Georges Vajda Louis Gardet et M.-M. Anawati. Introduction à la Théologie musulm

Georges Vajda Louis Gardet et M.-M. Anawati. Introduction à la Théologie musulmane. Essai de théologie comparée In: Revue de l'histoire des religions, tome 136 n°1, 1949. pp. 104-109. Citer ce document / Cite this document : Vajda Georges. Louis Gardet et M.-M. Anawati. Introduction à la Théologie musulmane. Essai de théologie comparée. In: Revue de l'histoire des religions, tome 136 n°1, 1949. pp. 104-109. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1949_num_136_1_5671 104 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS Louis Gardet et M. -M. Anawati, Introduction à la Théologie musulmane. Essai de théologie comparée (Études de Philosophie médiévale, XXXVII). Paris, J. Vrin, 1948, gr. in-8°, vu + 543 p. La réputée collection, dirigée par M. Etienne Gilson, où ont paru tant de travaux importants relatifs à la pensée philosophique et religieuse du moyen âge latin, commence à élargir ses cadres en accueillant des études sur des systèmes de pensée inspirés du judaïsme et de l'islamisme. La coopération de chercheurs armés pour l'inves tigation des théologies et philosophies hébraïques et arabes avec les médiévistes au sens étroit est une réalisation heureuse de coordinat ion de recherches ; elle a déjà porté ses premiers fruits et continuera certainement à promouvoir les études dans l'un et l'autre de ces domaines contigus. Le présent ouvrage est l'œuvre commune de deux théologiens catholiques, et théologiens thomistes, qui joignent à leur solide fo rmation scolastique (conjuguée avec une culture philosophique géné rale qui n'est pas toujours l'apanage de leurs confrères), la connais sance de l'arabe et une appréciable érudition islamologique. Leur fidélité à leurs croyances et à une position philosophico-théologique déterminée ne fait aucun tort à leur volonté sincère de comprendre par le dedans un univers mental séparé du leur et quant à ses pré supposés religieux et à ses bases philosophiques. Et de leur effort patiemment poursuivi depuis une douzaine d'années (rappelons que M. L. Gardet est l'auteur, entre autres, d'études fort importantes sur Ghazâlî et Avicenne, publiées dans la Revue Thomiste, 1937 et suiv.) résulte cet « essai de théologie comparée », prélude d'ailleurs de monog raphies encore plus spécialisées. Dans cette étude en somme préliminaire, il s'agit d'analyser et de situer ce qu'on peut appeler, largo sensu, la « théologie officielle » ou plutôt officiellement enseignée de l'Islam, c'est-à-dire la méthode dialectique à visées surtout apologétiques, nommée kalâm. Mais cette désignation même de « théologie » est quelque peu équivoque. Un esprit insuffisamment instruit ou trop imbu de notions occidentales pourrait céder trop facilement à la tentation d'établir des rapproche ments hâtifs avec la théologie chrétienne d'où résulteraient inévit ablement des jugements historiques faux ou de spécieux triomphes polémiques et apologétiques. Ces écueils n'ont pas été toujours évités même par des savants bien informés et de l'Islam et de la théologie chrétienne. De là, le dessein de nos auteurs de procéder, après « l'analyse directe et exhaust ive des textes saisis pour eux-mêmes », à la saisie « en profondeur » et la reconstitution des grands thèmes doctrinaux. Pour ce faire, il leur a paru nécessaire de situer le kalâm, théologie spéculative musul mane, par rapport au seul repère qui pût en faire ressortir les carac tères essentiels : ce repère est la théologie chrétienne, dans son ANALYSES ET COMPTES RENDUS 105 développement historique d'abord, mais surtout dans son statut le plus élaboré et sa cristallisation à leur gré la plus pure qui est la synthèse thomiste, sans négliger pour autant les références que pou vaient fournir d'autres systèmes théologiques, catholiques ou protes tants, de toutes les périodes de l'histoire. Et comme la théologie est, pour nos auteurs, non seulement objet d'études descriptives et rétros pectives, mais valeur vivante de spiritualité et facteur permanent et toujours actuel de culture, ils méditent, en conclusion à leur livre, sur la situation présente et les perspectives d'avenir des deux pensées par eux confrontées et mutuellement éclairées. Confrontation minutieuse et pénétrante, historique et spéculative, conduite avec grande prudence et un sens affiné des nuances, sou cieuse de fixer avec autant de précision que de loyauté les notions en jeu dans l'un et l'autre système. Nous avons tout ďaborďun exposé très pertinent et excellemment documenté de « la théologie musulmane (kalâm) dans son contexte historique » qui remplacera avantageusement ceux qu'on lit habituellement dans les manuels d'histoire des religions ou de la philosophie et les initiations élément aires à l'Islam, et dont la lecture stimulera la réflexion de l'orien taliste de métier quand même il n'apporterait pas un accroissement matériel à ses connaissances. Les évolutions parallèles en chrétienté sont esquissées à leur place. Le kalâm