Revue d ’études augustiniennes etpatristiques, 57 (2011), 325-356. La confessio
Revue d ’études augustiniennes etpatristiques, 57 (2011), 325-356. La confession de foi inaugurale dans la Lettre 12 de Maxime le Confesseur Les années 638 à 641 marquent un tournant dans l’histoire de l’Empire byzan tin et des chrétientés orientales. La bataille du Yarmouk (636) a ouvert la voie aux troupes musulmanes qui, profitant de l’épuisement de l’armée byzantine après les guerres perses, entrent en Égypte dès 638. Sur le plan religieux, cette époque voit l’émergence de nouvelles formes de monophysisme, au gré des tentatives de conciliation entre chalcédoniens et monophysites élaborées par l’empereur Héraclius et son conseiller, le patriarche Serge de Constantinople : en témoignent le Pacte d ’union (633) qui affirme « une seule énergie humano-divine » du Christ ; le Psèphos, qui sanctionne l’échec du texte précédent et interdit de parler d’une ou de deux énergies ; et l’Ekthèsis (638) qui professe une « unique volonté » du Christ et reçoit la signature des principaux sièges d’Orient. À cela s’ajoute un climat d’instabilité politique, avec la mort en 634 de Sophrone de Jérusalem, le principal opposant au Pacte d ’union, puis celles de Serge (639) et d’Héraclius (641). C’est dans ce contexte que Maxime le Confesseur, un moine byzantin réfu gié en Afrique du Nord depuis l’avancée des troupes perses, rédige huit lettres christologiques1. Étonnament, ce n’est pas à la réfutation du monothélisme que ces lettres sont consacrées : Maxime y revient longuement sur l’hérésie de Sévère d’Antioche (f 538), hérésie antérieure aux problèmes de la volonté et de l’énergie2. Le genre littéraire de ces lettres est difficile à qualifier : elles font une 1. Les Lettres 12 à 19 (PG 91, 460A - 597B), que nous citerons en indiquant en italique le numéro de la lettre, suivi des colonnes et lettres de la Patrologie (le volume, sauf indication contraire, étant le 91), puis du numéro de la page dans la traduction d’E. Po n s o y e (Ma x im e l e Co n f e s s e u r , Lettres, Paris, 1998). Elles ont été rédigées entre 633 et 642 (selon P. Sh e r w o o d dans An Annotated Date-list of the Works of Maximus the Confessor, Rome, 1952, p. 60). Sauf mention contraire, lorsque nous parlerons des « lettres », il s’agira de ce corpus. 2. P. Sherwood justifie ce décalage par le contexte immédiat des années 640-642 : plus que le Pacte d ’union, le Psèphos ou l’Ekthèsis, c’était la résurgence du monophysisme syrien qui inquiétait Maxime dans son exil nord-africain (P. Sh e r w o o d , op. cit., p. 14). Article écrit par Pierre Molinié © Institut d'Études Augustiniennes 326 PIERRE MOLINIÉ large part à des discussions techniques qui leur mériteraient le titre de traités dog matiques, sans être exemptes de développements consacrés à la situation présente de l’Église et à celle des destinataires. En outre, elles proposent une autre forme d’expression, la confession de foi, qui est par nature à la limite entre la discussion théorique, la règle juridique et la louange montant au cœur du théologien. Une confession prend du recul par rapport à l’explication de tel ou tel point du dogme, pour replacer celui-ci dans la perspective plus générale de l’Incarnation du Fils de Dieu et de l’histoire du salut. De plus, elle use d’un style plus narratif que celui auquel recourt habituellement Maxime. De telles confessions surviennent régulièrement dans les lettres3 ; nous avons choisi d’étudier de plus près l’une des plus claires et des plus complètes, celle qui ouvre la partie dogmatique de la Lettre 12. Nous nous proposons de la traduire et de la commenter, en l’éclairant par d’autres passages des lettres, et notamment de deux grandes confessions situées dans les Lettres 14 et 15. Pour suivre autant qu’il est possible la logique de ce texte, nous avons divisé la confession en quatre par ties : Maxime décrit le Verbe comme « l’un de la Trinité », puis la manière dont il s’est « revêtu de notre humanité », avant de le qualifier de « Dieu parfait et homme parfait », et enfin de « médiateur ». Une cinquième partie traitera la question de la communication des idiomes. I. - « L’UN DE LA SAINTE TRINITÉ » Φυλάξομεν δε μάλλον το μεγα και πρώτον της σωτηρίας ημών φάρμακον- την καλήν λεγω της πίστεως κληρονομίαν· όμολογουντες ψυχή τε και στόματι μετά παρρησίας, ώς οί Πατερες ήμάς έδίδαξαν. Οϊτινες τοίς έξ αρχής αύτόπταις και ύπηρεταις γενομενοις του Λόγου επόμενοι, τον ενα τής αγίας και όμοουσίου, αχράντου τε και μακαρίας Τριάδος τον Υίον του Θεου Θεον Λόγον το απαύγασμα τής δόξης και