Annales de Normandie Les Northmanni en Francie occidentale au IXe siècle. Le ch

Annales de Normandie Les Northmanni en Francie occidentale au IXe siècle. Le chant de Louis Jens Schneider Citer ce document / Cite this document : Schneider Jens. Les Northmanni en Francie occidentale au IXe siècle. Le chant de Louis. In: Annales de Normandie, 53ᵉ année, n°4, 2003. pp. 291-315; doi : https://doi.org/10.3406/annor.2003.1453 https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2003_num_53_4_1453 Fichier pdf généré le 19/04/2018 LES NORTHMANNI EN FRANCIE OCCIDENTALE AU IXe SIÈCLE LE CHANT DE LOUIS1 Entre Abbeville et Eu, dans le Vimeu, non loin de la frontière de la Normandie, se trouve le lieu-dit Saucourt2. C'est là, à Sathulcurtis, probablement une sorte de villa rustica à l'époque, que se produisit l'une des rares victoires franques sur les Vikings. A part les traditions historiographiques des annales et des chroniques, il nous est parvenu un texte littéraire qui nous fournit des informations sur cet événement, la bataille dite de Saucourt. Le « Chant de Louis », Ludwigslied en allemand, a été nommé ainsi parce qu'il décrit en langue francique la victoire du jeune roi Louis III, petit-fils de Charles le Chauve, sur un groupe de Vikings au mois d'août 881 3. Pour vous familiariser avec le Chant de Louis III, je vais procéder en trois temps : dans un premier temps, je présenterai le texte dans son contexte, puis je discuterai le problème des invasions Scandinaves pour parvenir, dans un troisième temps, à une analyse plus proche de la source. Notre protagoniste est Louis III, fils de Louis dit Balbus, le Bègue, fils de Charles le Chauve, qui était, on le sait, petit-fils de Charlemagne. Charles le Chauve, le roi de Francie occidentale depuis le fameux traité de Verdun de 843, qui devint empereur en 875, est mort en 877. Son héritier et successeur était son fils mal aimé, Louis, qui avait fait une alliance contre la volonté de son père avec Ansgarde, fille du comte bourguignon Harduin4. De ce premier mariage, il avait deux fils, Louis et Carloman ; en 878 il repoussa leur mère pour épouser la fille du comte Adalard. Quand il mourut, en 879, sa deuxième femme était enceinte d'un fils, le futur Charles le Simple. Louis le Bègue avait prévu comme successeur son fils aîné, Louis III. Or ses dernières volontés ne furent pas respectées par tous les grands du royaume. Mettant 1 Le présent article est la publication d'une intervention tenue à l'Université de Caen Basse-Normandie le 15 mai 2002. Je remercie vivement François Neveux pour l'invitation, pour la lecture critique et pour de nombreuses corrections dans mon texte. 2 Commune de Nibas, canton de Friville-Escarbotin, arrondissement d'Abbeville, département de la Somme. 3 Je cite ici ma propre édition du Rithmus teutonicus dont la publication avec traduction française est prévue. Des nombreuses éditions je signale celle du Althochdeutsches Lesebuch, éd. W. Braune et E. A. Ebbinghaus, Tubingen 1979, p. 136-138. Sur l'événement voir infra n.28. 4 Pierre Riche, Les Carolingiens. Une famille qui fit l'Europe, Paris 1983, p. 205. Cf. Régine Le Jan, Famille et pouvoir dans le monde franc (VIT -Xe siècle). Essai d'anthropologie sociale, Paris 1995, p. 267-68. 292 J. SCHNEIDER en cause la légitimité du premier manage de Louis le Bègue, un parti proposait même le trône au roi de Francie orientale, Louis le Jeune, fils de Louis le Germanique. Après ces querelles de succession, les grands tombèrent finalement d'accord pour diviser le regnum occidental en deux - tradition franque - et pour faire couronner par conséquent les deux frères du premier mariage de Louis le Bègue. La partie septentrionale revenait à Louis III, qui n'avait 16 ans au maximum ; elle comprenait Paris et surtout Compiègne, le palais préféré de Charles le Chauve d'après le modèle d'Aix- la-Chapelle, et donc les anciennes Neustrie et Francie. La partie méridionale, comprenant l'Aquitaine et la Bourgogne (le futur duché), fut donnée à son frère cadet, Carloman5. Louis III ne survécut pas longtemps à son père. Quand il mourut en 882, d'un accident de cheval, le royaume occidental fiit réunifié sous l'autorité de Carloman qui mourut à son tour en 884. D'après les Annales de Saint- Vaast l'accident mortel de Louis se déroula ainsi : « Le roi, car il était jeune, pourchassait une jeune fille, en plaisantant ; monté â cheval, il la suivit jusqu'à la demeure de ses parents, où elle se réfugiait, mais au moment de franchir la porte il se heurta les épaules et la poitrine. A la suite de ces blessures, il mourut le 5 août à Saint-Denis, où il s 'était fait porter, à la grande douleur des Francs »6. Rétrospectivement, les aléas de la succession de l'empereur Charles le Chauve donnent l'image d'une