Aiôn chez Aristote « De Caelo », I, 9 : Théologie cosmique ou cosmo-théologie ?

Aiôn chez Aristote « De Caelo », I, 9 : Théologie cosmique ou cosmo-théologie ? Author(s): Emmanuel Martineau Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 84e Année, No. 1 (Janvier-Mars 1979), pp. 32- 69 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40901915 Accessed: 13-07-2019 22:07 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale This content downloaded from 193.54.110.56 on Sat, 13 Jul 2019 22:07:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Aiôn chez Aristote « De Caelo », I, 9 : Théologie cosmique ou cosmo-théologie ? * « Un faible écart initial prend, à mesure qu'on s'éloigne de la vérité, mille fois plus d'ampleur ». De C, i, 5, 271 b 8-9. 1. L'auteur du De Caelo professe non point une théologie cosmique de la divinité du monde, ni une théologie physique du premier moteur immobile, mais une théologie « transcendante » et finie du dieu extérieur et supérieur au « monde ». 2. La détermination fondamentale de ce dieu suprême est, dans ce traité, de nature temporelle, et vient à la parole dans le concept d'aiôn qui marque, à lui seul, 1'« avance » théologique du traité tant par rapport au De philosophia que par rapport à Physique, vu-vin, et le rapproche du livre A de la Métaphysique. 3. Cette perspective priori- taire ouverte par le De C. sur la transcendance divine, et surtout sur sa condition temporelle, loin de détourner Aristote de la considération du cosmos, l'y ramène de façon nouvelle, et gouverne la formation d'une théologie spécifique qu'il convient de baptiser, afin de ne plus la confondre avec la théologie cosmique et la théologie physique couramment et légi- timement attribuées à Aristote, une cosmo-théologie. La justification proprement doctrinale de cette triple thèse réclamerait une reprise globale de tous les grands lieux théologiques du corpus - elle 32 1. Texte très remanié (§§ 1-2) et augmenté (§ 3) de deux exposés prononcés les 10 mars et 7 avril 1978 au séminaire de M. Pierre Aubenque (C.N.R.S., Centre Léon Robin) que je remercie d'avoir bien voulu m'y accueillir, et à qui je dois, notamment le débrouillage de 279 b 1-3 qui sera tout à l'heure proposé. Je précise aussitôt quel a présente étude a été suscitée par l'interprétation de M. Jean Pépin (cf. § 2). This content downloaded from 193.54.110.56 on Sat, 13 Jul 2019 22:07:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms A ion chez Ar islote s'exclut donc dans les limites de ce bref essai. Aussi la présente étude, destinée à préparer, sans prétention erudite, cette réévaluation générale de la théologie d'Aristote, et surtout une lecture rigoureuse et complète du livre A, se préoccupera-t-elle simplement d'en manifester la nécessité et d'en tracer les grands axes. Elle se concentrera à cet effet sur le document probablement le plus ancien de la théologie « adulte » d'Aristote qui nous ait été conservé, la fin du chapitre 9 du premier livre du De C. En souli- gnant d'abord [§ 1], à l'occasion de la critique d'une récente traduction, ses difficultés littérales, puis en mettant à l'épreuve [§ 2] l'interprétation historique la plus circonstanciée dont ce texte énigmatique a fait l'objet, elle tentera non seulement d'en réviser la lecture philologique, mais égale- ment de montrer que ce témoignage privilégié, en même temps qu'il conteste de façon aussi formelle qu'inapparente l'image systématique globale que l'exégèse s'accorde à proposer de la théologie du Stagirite, offre aussi, correctement redéchiffré, les conditions de son dépassement effectif [§ 3]. 1 . La traduction de M. Paul Moraux (1965) et ses incertitudes « C'est pourquoi les choses de là-haut ne sont point dans un lieu ; nul temps ne les fait vieillir ; il n'est point de changement pour aucun des êtres disposés sur la translation la plus extérieure ; mais immuables, impassibles, jouissant de la meilleure et de la plus indépendante des vies, ils poursuivent leur existence pendant la durée tout entière. (Oui, ce nom de durée, les anciens ont été divine- ment inspirés lorsqu'ils l'ont prononcé : le terme qui embrasse le temps de chaque vie et hors duquel on n'est plus selon la nature, on Ta nommé la durée d'un chacun ; pour la même