Leopold Szondi Claude Van Reeth Thanatos et Caïn. Au commencement de la culture
Leopold Szondi Claude Van Reeth Thanatos et Caïn. Au commencement de la culture In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 68, N°99, 1970. pp. 373-384. Citer ce document / Cite this document : Szondi Leopold, Van Reeth Claude. Thanatos et Caïn. Au commencement de la culture. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 68, N°99, 1970. pp. 373-384. doi : 10.3406/phlou.1970.5562 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1970_num_68_99_5562 Thanatos et Cain Au commencement de la culture Thanatos et Caïn à la lumière du langage et de la légende. Le mot « Thanatos » renvoie à plusieurs significations en grec ancien. Ainsi : la mort naturelle ; la mort violente, comme l'homicide et le meurtre; le danger de mort; l'inculpation d'homicide et de meurtre ; la peine de mort et l'exécution capitale ; le cadavre. En bref, tout ce qui peut mettre passivement et activement, subjectivement et objectivement, l'homme en rapport avec la mort a été exprimé par le mot « Thanatos » {1). Caïn est, d'après la légende biblique, le premier être humain qui fut conçu d'un homme et né d'une femme, et devint le meurtrier de son frère (Abel). La dérivation philosophique de nom propre «Caïn» continue à être la pomme de discorde entre les philologues et les théologiens. D'après le «Dictionnaire hébraïque et araméen» de W. Gesenius, Caïn signifie en araméen : lance et forgeron (2). D'autres le font dériver du mot hébraïque kana. Il signifie : 1) fonder, créer (par Dieu) ; 2) ac quérir (de Dieu). La Bible rapporte dans la Genèse 4, 1 : « L'homme connut Chawwa (Eve), sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : 'En conce vant Caïn j'ai avec Lui un homme' (traduction de M. Buber 23). " J'ai acquis un homme de par Javhé ". Le texte hébraïque est : « Watte- lêd et Caïn wattomêr caniti ich et Jahwê ». Plusieurs auteurs concluent à partir de cela que le nom « Caïn » dérive du verbe kana = « acquér ir » et signifierait par là même « possession » — F. Delitzsch (3), W. (x) W. Pape, Oriechisch-Deutsches Handwôrterbuch, Brunswick, G. Vieweg n. Sôhne, 1949, tome 1, p. 1073. (2) W. Gesenius, Hebrâisches und Aramàischea Handwôrterbuch iiber das AUe Testament, Berlin - Heidelberg, Springer, 1962, 17e édit., pp. 712 et 717. (3) F. Delitzsch, Die Genesis, Leipzig, Dôrffling et Franke, 1852, pp. 147 et 158. 374 Leopold Szondi Vischer (4), S. Speier (5), et d'autres — . Delitzsch écrit : « Le verbe kana réunit en lui les concepts de Kriaeiv et Krâadai, procreare (con- dere) et acquirere*. On peut donc traduire ici: j'ai procréé ou j'ai acquis pour moi-même — W. Vischer (6) — . W. Gesenius considère ce passage inintelligible. Caïn serait aussi le nom de la lignée des Kéniens — Gesenius (7) — . Chez W. Vischer nous lisons : « D'une signification décisive pour fonder l'hypothèse des Kéniens est de rapprocher la race du désert Caïn (dont témoigne l'histoire d'Israël) avec le Caïn de la Genèse (8) ». Cette hypothèse a d'abord été exprimée (1876) par Wellhausen (Composition de l'hexateuque) et ensuite mise en valeur par B. Stade {Le signe de Caïn, 1894, pp. 250 ss.) (9). W. Vischer soutient également que Caïn signifie «forgeron» en ara- méen et en arabe, et que « cette signification est aussi présente dans la Genèse 4, 22, quand Tubal, un descendant de Caïn, le fondateur des ouvriers en métaux (l'art de la forge) reçoit le nom complémentaire de Caïn (Tubal Caïn). Là-dessus se fonde l'hypothèse que les Kéniens sont une tribu de forgerons, en second lieu une tribu de nomades» — cfr. ici Ed. Meyer (10), B. Stade ("), B. D. Erdmann (12) — . Les recherches en psychologie du destin ont démontré que les hommes avec le « signe de Caïn » dans le diagnostic expérimental des pulsions (le test de Szondi), choisissent souvent des métiers qui sont en rapport avec le feu, comme par exemple forgeron, ramoneur, bou langer, pompier, etc. Comme signe testologique de Caïn, il y a également l'impulsion à posséder tout, c'est-à-dire à avoir-tout. Le diagnostic expérimental des pulsions considère donc que les deux significations du mot « Caïn », forgeron et possession, sont vraisemblables. La tribu presumable de Caïn, les Kéniens, aurait vécu selon la légende dans le sud de la Palestine, dans le voisinage du peuple des Midianites. C'est auprès de ces derniers que s'est enfui (toujours (4) W. Vischeb, Jahtoe, der