III – Le passage à la foi de l’Evangile 24Parce que les textes spirituels assur
III – Le passage à la foi de l’Evangile 24Parce que les textes spirituels assurent, pour les chrétiens, un passage en temps de crise vers la portée existentielle des Écritures, il nous faut interroger davantage cette relation à trois termes entre lecteur, textes spirituels et Écritures. C’est dans la manière dont Jésus Christ selon les Évangiles permet à d’autres de franchir ces moments de crise que nous trouverons un modèle herméneutique pour penser la relation entre existence chrétienne et textes spirituels. 25Rappelons où nous en sommes. Nous avons signalé le rapport que le croyant, lecteur de textes spirituels, noue avec les Écritures à la fois comme textes dans lesquels il peut reconnaître son propre chemin à la suite du Christ mais aussi en soulignant la crise de ce rapport quand les Écritures ne portent plus le lecteur dans ce lien de foi. Elles ne lui « disent » rien et lui apparaissent dans un éloignement historique, culturel, voire religieux infranchissable. On pourra admettre que la perception de cette distance, de l’étrangeté du lecteur au monde des Écritures, est une condition pour les lire dans leur nouveauté, si toutefois elles parviennent à s’ouvrir. Il faut en effet que le croyant puisse trouver sa place dans les Écritures ou, comme nous l’écrivions, que des paroles de passage puissent les faire passer en lui comme Bonne Nouvelle et qu’il puisse passer dans les situations de l’Évangile, en être le contemporain. De telles paroles peuvent être dites par des hommes ou des femmes d’expérience dont l’autorité se manifestait dans la capacité à faire entendre ici et maintenant l’Évangile dans son actualité. Ces hommes et femmes de traduction gagnent leur autorité de ce qu’ils sont reconnus comme vivants eux-mêmes de la parole qu’ils portent et transmettent à ceux qui viennent les trouver. Ce sont des hommes ou des femmes expérimentés, des figures de sages sachant mener leur vie selon l’Évangile dans des circonstances nouvelles. Nous avions fait de cette capacité relationnelle et traductrice le site de naissance des textes spirituels. Or nous avons vu que les textes spirituels ne sont pas d’abord un enseignement doctrinal, ce que la distinction scolastique entre connaissance par savoir ou par expérience soulignait, qu’ils ne réclament pas une adhésion. Ce sont, pour une part, des médiations de transmission, sous des modalités littéraires diverses, des manières dont se découvre l’art de mener sa vie selon Dieu, manières toujours singulières et remises à l’expérimentation du lecteur. Cet art s’apprend quand l’existence est saisie dans toutes ses dimensions, relationnelle, corporelle, intellectuelle, et que se reconfigure comme ouvert et vivant ce qui semblait fermé, mort, en crise, ou lorsque est trouvé ce qui était attendu comme nécessaire pour vivre. Mais ces textes, en tant que toujours débordés, existent en une singularité qui rend impossible tout projet de les imiter ou de les appliquer. Le texte spirituel est une médiation qui ne se dissout pas dans l’acte de traduction qu’il assure. Il résiste à son appropriation et demeure comme tiers, appelant d’autres intérêts et d’autres lecteurs. C’est là que surgit l’intérêt contemporain de lecteurs non chrétiens. Mais, on se souvient, passe là également la disjonction qui départage aujourd’hui ceux qui confessent ou non l’origine divine et unique de leurs manières de vivre, en quoi consiste le passage à la confession de foi. 26Cette disjonction entre la non-foi et la foi est au cœur des Évangiles mais moins d’abord comme dramatisation antagoniste que comme narration du passage de l’un à l’autre dans les situations où l’existence est portée à ses limites : maladie, souffrance d’un proche, exclusion, jusqu’à la mort même. Les Évangiles racontent la manière particulière que Jésus Christ a de se rendre présent aux moments où des hommes et des femmes accomplissent ce passage de la non-foi à la foi. Dans les Écritures Jésus occupe cette position de passeur [38][38]Chr. Theobald, Transmettre un évangile de liberté, Bayard,…. Christoph Theobald propose en ces termes une théologie de l’engendrement de la foi qui peut nous aider à préciser le rôle des textes spirituels dans l’expérience contemporaine de la foi. Présentons-la pour n’en retenir que ce qui sera utile à notre propos. Cela suppose de distinguer entre ce que désigne le mot « foi » dans les Écritures, comme acte de confiance, et la reconnaissance de Jésus comme « Maître et Seigneur », sur laquelle la foi ecclésiale se greffe. 