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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « L'Église et la divination au Moyen Âge, ou les avatars d'une pastorale ambiguë » Pierre Boglioni Théologiques, vol. 8, n° 1, 2000, p. 37-66. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/005001ar DOI: 10.7202/005001ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 24 janvier 2017 03:33 Théologiques 8/1 (2000) 37-66 L’Église et la divination au Moyen Âge, ou les avatars d’une pastorale ambiguë Pierre BOGLIONI Département d’Histoire Université de Montréal 8/1 (2000)Pierre Boglioni Introduction Une curiosité intense pour les choses à venir, et la recherche de « clés » pour en dévoiler à l’avance le secret, constituent l’une des com- posantes majeures de la culture médiévale. À des degrés et selon des modalités diverses, cette curiosité touchait tous les milieux, portait sur tous les domaines, utilisait toutes les techniques. Le savant scrutait le cours des étoiles pour en déduire le destin des individus et des nations. Le théologien scrutait les Écritures pour y décoder, cachées dans les replis de textes obscurs et de chiffres mystérieux, les dates du dernier drame du monde.1 Le paysan écoutait le chant du coucou le premier mai, pour savoir combien d’années il lui resterait à vivre. Partout cir- culaient des listes d’empereurs, de rois ou de papes à venir, signalant à l’avance leur caractère, leurs hauts faits et leurs déboires.2 1. « La pensée de l’Apocalypse escorte le Moyen Âge tout entier, non dans les replis de l’hérésie, dans le secret des petites sectes cachées, mais au grand jour et pour l’enseignement de tous » (Henri FOCILLON, L’An Mil, Paris, 1952, cité par M.-D. CHENU, Lumière et Vie 11 [sept. 1953], p. 105). Sur ces aspects, voir ma notice bibl. « Les millénarismes médiévaux. Aperçu de la recherche récente ». Dans Millénarismes. Au seuil de l’ an 2000. Sous la dir. de Guy ROCHAIS [numéro spécial de Religiologiques. Sciences humaines et religion, 20 (automne 1999)], p. 87-111. 2. Marjorie REEVES, spécialiste de ce genre de littérature, considérait l’engouement pour les prophéties comme l’une des caractéristiques du Moyen Âge : « Perhaps we might say that only when intelligent and educated men ceased to take the prophecy seriously were the Middle Ages truly at an end » (Prophecy in the Later Middle Ages, p. 508). Sur les papes, les « prophéties de Malachie » (qui datent toutefois de c. 1590) sont probablement les plus célèbres. La liste comportait pour chaque pape, à partir de Célestin II (1143- 44) jusqu’à un Pierre II qui serait le pape de la fin du monde, un bref motto pour décrire sa personnalité. 38 PIERRE BOGLIONI En cela, le christianisme médiéval nous apparaît comme fort dif- férent par rapport au christianisme post-tridentin. Malgré des con- damnations théoriques répétées, il a toléré dans son sein des croyances et des attentes divinatoires, qu’il a marginalisées par la suite, et qui ne se retrouvent plus aujourd’hui que dans une culture folklorique évanescente, ou dans des pratiques individuelles et margi- nales. Face à ce constat, il se pose à l’historien un ensemble de problè- mes en rapport avec toute la stratégie pastorale de l’Église par rapport aux substrats culturels des peuples qu’elle rencontrait. Déjà les cultu- res juive, grecque et romaine comportaient des systèmes complexes de croyances et de pratiques divinatoires. Mais l’Église allait rencontrer d’autres systèmes dans les cultures germanique et celtique. Des élé- ments tout aussi importants en subsistaient dans une culture paysanne omniprésente, remontant au néolithique. Qu’a-t-elle condamné et qu’a-t-elle toléré? A-t-elle seulement condamné et détruit, ou a-t-elle aussi accepté des compromis? Si tel est le cas, dans quels domaines et selon quels critères? La réponse à ces questions n’est pas simple. D’abord, parce que le problème lui-même est d’une extraordinaire complexité. Les systèmes divinatoires se comptent par dizaines, chacun ayant une histoire pro- pre. Que l’on songe à l’astrologie et à l’oniromancie, deux domaines auxquels se rapportent de vastes bibliographies. Plusieurs de ces pra- tiques par contre, surtout au niveau populaire, ne nous sont connues que de façon partielle, par des documents souvent inédits ou fort dif- ficiles d’accès. Il manque encore un répertoire systématique des maté- riaux folkloriques du Moyen Âge. Il nous est impossible, par exemple, d’esquisser un tableau même approximatif de la divination par les animaux, alors qu’on sait, par des indices multiples, qu’elle a été fort variée et importante.3 3. Pour une approche générale, voir