tensions à ce sujet, par exemple, quant la reconnaissance de ce qui est considéré par un grand nombre de catholiques comme les apparitions successives et les messages de la Vierge Marie à Medjugorje (ex-Yougoslavie). La tension est grande entre les inconditionnels de « la base » (où l’on rencontre des religieux et des membres du clergé) et les garants de l’orthodoxie que sont les évêques. Il s’agit donc, pour les autorités ecclésiastiques légitimes, non seulement de maintenir l’authenticité du « dépôt de la foi » et de sa transmission mais aussi de contrôler les interprétations d’événements extraordinaires. 2 L’évolution de la conception du miracle de guérison. Bernard Ugeux. interprétées dans le Renouveau charismatique ? Je terminerai en suggérant que cette évolution s’inscrit bien dans le cadre des rapprochements contemporains entre santé et salut, quêtes spirituelles et attentes thérapeutiques. 1. La tradition biblique. Il est utile de rappeler tout d’abord l’étymologie du mot « miracle ». Il vient du verbe latin « mirari », s’étonner. Le premier sens du mot « miraculum » est : « ce qui provoque l’étonnement, l’admiration ». Or, dans la Bible, nous verrons que ce qui provoque l’étonnement, ce n’est pas le fait qu’il existe des phénomènes inexplicables par les sciences de l’époque, et ce, même si cet élément joue lors de certains événements (comme le passage de la mer Rouge, dans le livre de l’Exode). 1.1. Dans le Premier Testament. Pour l’homme biblique, puisque Dieu crée sans cesse, tout est source d’émerveillement, tout est « miracle ». Certains événements sont perçus comme des signes forts, dans certains contextes, non parce qu’ils sont extraordinaires, mais parce qu’ils sont lourds de sens pour le croyant. Ils rappellent la présence salutaire de Dieu parmi son peuple. Pour Rabbi Eléazar (IIIè siècle) : « Donner à l’homme son pain quotidien est un prodige aussi grand que de séparer les eaux de la mer Rouge2. » C’est pourquoi, ce qui intéresse les anciens, ce n’est pas la question de savoir si les miracles existent, mais le sens qu’ils portent. La référence privilégiée du Premier Testament est la libération d’Egypte. Celle-ci représente le paradigme de l’action salvifique de Dieu dans l’histoire du peuple élu. Il est bien le Dieu fidèle à son alliance avec l’homme. Les grands signes sont la traversée de la mer Rouge, la manne, l’eau qui jaillit du rocher, la colonne de nuée, etc. (cf. aussi le cycle d’Elie). Par ailleurs, les juifs n’opèrent pas la distinction entre miracle de guérison et exorcisme. Pour ceux-ci, il existe des puissances démoniaques qui sont des créatures, des puissances subordonnées qui ont reçu un pouvoir limité pour « mettre l’homme à l’épreuve ». Le mal est personnalisé par des agents auxiliaires : esprits, démons, même si on connaît des causes physiques des maladies et toute une pharmacopée. Cette démonologie permet d’évacuer toute responsabilité de Dieu à propos de l’origine du mal. Le lien est évident entre maladie et péché, entre les effets physiques et la cause psychique d’une maladie qui trouve son origine dans une rupture de relation avec soi-même, avec l’autre, avec Dieu. Dans la Bible, le péché a engendré la maladie et la mort 3. En outre, les juifs ne distinguent pas non plus les miracles qui concernent les êtres humains (les guérisons)4 de ceux qui affectent la nature (la traversée de la mer Rouge). Il 2 Midrash Tehillim, (Psaumes), cité dans Cahiers Evangile, 66, p.11. 3 Exode 9,1-12 ; Psaume 38,2-6 ; Ezéchiel 18,20 ; 1 Corinthiens 11,30. 4 Dans la religion d’Israël, Yahvé est souvent présenté comme le « guérisseur», ainsi que le montrent de nombreuses intercessions dans les psaumes. 3 L’évolution de uploads/Religion/ a-propos-des-miracles-de-guerison-revu.pdf
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- Publié le Dec 01, 2022
- Catégorie Religion
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