χαρακτήρα τής πατρικής ύποστάσεως, τον πάσης όρατής τε και αοράτου κτίσεως δημιουργόν, τον άπειρον, τον αόριστον, τον αόρατον, τον ακατάληπτον, τον απερινόητον, τον πάντα μόνη ροπή του θελήματος και ποιήσαντα και συνεχοντα (...) εφασαν. « Nous garderons plutôt le grand, le premier remède pour notre salut, je veux dire le bel héritage de la foi, en confessant avec assurance du cœur et des lèvres, comme les Pères nous ont enseigné - car ce sont eux qui ont suivi ceux qui ont été depuis le début 3. Il est souvent difficile d’isoler une confession du texte environnant. Nous qualifions ainsi des passages dans lesquels Maxime « parcourt » l’ensemble du mystère de l’Incarnation, de la nature divine pré-incarnée jusqu’à la vie concrète de Jésus-Christ et aux conséquences de l’Incar nation pour le salut des hommes. Une confession doit aussi garder une certaine unité, sans être coupée par des développements trop techniques, et une certaine brièveté, sans que le lecteur voie son attention détournée du mouvement principal. De telles confessions se trouvent en 12, 465D - 468D (p. 124-125) et 500B - 504A (p. 144-146), ainsi qu’en 14, 536A - 537B (p. 165-166), 15, 572C - 573C (p. 188), 16, 577B-C (p. 190), 17, 581A-B (p. 192-193) et 19, 592C - 593C (p. 199-200). On peut ajouter un passage plus bref : 18, 585A-C (p. 195). LA CONFESSION DE FOI DE MAXIME LE CONFESSEUR 327 les témoins oculaires et les serviteurs du Verbe -, l’un de la sainte, consubstantielle, pure et bienheureuse Trinité, le Fils de Dieu, le Dieu Verbe, la splendeur de la gloire, l’expression de l’hypostase du Père, l’artisan de toute créature, visible et invisible, lui l’infini, l’illimité, l’invisible, l’incompréhensible et l’incirconscriptible, et qui par la seule impulsion de sa volonté, a tout fait et conserve tout (12, 465D - 468A ; p. 124)4. » Ainsi commence la grande confession de foi qui ouvre, après quelques pages consacrées aux problèmes de l’Église de Carthage, la Lettre 12. D’ordinaire peu friand de références scripturaires, Maxime place une citation du prologue de Luc (Lc 1:2) à l’entrée, presque comme exergue de son exposé de la foi orthodoxe5. Là où l’évangéliste se présentait comme celui qui recueille le témoignage des apôtres, le Confesseur ajoute un intermédiaire : le mystère du Christ lui est connu, certes par les témoins oculaires et les premiers prédicateurs, mais ceux-ci lui sont rendus accessibles par les Pères. Ce sont eux qui enseignent (διδάσκω) et s ’attachent ou suivent (έπομαι) les premiers disciples. Placé dans cette chaîne qui assure la continuité de l’héritage de la foi (την καλήν της πίστεως κληρονομιάν)6, Maxime entre dans la confession proprement dite, en interprétant l’expression de Luc « ύπηρέταις γενομένοις του Λόγου » dans un sens personnel : les apôtres ne sont plus vus comme les porteurs de la parole, mais comme de véritables serviteurs de Jésus, le Verbe de Dieu7 . Cette référence évangélique est d’autant plus importante qu’elle fournit le lieu historique de la révélation du Verbe, alors que Maxime s’élance dans une confession qui a pour second point de départ un état qui échappe à toute vision humaine : la genèse éternelle du Fils au sein de la Trinité. 4 5 6 7 4. Dans les citations, nous avons pris pour base la traduction d’E. Ponsoye, en la modifiant pour essayer de suivre de plus près le texte grec. 5. Ceci constitue une confirmation de la particularité du genre littéraire des confessions de foi. Les citations de l’Écriture, dans la Lettre 12, n’ont qu’exceptionnellement un contenu christologi que. Elles apparaissent toutes soit dans des parties non dogmatiques, soit dans la confession que nous commentons. Même dans celle-ci, seules trois citations (sur 6) ont un contenu christologique : Hb 1:3 en 468A, 1 Tm 2:5 en 468C et 2 P 1:4 en 468D. 6. Cette expression n’est pas scripturaire, quoiqu’elle fasse résonner de nombreux versets, notamment dans l’épître aux Hébreux, et tout particulièrement dans son prologue où la notion d’héritage s’applique par deux fois au Christ (Hb 1:2.4). 7. Chez Luc, le mot λόγος a le plus souvent un sens commun, même s’il se prête parfois à une interprétation « forte ». Jésus lui-même invite à écouter la parole de Dieu (Lc 8:11.21 ; 11:28), mais la foule vient également écouter auprès de lui la parole de Dieu (Lc 5:1). En revanche, dans les Actes, la parole de Dieu uploads/Religion/ confession-inaugurale-dans-la-lettre-12-de-maxime.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 13, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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