Bulletin de l'Association Guillaume Budé Les lignes de force de la spiritualité

Bulletin de l'Association Guillaume Budé Les lignes de force de la spiritualité byzantine (Esquisse) (Esquisse) Kostas Axelos Citer ce document / Cite this document : Axelos Kostas. Les lignes de force de la spiritualité byzantine (Esquisse). In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1957. pp. 3-20; doi : 10.3406/bude.1957.3795 http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1957_num_1_3_3795 Document généré le 30/05/2016 Les lignes de force de la spiritualité byzantine 1 (Esquisse) L'esprit humain contemporain, animé par un élan sans précédent, élan historique — ou plutôt historisant ? — et, pour combler son propre vide métaphysique, se lance de plus en plus dans l'entreprise de reconquête de toutes les manifestations spirituelles qui déployèrent leur force (et leur faiblesse) dans le continuum quadridimensionnel espace-temps. Et, inlassablement, cet esprit, qui se veut planétaire, essaie de reconstruire et de reconstituer toutes les demeures de Dieu édifiées au cours du devenir, tandis que le devenir historique lui-même tend effectivement aujourd'hui à se lancer, tête baissée, dans une course errante. Quand nous reconstituons la marche de l'histoire de la philosophie (occidentale) nous commençons avec la pensée antique et grecque, puis, nous passons à la pensée chrétienne et médiévale, pour arriver ensuite à la pensée moderne et européenne. Par « philosophie chrétienne et médiévale » nous entendons surtout — et presque exclusivement — l'apologétique, la dogmatique, la mystique et la scolastique de la chrétienté occidentale (la plus importante sans doute) et nous laissons dans l'ombre l'aile orientale, et foncièrement non-latine, du « moyen-âge chrétien », à savoir Byzance, l'« héritière » de l'Hellade. En nous penchant sur l'histoire de la pensée nous entendons par pensée principalement la philosophie — tant poétique que scientifique, il est vrai — et nous ne savons pas très bien si l'histoire de la spiritualité (de la mystique, de la théologie et de toute spiritualité ouverte) en fait partie. Le risque est double : saisir trop extensivement la portée de la pensée et son dévoilement à travers l'histoire ; mais aussi, rétrécir trop l'ouverture de la pensée et exclure d'elle des manifestations majeures de la saisie du monde dans sa totalité. Laissons ouverte cette question, scolaire quant à sa formu- i. Cf. aussi mes notes sur « la philosophie byzantine >> {Revue d'iiistoire et de philosophie religieuses, n° 2, 1952) et sur « l'art byzantin » {La vie intellectuelle, n° 1, 1955) ; la première fut écrite en marge du livre de B. Tatakis, La philosophie byzantine, P. U. F., 1950, auquel l'article présent emprunte également certains matériaux ; la seconde à propos du livre d'A. Gkabar, La peinture byzantine, Skira, 1953- — 4 — îation rigidement systématique, et demeurons ouverts à l'égard de toutes les grandes ouvertures — • religieuses, poétiques, philosophiques — tout en ne fermant pas les yeux à leurs différences si essentielles. Et essayons pour le moment d'entendre les voix spécifiques des Byzantins pensants et priants — priants plus que pensants. Prolongeant certaines lignes de la pensée païenne grecque, ayant reçu l'illumination de la révélation judéo-chrétienne, ayant derrière lui les Pères grecs de l'Église, se situant sur une terre non-occidentale, l'effort byzantin se déploie et vise la saisie du monde créé, visant en tout premier lieu le salut des créatures. Le monde est saisi comme étant une manifestation de l'être de la totalité, du Créateur premier et absolu dominant toutes les créa- turcs, et foudroyant cette créature glorieuse et misérable qu'est l'homme, étant, créé à l'image de Dieu. Le Dieu byzantin est un Dieu assoiffé de plénitude, et les croyants sont pris dans un étrange réseau où la mystique nourrit et tue ceux qui cherchent à connaître Dieu. Pouvons-nous faire resurgir, sans aucunement vouloir être exhaustifs, certaines figures de la spiritualité byzantine ? Mais pouvons-nous communiquer encore avec la tension de ceux qui aspiraient à la connaissance de Dieu, n'entendant certes pas la connaissance et le divin comme nous l'entendons, — ou ne l'entendons pas ? Et savons-nous quel est le sens d'une telle entreprise, en admettant qu'il puisse ne pas être purement « historique » ou même « théologique » ? I. La théologie et la mystique. i. Philopon et Léonce. — Considérons comme un des premiers moments de la pensée byzantine Jean Philopon d'Alexandrie (vie siècle). Professeur à l'Université de Constan- tinople — car la pensée byzantine fut aussi professorale — Philopon est un païen devenu chrétien. Ce sont les renégats du monde ancien qui aident toujours les mondes nouveaux à se constituer, faisant pénétrer en même temps l'esprit ancien dans