ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE Cours dispensé par le Père Gomido Jean Marie BOTCHI, D
ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE Cours dispensé par le Père Gomido Jean Marie BOTCHI, Dr. ès Sciences humaines et sociales, option Science des Religions et Science Théologique. INTRODUCTION Cf. « De l’anthropologie religieuse », in MESLIN Michel, Pour une science des religions, Paris, Seuil, 1973. Cette introduction à l’anthropologie religieuse se veut tripartite. Car avant de souligner l’importance de ce qu’il en est de l’intentionnalité du sujet, elle relèvera d’abord, d’une part, la centralité de l’homme et, d’autre part, le soupçon des théories qui pèse sur la religion. 1. De la nécessité de partir de l’homme pour en venir à l’Homme Le fait religieux, en tant que fait social, constitue l’une des zones de recouvrement les plus récentes des sciences humaines1. C’est notamment à partir d’un article de M. MESLIN (1985 : 31-52) que commença à prendre de l’importance la notion d’« analyse anthropologique du religieux ». Dans cet article, en effet, l’auteur montrait que toute l’évolution récente de l’histoire des religions tendait, sous l’effet des sciences de l’homme, à aller de plus en plus dans le sens d’une anthropologie des religions. Déjà, une dizaine d’années plus tôt, M. MESLIN (1973) affirmait que la perspective anthropologique était à considérer comme fondamentale pour l’histoire des religions. De fait, ce qu’il convient d’appeler le « sacré » ne peut être saisi que là où il se rencontre, c’est- à-dire jamais à l’état pur, mais dans l’existence même de l’homme qui le circonscrit en le concevant. Il s’avère donc important de partir de l’homme, de l’homme concret, pour en venir à l’Homme. Au fait, le postulat de l’anthropologie2, c’est l’unité et même une certaine identité des hommes. La démarche de l’anthropologie revient à rechercher et à révéler, par-delà la diversité des cultures, les structures de l’esprit humain, telles qu’elles se manifestent dans les actions et les œuvres tant collectives qu’individuelles. Est- il pour autant possible de parler en termes d’anthropologie des religions? 2. Le soupçon des théories contemporaines (la psychologie des profondeurs) 1 Pour ce qui relève du fait social, cf. DURKHEIM (1937) et pour ce qui est du fait social total, cf. MAUSS (1950). 2 Par « postulat », entendre principe indémontrable paraissant légitime et incontestable. Cette question qui remet en cause la présente entreprise, en vaut la peine ; et ce en raison du soupçon que certaines théories contemporaines ont jeté sur l’autonomie et, de façon bien plus radicale, sur l’existence de la religion. Ces théories tentent en effet de réduire la religion soit à des déterminations socioéconomiques, soit à de simples causes psychologiques3, occasionnant ainsi des doutes vis-à-vis de la validité de l’anthropologie des religions. Et pourtant l’effort de comprendre l’homme implique nécessairement et inclut effectivement l’étude de ses comportements religieux. Ceux-ci ne constituent pas un fait particulier et isolé; car, à y voir de près, la relation à laquelle ils donnent lieu (relation vécue par l’homme croyant entre lui-même et le divin/sacré) est un fait universel. C’est en cet effort que consiste l’objet de toute anthropologie des religions : à savoir l’analyse des relations de l’homme avec le divin, c’est-à-dire le sacré. La méthode pour appréhender les processus et les manifestations de ces rapports consiste tout d’abord à étudier les modalités selon lesquelles les acteurs sociaux vivent leurs croyances et conçoivent leurs pratiques. Pour ce faire, le chercheur se doit d’observer les comportements ; il se doit aussi et surtout de tenir compte du dire des acteurs sociaux concernés. Le chercheur réalise cette étude quand il s’efforce de saisir la croyance de l’intérieur, en se substituant en quelque sorte au croyant qu’il essaie de comprendre. Cette observation participative - qui relève de fait d’une approche subjective - ne suffit pas à l’anthropologie qui, comme discipline académique, veut satisfaire aux exigences scientifiques ; car il lui faut régulièrement allier à cette approche une interprétation objective qui prend le fait religieux pour lui-même et en recherche le sens obvie (obvius : qui vient au- devant, sens qui se présente tout naturellement à l’esprit). Cette démarche présente pourtant des ambiguïtés. Car la capacité de l’observateur de se transposer en autrui, afin de saisir ce que l’autre vit et en quoi il croit, comporte des risques ; elle expose, en effet, le chercheur au risque de se projeter soi-même, d’être toujours soi avec l’autre en le réduisant à sa propre subjectivité. L’ambiguïté apparaît, d’autre part, quand on commence à douter méthodiquement de ladite démarche : en effet, est-il réellement possible de sortir un instant de soi même pour mieux comprendre l’autre et de dépasser sa finitude