Divination, dans Encycoplaedia of Religion and Ethics, éd. J. HASTINGS, vol. IV (Édimbourg — New York, 1911), pp. 775-830 (avec une introd. générale et dix-sept notices spécifiques), et La divination. Études recueillies par André CAQUOT et Marcel LEIBOVICI, 2 vol., Paris, PUF, 1968, xx-358 et 580 p. (vingt-quatre articles, de grande qualité ; il y manque une étude sur la divination chrétienne). L’art. de T. ORTOLAN, Divination, dans le Dict. de théol. cath., IV/2 (Paris, 1911), col. 1441-1455, présente des matériaux juridiques et théologiques copieux, mais dans une perspective confessionnelle étroite. L’ÉGLISE ET LA DIVINATION AU MOYEN ÂGE 39 Deuxièmement, et surtout, parce que les historiens du christia- nisme se sont très peu intéressés au problème de l’acculturation réci- proque du christianisme et des cultures ambiantes. Ils ont en général accepté une vision théologique et triomphaliste de la mission chré- tienne, selon laquelle l’histoire du christianisme ne serait que la diffu- sion d’un message originel immuable, en rien entamé ou métamorphosé par les cultures des peuples qu’il a rencontrés. C’est une perspective qui ignore, ou camoufle sous la vague étiquette de « adaptations mineures », les changements substantiels que les croyances, l’imaginaire et les pratiques chrétiennes ont connu le long de l’histoire, sous la pression des substrats culturels que le christia- nisme a rencontrés. Les grandes absentes de l’historiographie du christianisme ont été et sont encore l’anthropologie et cette « religion populaire » qui en est le domaine de recherche le plus évident.4 Je ne saurais donc prétendre à une synthèse ou à un résumé systéma- tique. Il ne me semble pas pertinent, non plus, de composer une typologie complète des moyens de divination, ou une casuistique des domaines et de situations, qui tournerait vite au catalogue. Je proposerai quelques esquisses sur des points privilégiés et quelques amorces de réflexion, dans la ligne des problèmes évoqués, pour prouver au moins l’intérêt histori- que et pastoral du thème de la divination dans l’Église médiévale.5 Théologiens et pasteurs face à la divination L’ampleur et l’enracinement de la culture de la divination nous sont révélés par la constance et le sérieux avec lequel les théologiens 4. Cela vaut aussi pour la grande Kirchengeschichte publiée sous la direction de H. JEDIN (trad. angl. : Hubert JEDIN et John DOLAN, History of the Church, 10 vol., Londres, 1980-81), ainsi que pour la récente Histoire du christianisme (14 vol.), en cours de publication chez Desclée /Fayard. 5. L’art. de Jean-Claude SCHMITT, Les « superstitions », dans J. LE GOFF et René RÉMOND, Histoire de la France religieuse, t. I (Paris, Seuil, 1988, pp. 416-551) constitue le meilleur cadre général. On y ajoutera, dans la bibl. plus accessible, Richard KIECKHEFER, Magic in the Middle Ages. Cambridge Univ. Press, 1989, 219 p. (surtout pp. 85-90 : « Divination and Popular Astrology » ; pp.151-175) et Valerie I. J. FLINT. The Rise of Magic in Early Medieval Europe, Princeton Univ. Press, 1991, xii, 452 p. (passim). Mais voir aussi D. HARMENING, n. 7. 40 PIERRE BOGLIONI ont dû s’en occuper, soit par des traités spécifiques, soit le plus sou- vent à l’intérieur même de leurs œuvres générales. La problématique de la divination apparaît comme incontournable pour le théologien médiéval, jusqu’à la Réforme incluse, tandis qu’elle n’occupe prati- quement aucune place dans la théologie actuelle. Déjà Augustin, dans son traité Sur la doctrine chrétienne — rédigé pour l’essentiel en 396/7, comme une réflexion méthodologique sur ce qui, dans la culture païenne, pouvait être récupéré par un intellectuel chrétien — avait abordé avec une attention soutenue la culture divi- natoire. Il avait proposé une liste succincte de ses principales techni- ques et de « ces milliers d’observances absolument stupides » (millia inanissimarum observationum), qui lui semblaient irrécupérables pour une culture chrétienne.6 Dans le traité Sur la divination des démons (c. 406) il allait parachever de démoniser la divination tradi- tionnelle, en imputant aux pouvoirs extraordinaires des démons les extraordinaires réussites que l’opinion publique attribuait aux profes- sionnels de la divination. Sur chacun de ces points, Augustin allait revenir maintes fois dans l’ensemble de son œuvre. Au début du VIIe siècle, Isidore de Séville allait uploads/Religion/ boglioni-p-l-eglise-et-la-divination-au-moyen-age-ou-les-avatars-d-une-pastorale-ambigue.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
- Catégorie Religion
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