le souffle neuf. L'auteur de commentaires d'Aristote — rédigés avant sa conversion — - passe du paganisme néoplatonicien et magique au Christianisme, cherchant un salut pour son âme et une vérité pour son esprit. Commentateur de Platon et d'Aristote, auteur chrétien, ce philosophe, savant et théologien, est un exé- gète du dogme, subordonnant en bon dualiste chrétien le savoir au croire. Néanmoins, le logos hellénique féconde ainsi la foi chrétienne, tout en se trouvant subjugué par elle : le discours sur la création ex nihilo du inonde, sur sa non-éternité est destiné à glorifier le Dieu absolu et emploie des arguments pour prouver un dogme révélé, saisi 'par la foi et pris en charge par l'autorité de l'Église. Pourtant, le logos devenant théo-logie côtoie toujours, et par essence, l'hérésie, l'orthodoxie gardant jalousement ses secrets. Jean Philopon n'y échappe point : en soutenant que le Père, le Fils et l'Esprit sont trois personnes distinctes il tomba dans l'hérésie trithéiste. Tout hérétique qu'il fût ce Byzantin influença fortement la pensée arabe et la pensée occidentale ; son rôle de commentateur d'Aristote s'avéra fécond et saint Thomas utilisera largement son commentaire sur le De anima. Léonce de Byzance, son contemporain, est un défenseur de l'orthodoxie et un des fondateurs de la scolastique byzantine. Fidèle à sa foi, il identifie Dieu et l'être, et pense que la vérité, pouvant être saisie par l'intelligence discursive, n'est pleinement atteinte que par la foi en la révélation et l'illumination, — dons divins. Lui aussi se sert de Platon, d'Aristote et des néoplatoniciens ; il se réfère même souvent au Pseudo-Denys mais prend grand soin de rester disciple fidèle des Pères de l'Église. Le problème qui le préoccupe est le problème christologique : éclairer la vraie nature du Dieu-homme, de Jésus- Christ, ces deux natures (divine et humaine) ne constituant qu'une seule hypo- stase, les trois hypostases de la Sainte-Trinité n'ayant, elles, qu'une nature. Il dénonce ainsi les hérésies de Philopon et se conforme aux exigences d'orthodoxie de l'orthodoxie. Léonce est pourtant un des Byzantins qui s'ouvrit le plus à i'aristotélisme, sans arriver néanmoins à communiquer avec le mouvement de la pensée du Stagirite, quant au fond et pas uniquement quant à la forme. 2. Jean Climaque. — Au seuil du VIIe siècle nous rencontrons Jean Climaque, l'abbé du mont Sinaï, qui n'est pas professeur mais moine, les universités et les monastères constituant les deux foyers de la « pensée » byzantine. Jean Climaque est une grande figure de la spiritualité monastique : mystique, pratique et ascétique. Enseignant le renoncement extérieur et le détachement intérieur, la séparation de tout et l'union avec Dieu, il formule la doctrine du moine solitaire dirigé vers la méditation assidue de la mort ; ainsi l'ascète sera amené à l'impassibilité, la quiétude sacrée. Après avoir effectué la retraite du monde et s'être adonné à l'intuition mystique l'ascète doit parvenir à Vr\ax>yia. totale. Ce qui unit l'homme à Dieu — ce qui peut et doit l'unir — c'est essentiellement la prière. Dans son écrit Y Échelle (KXïy.a.F), livre traduit dans les principales langues de l'Europe, se trouvent décrits les efforts ascendants et progressifs que ceux qui aspirent à l'union mystique doivent accomplir. Nous y lisons : Car le même Feu qui consume est aussi la Lumière qui éclaire. De îà vient que certains sortent de îa prière comme ils sortiraient d'une fournaise, en éprouvant comme l'allégement d'une souillure et d'une matière tandis que d'autres en sortent illuminés et revêtus du manteau double de l'humilité et de l'exultation. Ceux qui sortent de la prière sans l'un de ces deux effets ont fait une prière corporelle, pour ne pas dire juive, non une prière spirituelle. Si le corps qui en touche un autre subit un effet d'altération, comment ne subirait pas une altération celui qui touche le Corps du Seigneur avec des mains innocentes ?... On n'apprend pas à voir, c'est un effet de la nature. La beauté de la prière ne s'apprend pas non plus par l'enseignement d'autrui. Elle a son maître en elle-même, Dieu « qui enseigne aux hommes la science » (Ps. 94, 10), donne la prière à celui qui prie et bénit les années des justes 2. Pouvons-nous communiquer encore avec le sens de ce don et de cet abandon autrement que par le biais de la saisie historique, psychologique ou théologique du mystère du religare et du reli- gere, mystère impliquant sans doute sa propre errance ? 3. Maxime le Confesseur. — Saint Maxime le Confesseur se retire lui également dans un couvent et meurt en martyr pour sa foi (en 662) — uploads/Religion/ axelos-filosofia-bizantina.pdf

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  • Publié le Oct 06, 2022
  • Catégorie Religion
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