intellectuelle, en acceptant de se soumettre à un texte 3 On pourrait, à cet effet, se référer à la théorie freudienne de la religion (L’avenir d’une illusion, Totem et tabou), à la théorie durkheimienne de la religion et (Les formes élémentaires de la vie religieuse), enfin, à la théorie marxiste de la religion. sacré qui est le sien, à ses symboles cultuels, en tenant compte de l’intentionnalité particulière de ses rites, bref en assumant la médiation de sa tradition religieuse ? Certes, ce qui importe, c’est d’expliquer et de comprendre, tout en sachant bien qu’il ne peut y avoir d’explication qui ne se fonde d’abord sur la compréhension la plus large possible. Un tel projet suppose donc une ouverture indispensable à l’autre. Or, la grande difficulté d’une anthropologie des religions, qui a pour objet l’homme dans ses relations avec le divin, c’est précisément de savoir si cet homme est un autre que moi qui l’étudie et essaie de le comprendre. Comment cet autre se situe-t- il par rapport à moi et à ma propre culture ? Quelle que soit l’importance de cette interrogation qui doit rester présente à chaque moment de l’investigation, nous tenons pour approprié le fait que l’analyse d’une religion à travers ses manifestations est la démarche la plus scientifique pour en saisir la nature intime. 3. Le retour à l’intentionnalité Le chercheur se doit d’attacher une importance primordiale aux diverses manifestations des religions. Ces manifestations sont en fait le donné empirique de l’histoire et constituent le revêtement des phénomènes religieux. La tâche du chercheur est précisément d’ordonner (de classer) ces diverses manifestations. Une telle démarche devra précéder l’effort de compréhension des diverses expériences religieuses. Au fait, celles-ci, par-delà les éléments accidentels qui pourraient les différer les unes des autres, sont identiques sous le rapport des structures qui leur sont propres. C’est bien cela qui amène M. MESLIN (1988 : 10) à affirmer : « Cette permanence qui subsiste, malgré les différences de détails qui sont le produit de l’évolution historique, autorise pleinement le chercheur à détacher ces phénomènes religieux de la diachronie et à les regrouper afin de les comparer et de les analyser hors de toute perspective strictement historique ». En effet, l’anthropologie des religions est à la recherche de ce qui autorise à parler de la quasi universalité des expériences religieuses dans les cultures. Et le moyen pour y parvenir, c’est tout d’abord de partir de l’analyse rigoureuse et concrète des réalités vécues par le sujet, afin de mettre en évidence sa dimension culturelle. Pour ce faire, l’anthropologie des religions prend en compte les faits religieux comme des faits de culture, saisis dans leur rapport vivant avec tous les autres éléments qui constituent le contexte existentiel où se déploie le religieux. Les faits de culture dont il faut tenir le plus grand compte, ce sont non seulement tout langage religieux, mais aussi les traditions qui l’interprètent4. C’est donc par des faits de culture que se laisse atteindre le fait religieux. Il faut par ailleurs veiller à ne pas confondre le fait religieux avec le fait historique. Car les paramètres économiques, politiques, sociaux ou culturels dont il est le contemporain ne sont pas les seuls qui le déterminent. Autrement dit, le groupe dont il relève n’est pas nécessairement l’instance capable de le comprendre ni de l’expliquer. Car sa substance ne se produit pas, ne s’épuise pas non plus tout entière dans l’événement et dans sa manifestation. C’est cette incapacité … qui explique le recours aux sciences humaines dont l’ambition est d’interpréter cet au-delà de l’évènement et de mettre en évidence la substance même du fait religieux. De ces sciences, nous savons qu’elles ont parfois failli par excès de systématisation5. Retenons toutefois que le fait religieux se laisse appréhender comme un système construit par la réflexion portant sur les problèmes de fond que doit affronter l’homme : la vie, la mort, l’amour, la haine, le bien, le mal, etc. Un premier niveau de systématisation peut ainsi avoir pour objet les croyances, les mythes, les rituels. Un deuxième niveau de systématisation concernerait, par ailleurs, l’interprétation de toute religion par ceux qui l’observent. Les sciences humaines donnent leur contribution dans le cadre de cette interprétation. La diversité, mieux, la plurivocité de leurs réponses peut conduire à un conflit 4 Il faut distinguer entre langage et langue. Du « langage » : en linguistique, ce terme désigne un système symbolique de communication fondé sur un rapport conventionnel entre des signifiants, qui sont des formes émises par l’appareil phonatoire de l’homme, uploads/Religion/ anthropologie-des-religions.pdf
Documents similaires
-
13
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 12, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 0.2658MB