est, ensuite, situé dans l'organisation du savoir, ou, si l'on veut, le système des sciences chez les Musulmans. Le troisième chapitre analyse sommairement les principaux traités de théologie, depuis les premiers credo jusqu'aux manuels de basse époque et modernes employés dans l'enseignement courant des mosquées- universités ; outre les textes classiques et largement diffusés par l'impression, les auteurs utilisent ici même de l'inédit. Le principal effort porte naturellement sur les IIe et IIIe parties : la genèse de la théologie chrétienne dans ses références à la pensée musulmane, nature et méthode. Les thèmes scrutés ici sont le statut du travail théologique dans les deux religions considérées, la situation et les rapports de la philo sophie et de la théologie, les notions de foi et de raison, les sources de la connaissance et les « lieux théologiques » (en chrétienté — Coran, tradition et consensus en Islam), l'œuvre théologique enfin, consta tation, explication (théologie chrétienne), preuves (kalâm), qualifi cation *(« notes » attribuées aux opinions, de caractère plutôt théolo gique en chrétienté, juridique en Islam). Pour ce qui est du kalâm, ces recherches en dessinent, à travers de multiples méandres, l'évolution ou plutôt l'adaptation, un peu contrainte d'ailleurs, à la croissante complexité des problèmes, par modernisation, si l'on peut dire, de l'outillage conceptuel initialement employé. Au commencement était une sorte ďars disputandi encore assez fruste : argumentation ad hominem et méthode démonstrative 106 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS faite surtout de raisonnement par analogie du particulier au parti culier (procédé qui prit naissance dans la jurisprudence et qui corres pond à certains égards, les auteurs le notent avec raison, à l'hermé neutique des talmudistes) ; les bases spéculatives sont fournies par un atomisme et un occasion alisme que les mutakallimûn crurent merveilleusement accordés à l'idée coranique de la souveraineté divine. Si le kalâm n'a jamais renoncé à l'occasionalisme en méta physique (l'atomisme sera, plus tard, laissé souvent dans le magasin aux accessoires), il perfectionnera du moins sa dialectique par un emploi de plus en plus intensif de la logique aristotélicienne. Tout compte fait, le kalâm sut très peu renouveler sa problématique, si bien que sa décadence se caractérise par le rabâchage d'argumentat ions désuètes contre des adversaires désormais inexistants ou le repli sur- un semi-agnosticisme qui élude les problèmes spéculatifs. Cette dernière position demeure celle du šayh 'Abduh qui a tenté, à la fin du *xixe siècle, de redonner quelque vigueur à la théologie d'école, en l'accommodant à la mentalité de ses coreligionnaires de plus en plus contaminée par la pensée occidentale vulgarisée. Il y a joint, symptôme d'une, spiritualité, dirions-nous, peu sûre d'elle-même, l'insistance pragmatiste sur l'efficacité sociale de la foi musulmane. Du point de vue où se placent les auteurs, celui du théologien thomiste, la différence est profonde entre théologie chrétienne et kalâm : la première est une science « subalternée » à la « science des saints » (cf. pp. 130-131, 364) ; le théologien est par définition croyant, les vérités de foi sont les principes de son labeur intellectuel (p. 459), et si la fonction préalable de la théologie chrétienne est de constat ation, de défense et de réfutation, sa fonction principale est de recherche et d'illumination (cf. p. 443). Le kalâm est, par contre, essentiellement instrument de défense, apologétique ; les vérités de foi sont pour lui non pas principes, mais vérités à démontrer (p. 459). D'ailleurs, le donné sur lequel s'exerce respectivement " l'effort du théologien chrétien et du mutakallim est très# différent, puisque nous constatons dans l'Islam Г « absence de mystères (intrinsèques expl icitement révélés touchant la vie divine » (p. 421). En tant que l'idée directrice de l'ouvrage est la mise en référence du kalâm avec la théologie chrétienne, il n'y a rien à redire à ces dis tinctions. Elles sont même de toute façon très utiles, puisque, dans leur rigueur, elles barrent la route à des rapprochements de détail hâtifs ou superficiels. Il n'en est pas moins évident qu'elles ne sont entièrement valables qu'à la condition qu'on partage la foi sous .l'éclairage duquel elles sont posées. Car enfin, que « les vérités de foi » soient des « principes » ou des « vérités à démontrer », ce sont, dans tous les cas, des présupposés du labeur théologique. Et pour qui les vérités de foi ne sont pas d'avance soustraites à toute discussion par la raison humaine ne devant sa lumière qu'à elle-même, l'effort intel lectuel du théologien chrétien comme du mutakallim a pour ressort ANALYSES ET COMPTES RENDUS 107 le besoin uploads/Religion/ article-rhr-0035-1423-1949-num-136-1-5671.pdf

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  • Publié le Jul 07, 2022
  • Catégorie Religion
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