Le Témoignage du Comte Alexandre de Chayla : " Serge Alexandrovitch Nilus et le

Le Témoignage du Comte Alexandre de Chayla : " Serge Alexandrovitch Nilus et les Protocoles des Sages de Sion (1909-1920) - La tribune Juive, 14 Mai 1920 Introduction Dans les premiers jours d'avril 1921, après l'évacuation de la Crimée et un séjour de 4 mois à Constantinople, je suis arrivé à Lyon. Quel fut mon étonnement de voir parmi les nouveautés, aux vitrines des librairies de la place Bellecour, l'édition française des Protocols des Sages de Sion, c'est à- dire le même livre que Serge Alexandrovitch Nilus, que je connus personnellement, avait édité en 1902. Le vaste avant-propos rédigé par l'éditeur français, Monseigneur Jouin, tend à donner une analyse critique des éditions précédentes, à établir l'origine du document et à déterminer la personnalité de l'éditeur russe. Il contient certaines inexactitudes d'ailleurs bien compréhensibles. Ensuite, à la lecture des journaux russes paraissant à Paris, je me suis convaincu qu'une polémique s'est engagée dans diverses parties du monde et au sein même de la presse russe autour des Protocoles. L'ensemble de ces observations m'a incité à faire part de mes souvenirs sur S.A. Nilus et son oeuvre Je dois déclarer ici, afin de n'y plus revenir que les renseignements donnés sur la personne et l'œuvre de S.A. Nilus ont été recueillis au cours de rapports prolongés et immédiats avec lui et des personnes le connaissant bien. De plus, ces sources de renseignements ne peuvent être l'objet de suspicion ni sous le rapport de l'honnêteté ni sous celui de l'impartialité. Je ne nourris aucun mauvais sentiment à l'égard de Serge Alexandrovitch Nilus et n'ai pas de raison d'en nourrir. C'est pourquoi, sous de nombreux rapports, j'ai conscience d'être obligé d'épargner sa personnalité et de ne toucher sa vie privée que dans les côtés qui en sont connexes à la vie publique et pour autant que le nécessite la révélation de la Vérité, me rappelant la sentence: Amicus Plato, sed magis amica veritas. I. Comment j'ai connu S.A. Nilus Vers la fin de janvier 1909, mû par la recherche religieuse, je m'établis, sur le conseil du défunt Métropolite de Saint-Pétersbourg, Monseigneur Antoine, près du célèbre cloître nommé " Optina Poustyne ". Ce Monastère est situé à six verstes de la ville de Kozelsk dans le gouvernement de Kalouga, entre l'orée d'une grande forêt de sapins et la rive gauche de la Rivière Jizdra. Auprès du monastère se trouve un certain nombre de villas où résidaient les laïcs désireux de vivre à un degré quelconque la vie monastique. A l'époque à laquelle se rapportent mes souvenirs, la communauté comprenait environ 400 moines qui s'occupaient d'agriculture et menaient aussi une vie contemplative sous la direction spirituelle de 3 " Anciens " . Il fut un temps où le Monastère d'Optina fut la source d'une influence spirituelle remarquable sur l'un des courants les plus importants de la pensée russe. L'Institut des " Anciens " d'Optina, en la personne des Pères Macaire et Ambroise, fut considéré par les premiers slavophiles comme un centre directeur. Au cimetière monastique, auprès des Pères Macaire et Ambroise, reposent leurs disciples, les deux écrivains frères Kiréevsky. Deux autres célèbres publicistes, Khomiakoff et Aksakoff, visitèrent souvent le monastère, où passa les dernières années de sa vie un autre écrivain célèbre, Constantin Léontieff, devenu oblat. La bibliothèque monastique garde une très précieuse correspondance avec ces écrivains, ainsi qu'avec Gogol et Dostoïevsky. Ce dernier a immortalisé sous l'image artistique de l'ancien Zocime (dans le roman Les frères Karamazof les traits vivants du Père Ambroise et son enseignement mystique. Même L.N. Tolstoï visita souvent Optina, et certainement que tous se souviennent que c'est là que fut l'avant-dernière étape, si mystérieuse et encore non expliquée, de sa vie. Il ne sera pas superflu de souligner ici que les anciens d'Optina, que j'ai connus, les P .P. Varsonophie, Joseph et Anatole n'avaient rien de commun avec les aventuriers de Cour qui entourèrent le trône du dernier Tsar. Les anciens d'Optina étaient des gens éclairés, pénétrés d'un esprit de charité et de tolérance, toujours libres à l'égard des puissants de ce monde et attentifs à la seule douleur humaine ; proches du peuple et comprenant son affliction illimitée, ils consacraient tout leur temps à consoler les malheureux et les offensés qui par milliers venaient les trouver. L'existence de cet institut et la prolongation de certaines traditions intellectuelles religieuses attiraient donc à Optina les intellectuels russes que passionnait la recherche religieuse. Le jour qui suivit mon arrivée, le Supérieur du Monastère, l'Archimandrite Xénophon, me proposa de me faire faire connaissance de M. S.A. Nilus, écrivain religieux vivant également auprès du Monastère. J'en