raison, le terme du ciel entier, le terme qui inclut tout temps et toute infinité, c'est la durée (aiôn) ; celle-ci tire son nom de son éternelle existence (apo tou aei einai) ; elle est immortelle et divine). C'est de là que pour les autres êtres, dépendent avec plus de rigueur pour les uns, d'une manière assez indistincte pour d'autres, l'être et la vie. Comme c'est le cas dans les travaux de vulgarisation philosophique consacrés aux êtres divins, l'idée est souvent avancée dans les raisonnements que l'être divin doit être tout entier immuable, lui qui est l'être premier et l'être suprême. Nous constatons qu'il en est bien ainsi, et le raisonnement s'en trouve confirmé. En effet, il n'y a rien de supérieur à lui qui puisse le mouvoir, car un tel être serait plus divin que lui ; il n'a nul défaut ; il ne manque d'aucune des perfections qui lui sont propres. C'est donc d'un mouvement indéfectible que, logiquement, il doit se mouvoir. Toutes les choses cessent de se mouvoir une fois qu'elles sont parvenues en leurs lieux propres, mais, pour le corps mû circulairement, le lieu d'où il est parti est identique avec celui auquel il arrive. » Ainsi se présente le morceau qui nous intéresse [279 a 18-6 3] dans la dernière en date des traductions françaises du De C.y celle de M. Paul 33 Revue dk Meta. - N«> 1, 1979. 3 This content downloaded from 193.54.110.56 on Sat, 13 Jul 2019 22:07:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms E. Martineau Moraux2. Pourquoi l'avoir préférée à une citation directe du texte grec ? Eh bien parce que l'image qu'elle nous en donne n'a, en fait, pas grand chose à voir avec lui, et que c'est là, paradoxalement, ce qui la recommande à notre attention : si récente qu'elle soit, et informée la longue introduction qui la précède, la version de I, 9 que nous venons de lire en signifie l'anéan- tissement doctrinal pur et simple. Comment cela ? Pourquoi cela ? Commençons par quelques remarques aussi élémentaires que possible : a. Ta ékei, « les choses de là-haut ». Mais ékei signifie « là-bas », non « là-haut », et l'indétermination de l'expression méritait d'être respectée3. b. Hyper tèn exôtatô phoran, « sur la translation la plus extérieure ». Mais hyper signifie « au-dessus de » ou « au-delà de », non pas « sur ». c. Diatélei ton apanta aiôna : « ils poursuivent leur existence pendant la durée tout entière ». Mais, étant entendu que diatélein peut être aussi bien intransitif que transitif, l'interprétation transitive - puisqu'aussi bien l'idée de vie (zôè) a déjà été exprimée, 1.21 - n'est-elle pas ici plus tentante : « elles mesurent de part en part Vaiôn tout entier », au lieu d'y vivre simplement comme en un « espace de temps » pour ainsi dire prédonné ? d. Aiôn, « durée ». Mais ce mot, nous le verrons tout à l'heure, est tota- lement anachronique. e. To tèlos périéchon, « le terme qui embrasse ». Mais ce qui est suscep- tible d'« embrasser », ce ne saurait précisément être un simple « terme », mais bien une « limite ». Aristote dit tèlos et non point, par exemple, péras, mot que « terme » traduirait d'ailleurs tout aussi mal en certains contextes. En II, 1, en effet, Aristote n'écrira-t-il pas [284 a 5 sq.], cette fois à propos de Y our anos (et non plus de ta ékei), et spécialement des astres : « [ils sont doués] d'un mouvement tel que rien n'en est le péras, mais qu'il constitue bien plutôt lui-même le péras des autres ; le péras, en effet, est du nombre des périéchonta. Or ce mouvement (céleste), étant téléia, enveloppe les mouvements atéleis, qui comportent un péras et un arrêt... »? On voit par ce second texte que le péras, étant aussi du nombre des « choses qui embrassent » [la réciproque : tout ce qui embrasse est péras, n'en devenant pas vraie pour autant !], excède déjà lui-même la simple idée de « termi- naison » au sens de bornage ; et qu'il n'est pas fortuit que I, 9 parle de télos, non de péras : si ce dernier mot convient au « ciel », il est douteux que ce soit à ce même ciel que le premier s'applique, et déjà nous uploads/Religion/ cielo-aion-aristote.pdf

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  • Publié le Mai 10, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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