série de malheurs La situation fut certainement ressentie de cette façon au tournant des années 884-885, lorsque la mort du dernier héritier capable de gouverner laissa le regnum occidental au fils posthume de Louis le Bègue, âgé de 5 ans. De plus, vers la même époque eurent lieu les bella Parisiace urbis que nous raconte Abbon de Saint-Germain7. Après les décès successifs des deux derniers rois qui paraissaient garantir une continuité dans les deux Francies, orientale et occidentale (Louis le Germanique en 876, son frère Charles le Chauve l'année suivante), les crises de succession ainsi que les raids vikings s'aggravant depuis 879 ont facilement été compris comme une punition divine. Quand cependant en 5 Sur les problèmes de succession et le nouveau partage en deux régna voir Annales de Saint-Bertin, éd. F. Grat et al. (Société de l'Histoire de France), Paris 1964 [cit. Ann.Bert.] ; Riche, Carolingiens, p. 205-209 ; Karl Ferdinand Werner, « Gauzlin von Saint-Denis und die westfrânkische Reichsteilung von Amiens (Màrz 880). Ein Beitrag zur Vorgeschichte von Odos Kônigtum », in: Deutsches Archiv 35 (1979), p. 395-462. Voir aussi Brigitte Kasten, Kônigssôhne und Kônigsherrschaft. Untersuchungen zur Teilhabe am Reich in der Merowin- ger- und Karolingerzeit, Hannover 1997, p. 480-489, qui souligne le rôle de Boson et sa femme Ermengarde, tante de Louis le Bègue. 6 Annales Vedastini (MGH SS rer. Germ. 12), a. 882, p. 52 : Sed quia iuvenis erat, quandam puellam, fdiam cuiusdam Germundi, insecutus est ; Ma in domo paterno fugiens, rex equo sedens iocando earn insecutus scapulas superliminare et pectus sella equi attrivit eumque valide confregit. Unde egrotare coepit et delatus apud Sanctum Dionisium Nonis Augusti defunctus maximum dolorem Francis reliquit (toutes traductions J. S.). 7 Abbon, Le Siège de Paris par les Normands. Poème du l)C siècle (Les Classiques..., 20), Paris 1964. Les Northmanni en Francie occidentale au IXe siècle. Le chant de Louis 293 881, peu après la défaite de son chancelier Gauzlin, pourtant expérimenté, Louis III fit preuve d'un dynamisme efficace, il fut regardé comme représentant d'une nouvelle génération de rois carolingiens. C'est Notker de Saint- Gall qui a utilisé l'expression de spes Europae à propos de Louis III et de son frère, un espoir pour l'Europe qui paraissait contredire les peurs du déclin de la royauté carolingienne8. Jusqu'à la mort surprenante de ce jeune roi prometteur, douze mois plus tard, l'ambiance dans le royaume occidental fut peut-être moins sombre. Sous le titre Rithmus teutonicus de piae memoriae Hluduico rege fdio Hluduici aeque régis on trouvera notre texte dans le manuscrit 150 de la Bibliothèque municipale de Valenciennes, qui conserve les archives de l'ancienne abbaye Saint-Amand (fol. 141v-143r)9. Il s'agit d'un codex du IXe siècle qui a été relié au XVe siècle en peau de bison non apprêtée, ce qui lui a valu le surnom de liber pilosus10. Quand a-t-on inscrit le « Chant de Louis » dans ce « livre pelu » ? Le chant glorifie la victoire du jeune roi encore vivant sur les Northmanni, mais la copie dans le manuscrit fut faite de piae memoriae. Cela nous donne un cadre assez fiable pour dater l'œuvre et sa mise par écrit : Le Rithmus fut sans doute composé entre la victoire de Saucourt, le 3 août 881 et la mort de Louis le 5 août 882 ; mais ce n'est qu'après qu'il fut copié dans notre manuscrit. Le codex fit longtemps partie de la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Amand, aujourd'hui ville de Saint- Amand-les-Eaux, située entre Valenciennes et Tournai11. Le monastère a été fondé au VIIe siècle par Amandus, qui a su obtenir du roi Dagobert (| 639) l'immunité pour sa fondation préférée. Le monastère fut d'abord nommé Elno, d'après le nom d'un petit confluent de la Scarpe qui représentait la frontière entre les diocèses de Cambrai et d'Arras. Prenant ensuite le nom de son fondateur, l'abbaye s'appela Saint- Amand-sur-1'Elnon. Elle semble avoir fait partie des « principaux foyers intellectuels de l'Occident » de l'époque de Charles le Chauve jusqu'au Xe siècle12. 8 Notker Balbulus, Continuatio Erchanberti (MGH SS 2), p. 330 : ... duobus filiis superstitibus, Ludovico videlicet et Carlomanno, qui nunc in primaeva aetate spes adolescunt et iam florescunt Europae. 9 Sur le manuscrit et son histoire Bernhard Bischoff, « Palâographische Fragen deutscher Denkmâler der Karolingerzeit », in : id. , Mittelalterliche Studien. Ausgewàhlte Aufsâtze zur Schriftkunde und Literaturgeschichte, Stuttgart 1981, t. 3, p. 73-1 1 1, uploads/Religion/ annor-0003-4134-2003-num-53-4-1453.pdf

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  • Publié le Jui 30, 2021
  • Catégorie Religion
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