avais déjà entendu parler à Pétersbourg par M. W.A. Ternawtseff, fonctionnaire pour les missions spéciales auprès du Procureur Général du Saint-Synode et membre de la Société Philosophique religieuse. II m'en avait parlé comme d'un homme intéressant, mais fort original. Après dîner, dans l'appartement du Supérieur, je fis connaissance de Serge Alexandrovitch Nilus. C'était un homme de 45 ans, un vrai type russe, grand et fort, avec une barbe grise et des yeux profonds, bleus, mais comme légèrement couverts d'un voile trouble. Il était en bottes et vêtu d'une chemise russe, ceinte d'un ruban brodé d'une prière. S.A. Nilus parlait fort bien le français, ce qui était alors très précieux pour moi. Nous étions tous deux fort contents d'avoir fait connaissance et je ne manquais pas de profiter de son invitation. Il habitait une grande villa de 8- 10 pièces, où demeuraient avant les évêques retraités. La maison était entourée d'un grand jardin fruitier clos d'une palissade de bois, au-delà de laquelle noircissait la forêt. Serge Alexandrovitch et sa famille composée de trois personnes n'occupaient que quatre pièces ; dans les autres se trouvait un asile entretenu sur la pension que le ministère de la Cour payait à la femme de S.A. Nilus. Cet asile abritait toutes sortes d'estropiés, d'idiots et de possédés, attendant une guérison miraculeuse. En un mot, cette partie de la maison était une véritable Cour des Miracles. Le logement de Nilus était meublé dans le genre des vieilles demeures seigneuriales avec quantité de portraits impériaux portant des autographes et donnés à la femme de Nilus ; il y avait quelques bons tableaux et une importante bibliothèque touchant toutes les branches de la connaissance humaine. Il y avait aussi un oratoire où Nilus célébrait, selon le rite des laïcs, le culte domestique. Dans la suite, l'évocation de tout cela s'unissait toujours dans mon imagination avec ces hermitages de vieux croyants que nous a dépeints Lieskoff. La famille Nilus provenait d'un émigré suédois venu en Russie au temps de Pierre Ier. Serge Alexandrovitch assurait qu'en ligne féminine coulait dans ses veines le sang de Maliouta Skouratoff (le bourreau d'Ivan le Terrible). Peut-être est-ce pour cela qu'étant lui-même grand admirateur du servage et de la fermeté antique, il aimait à défendre la mémoire du Terrible. Personnellement Nilus était un propriétaire ruiné du Gouvernement d'Orel. Il était voisin de terres avec M.A. Stakhovitch, dont il parlait souvent, d'ailleurs pas en bons termes, à cause de " sa libre pensée ". Son frère, Dmitry Alexandrovitch Nilus, était président du Tribunal de Moscou. Les deux frères étaient ennemis. Serge Alexandrovitch tenant Dmitry pour un athée et celui-ci considérant Serge comme un fou. S.A. Nilus était certainement un homme instruit. Il avait terminé avec succès le cours de la Faculté de droit à l'Université de Moscou. De plus, il possédait à la perfection le français, l'allemand et l'anglais et connaissait à fond la littérature contemporaine étrangère. Ainsi que je l'appris plus tard, S.A. Nilus ne pouvait s'entendre avec personne. Son caractère tumultueux, cassant et capricieux, l'avait obligé à abandonner le service au ministère de la Justice, où il avait reçu un poste de juge d'instruction en Transcaucasie, sur la frontière de Perse. Il avait essayé d'un [sic] faire-valoir dans sa propriété, mais il s'était trouvé trop intellectuel pour cela. Il se passionna pour la philosophie de Nietzsche, l'anarchisme théorique et la négation radicale de la civilisation actuelle". Dans un tel état d'esprit S.A. Nilus ne pouvait vivre en Russie. Il partit pour l'Étranger avec une dame K et vécut ainsi longtemps en France, en particulier à Biarritz, tant que son intendant ne lui eût appris que sa propriété d'Orel et lui-même étaient ruinés. C'est alors, aux environs de 1900, que sous l'influence de déboires matériels et de graves épreuves morales, il vécut une crise spirituelle qui l'amena au mysticisme. Il en sera question plus bas. S.A. Nilus me présenta à sa femme, Hélène Alexandrovna Ozerova, ancienne demoiselle d'honneur de l'impératrice Alexandra Féodorovna ; elle était fille de M. Ozeroff, Maître de la Cour et ancien ministre de Russie à Athènes. Son frère, le Major-Général David Alexandrovitch Ozeroff, était Maréchal du Palais d'Anitchkoff. Mme H.A. Nilus, était, au plus haut point, une femme bonne, soumise, et absolument subordonnée à son mari jusqu'à complète abnégation de soi- même, au point d'être dans les meilleurs rapports avec l'ancienne amie de M. Nilus, Madame K., qui, s'étant aussi ruinée, avait également trouvé asile chez eux, dans leur uploads/Religion/ le-temoignage-du-comte-alexandre-de-chayla.pdf

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  • Publié le Mar 03, 2022
  • Catégorie Religion
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