27Jésus de Nazareth s’intéresse aux seuils de la vie que chacun est appelé à franchir laissant derrière lui la peur de l’inconnu pour faire place à un courage d’être et de vivre. On le voit à l’œuvre dans les rencontres racontées par les Évangiles avec « des hommes et des femmes en situation de nécessité » lorsque Jésus leur révèle cette « foi » élémentaire, cette « confiance » dans la vie alors que la situation semblait irrémédiablement fermée. « Ta foi t’a sauvé » leur dit-il, en désignant en eux la force de conviction qui leur a permis de franchir cette étape. Cette dernière peut se révéler une victoire sur les forces de mal ou d’autodestruction qui nous persuadent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Untel a cru que Jésus pouvait faire quelque chose pour lui. Le passage de Jésus devant lui a suscité sa « foi ». Mais la place de Jésus de Nazareth est paradoxale : il nous apprend que la vie ne peut se vivre sans cette « foi » et en même temps que chacun est seul porteur de cette foi en laquelle personne ne peut croire à la place d’un autre. « Ta foi t’a sauvé » [39][39]On trouvera dans le dernier livre de Lytta Basset une situation…. La parole d’un autre, d’un passeur, permet cette reconnaissance mais elle ne transmet pas à autrui cette foi [40][40]Chr. Theobald, op. cit., p. 25 – Je me permets de renvoyer à P.…. Jésus engendre la foi en la vie par sa manière de s’adresser à ceux qu’il rencontre et de la rendre crédible par l’authenticité de son existence. Sa vie révèle qu’une telle audace ne peut venir que de celui que nous appelons « Dieu ». Dès lors, la personne même de Jésus de Nazareth peut intriguer au point que celui qui l’a rencontré peut désirer n’être pas seulement l’heureux bénéficiaire de cette rencontre mais s’interroger (en disciple) sur ce qui l’habite. Il peut ainsi finalement entrevoir le mystère de l’identité de ce Galiléen, comme Pierre à Césarée, et vivre à son tour, de la même manière que lui, non seulement comme témoin mais comme passeur. Ce nouveau passeur permet (en apôtre) à celui qu’il rencontre de découvrir à son tour l’origine de sa capacité de vivre pourtant toujours mise à mal. Pour conclure, Chr. Theobald écrit : « L’Évangile de Dieu ou Dieu comme évangile veut rejoindre l’homme de l’intérieur de lui-même, à l’endroit où il est aux prises avec l’enjeu fondamental qu’est le simple fait d’exister », au sein d’une relation libre et gratuite. 28Les textes spirituels peuvent occuper la place où se trouvent ces passeurs. Nous avons précisé les conditions textuelles de cette capacité de passage. Cela demande que les textes ne soient pas considérés par leurs auteurs ou leurs lecteurs d’abord comme des « témoignages », comme des « preuves », fussent-elles tirées de l’expérience, voire des illustrations des articles de foi. Le lecteur ne pourrait pas ainsi accéder à sa propre existence. La résistance du texte, ce qui le rend inassimilable ou « irreproductible », permet seule d’assurer l’émergence d’un lecteur sujet. D’un côté certes, ces textes sont les témoignages des bienfaits reçus dans l’existence, le plus souvent au cours de hautes luttes. Leur origine en Dieu est reconnue par le signe de la vie retrouvée, de la découverte d’une manière de vivre qui permette de traverser les crises de l’existence jusqu’à l’ultime seuil de la mort. Mais, du fait de la relation que ces textes instaurent – ce qui suppose ce pacte d’expérimentation, cette visée pratique de la lecture que nous avons décrite – ils peuvent permettre au lecteur de découvrir dans sa situation particulière la capacité de franchir (ou de découvrir avoir pu franchir comme à son insu) les seuils qui jalonnent son existence [41][41]Tout se joue dans cette instabilité propre du passage de celui…. Le risque serait que le lecteur s’assimile au texte, en réduise l’écart par lequel il fait sens, ou que le texte ne laisse aucune place au lecteur en prescrivant des solutions, des attitudes, en se prenant pour simple vecteur. Le texte spirituel se refermerait alors sur son auteur ou se voudrait seulement comme la traduction de ce qu’il a vécu. Les Évangiles en revanche, comme matrice de la relation d’engendrement de la foi, indiquent comment se rapporter aux textes spirituels. Cela requiert qu’ils soient lus comme les récits de la manière dont des hommes et des femmes ont appris du Christ à découvrir en eux la foi comme ce qui en eux ne vient pas d’eux. La foi est alors ce mouvement qui porte à vivre quand uploads/Religion/ christ-tvi.pdf
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- Publié le Aoû 04, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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