Oott Kaina, Munich, Kaiser, 1929, p. 41. (6) S. Spbieb, Au» dem Jiidiechen Schriftlum ûber Kain uni den « bôsen Triéb », in Beihefi z. Schw. Ztsch. f. Psych., n° 47, Szondania V, Berne et Stuttgart, H. Huber, 1963, pp. 244 et 249. («) Cf. note 4. (') Cf. note 2. («) Cf. note 4. (9) M. (10) E. Mkybb, Israelite*,, p. 397. (") B. Stade, a) Dcu Kainszeichen, 1894, p. 287; b) Bibl. Théologie, par. 17. (18) B. D. Ebdmann, AUmerwMiche Studien, II, pp. 44-46. Thanatos et Caïn 375 d'après la légende) un autre meurtrier-Caïn de la Bible, à savoir Moïse, après avoir tué l'égyptien. Un groupe de théologiens, comme R. von Aim (= Gkillany) (13), Holzinger (14), Wellhausen (15), B. Stade (16), K. Budde(17), admettent que Iahvé était d'abord le Dieu des Kéniens et ne devint le Dieu des Israélites qu'après l'exode hors d'Egypte — cfr. ici W. Vischer (") — . Martin Buber, dans son Uvre Moïse, s'insurge avec fermeté contre cette supposition. H écrit ici : « L"hypothèse kénienne' en faveur explique que YHVH (Iahvé) aurait été un Dieu — jusque-là inconnu à Israël — dieu de montagne ou dieu du feu, ou également dieu du volcan, et en même temps dieu de la tribu des Kéniens (qu'on a à maintes reprises supposé être des forgerons nomades) et que Moïse l'aurait 'découvert' sur le Sinaï, qui était son siège. Pour affirmer qu'un dieu de ce nom ait jamais été adoré dans cette contrée, il n'existe pas les plus faibles indices... » (19). Ce qui nous intéresse ici, avant tout, est ce qu'on appelle la prédisposition « caïnite », la tendance à tuer, présente en tout homme. Même d'après la légende biblique, elle semble être héréditaire. En effet, le destin du premier Caïn se répète chez Lamech, le sixième descendant de Caïn. Nous trouvons dans la Genèse 4, 23 : « Lamech dit à ses femmes : Adah et Sillah, entendez ma voix, femmes de Lamech, prêtez l'oreille à ma parole, car j'ai tué un homme pour une blessure et un enfant pour une plaie, c'est que Caïn est vengé sept fois et Lamech soixante-dix et sept fois !» Selon une exégèse postérieure de cette légende, l'homme que Lamech tua, serait son ancêtre, Caïn, et l'enfant son propre fils, Tubal Caïn. Il est dit : « Lamech était aveugle. Il partit à la chasse et son fils Tubal Caïn le guida par la main. Quand ce dernier vit Caïn, il crut apercevoir un animal avec une corne au front. H dit à son père qu'il pouvait bander l'arc. Celui-ci banda l'arc et tua Caïn. Lorsque l'enfant aperçut au loin un homme tué porteur d'une corne, il parla (18) Richard VON dbb âlm (pseudonyme de von Ghuxaot), Theolog. Briefe, I. (14) Holzikgbb, Kommentar zum Bûche Exodus, 1900, p. 13. (is) Wellhausen, Composition des Hexateuch, 1876. (i«) Cf. note 11. (17) K. Buddb, Die AUisradische Religion, Guessen, Tôpelmann, 1912. (W) Cf. note 4. (") M. Bubeb, Moses, Zurich, G. Mûller, 1948, pp. 61 et 59, et Kônigtum Oottes, 2« edit., pp. xxxi sq., où Buber critique en détail l'hypothèse kénienne. 376 Leopold Szondi à Lamech : je vois le corps d'un homme tué porteur d'une corne au front. Lamech lui dit alors : Pitié de moi, cet homme est mon aïeul ! Il frappa ses mains ensemble, heurta la tête de l'enfant et le tua par mégarde». — D'après Midrash Tanchuma, Bereschit, 11, et Jalkut Schimoni, Thora, nr. 38. Cité d'après S. Speier — (20). Selon cette légende Caïn, le fraticide, fut tué par son propre fils ou petit-fils, Lamech, et devint ainsi le premier « Oedipe ». Nachmanide (1195-1270) explicite dans son commentaire de la Thora (de la doctrine) autant l'imitation (l'hérédité) de l'impulsion à tuer que sa socialisation dans la profession et dans l'art par les phrases suivantes : « II me semble que Lamech était ferré dans n'importe quel travail habile. A son fils aîné, il enseigna l'art de paître, au second l'art de la musique, au troisième l'art de battre et de ciseler des épées, des lances, des javelots et tous les appareils de guerre. Ses femmes craignaient qu'il fût puni parce qu'il avait inventé l'épée et le meurtre. Est-ce qu'il n'imite pas l'acte de son père ! Lui, le fils du premier meurt rier, crée le vice pour détruire. Alors Lamech leur parla : je n'ai pas tué un homme pour des blessures et pas d'enfant pour des tumeurs, comme le fit Caïn. Dieu ne pourra pas me punir mais me protégera uploads/Religion/ cain-l-szondi.pdf
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- Publié le Fev 13, 2022
- Catégorie Religion
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