Paris, Bayard Éditions, 2017 18, rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex (France) EAN
Paris, Bayard Éditions, 2017 18, rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex (France) EAN : 978-2-227-49173-1 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Introduction Avouons-le d’emblée, cet ouvrage est « circonstanciel » pour une part. L ’occasion a fait les larrons. Du fait de notre rencontre, nos deux compétences complémentaires nous ont donné l’idée de confronter les conceptions que se faisait et se fait encore de l’art religieux chacun des deux mondes dont nous sommes respectivement spécialistes : Emanuela Fogliadini du christianisme oriental (byzantino-orthodoxe), et François Bœspflug du christianisme « occidental », en particulier du monde catholique. Mais il est une raison moins anecdotique et beaucoup plus profonde de déclarer que ce projet est lié aux circonstances actuelles, à savoir la situation globale de l’art religieux chrétien en ce début du XXIe siècle, quelque peu stationnaire en Orient orthodoxe et à tout le moins confuse en Occident catholique, chacun de ces deux mondes ayant désormais tendance, plus que jamais, à camper sur ses positions, considérées comme intangibles sinon immuables, ici la sacro-sainte créativité des artistes, encouragée par une inaptitude chronique des clercs à formuler le moindre cahier des charges et aggravée par une dérégulation chronique de l’art religieux, et là-bas l’art de l’icône sacralisé à l’extrême, interprété comme la traduction fidèle et indépassable de la foi, de la prière et de la pensée de l’Église, au point que sa sacralité est hissée au niveau de celui de l’Écriture sainte. Cette situation conduit les deux mondes, au-delà des courbettes œcuméniques, à se regarder en chiens de faïence, l’art de l’icône étant tenu par les spécialistes occidentaux pour une forme d’art devenue décidément incapable de se renouveler et désormais complètement bloquée, tandis qu’à l’inverse bien des théologiens et historiens travaillant dans la mouvance de l’Orient tiennent que l’art religieux des Latins est atteint depuis des siècles d’une série de tares incurables ayant pour nom le naturalisme, le subjectivisme, l’arbitraire individualiste, le sensualisme, etc. Ainsi prévaut dans le discours des uns l’opposition quasi manichéenne entre l’iconographe (ministre fidèle) et l’artiste (nombriliste invétéré), et dans le discours des autres celle non moins dualiste de l’art vivant et de l’art sclérosé. Le présent essai se propose à la fois de faire un diagnostic et d’esquisser une prospective. Il est construit sur un plan en trois étapes, consistant à analyser pour les circonscrire les idées reçues à ce sujet, qui confinent à la caricature (I/ Dépasser les idées préconçues concernant l’icône), puis à mettre le doigt là où ça fait mal, à savoir sur les véritables points de désaccord entre les visions de l’image religieuse ici et là (II/ Accords, différences, divergences), pour dresser enfin, à la lumière de huit sujets iconographiques, un état des lieux plus respectueux des faits, aussi bien lorsqu’il s’agit de relativiser les écarts que de les reconnaître là où ils existent (III/ Écarts et proximités, à la lumière de huit sujets). La Conclusion soulèvera la question de l’avenir de l’art religieux d’inspiration chrétienne susceptible de surmonter pour de bon le divorce entre les deux mondes d’images. Le style que nous avons adopté n’est pas celui de la démonstration en règle, bien que nous tenions à documenter théologiquement et historiquement chacune de nos positions. C’est plutôt celui de l’essai, qui n’exclut donc ni la vivacité, ni même les simplifications, pourvu qu’elles aient la vertu de réveiller le débat, qui paraît passablement endormi. C’est l’espoir de ce réveil qui nous a mis en chemin. Puisse- t-il se produire : l’avenir n’est pas aux taiseux, mais à ceux qui se parlent, en faisant l’effort de s’expliquer. I Dépasser les idées préconçues touchant l’icône 1/ Un mythe : L ’« art indivis » du premier millénaire et de l’époque romane La thèse est encore vivace, d’un art qui aurait été pour l’essentiel commun à l’Orient et à l’Occident chrétiens jusqu’à l’époque romane incluse. Elle a été depuis longtemps alimentée par le concept d’« Église indivise », étiquette utilisée pour désigner une caractéristique propre au christianisme du premier millénaire, ou supposée telle. Une telle théorie a de quoi séduire seulement un certain dialogue œcuménique, myope sur les nœuds critiques et les problèmes qui séparent les confessions chrétiennes. Nier les différences entre le christianisme oriental et l’occidental durant le premier millénaire de l’ère chrétienne reviendrait toutefois à nier l’histoire. Le concept d’une « Église indivise » qui, durant les douze premiers siècles de l’ère chrétienne, croirait et professerait les mêmes dogmes, s’exprimerait à travers un art univoque, aurait des structures ecclésiales similaires malgré des territoires géographiquement distants, est un mythe trompeur. Le tournant supposé est le Grand Schisme de 1054, souvent chargé de motivations et d’effets qu’il n’a pas produits. Les excommunications réciproques, de fait, n’ont pas provoqué la division des christianismes d’Orient et d’Occident. Surtout celles-ci n’impliquent pas la totalité des hiérarchies ecclésiastiques respectives : la romaine concernait seulement le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire (1043-1059), l’archevêque de Bulgarie Léon et le sakellarios 1 Constantin ; quant à la constantinopolitaine, elle ne concernait que le cardinal Umberto de Moyenmoutier, évêque de Silva Candida, les deux autres légats et leurs inspirateurs politiques présumés. Par ailleurs les différences, dont certaines sont encore aujourd’hui inconciliables, ne vont pas attendre le début du second millénaire pour se révéler à l’improviste. Les racines de la divergence plongent dans les siècles précédents, et seule leur longue sédimentation dans les deux domaines explique l’impossibilité d’accorder les lectures désormais enracinées dans les pratiques chrétiennes respectives. Dans ce canton-là de l’histoire, par conséquent, il n’y a pas eu élaboration des différences, mais les lectures divergentes que l’Orient et l’Occident firent du dogme, de la théologie, de l’art religieux et de l’ecclésiologie devinrent évidentes. Cela n’empêche pas qu’un certain nombre de prélats et d’intellectuels de premier plan continuèrent de croire en une réunification de l’Église grecque et de l’Église latine jusqu’au concile de Florence- Ferrare de 1438-1439. Les différences entre christianisme occidental et oriental portent sur divers domaines thématiques. Sans avoir la prétention de passer en revue les nombreux épisodes qui dans le cours des siècles manifestèrent la distance entre Orient et Occident, indiquons les principaux nœuds qui se révélèrent cruciaux, avant tout au niveau dogmatique. Complexes furent les spéculations qui précédèrent le concile de Chalcédoine en 451. Celui-ci a défini, grâce à l’important apport théologique fourni dans le Tome à Flavien du pape Léon 1er, la double nature humaine et divine du Christ dans une parfaite union : « Nous enseignons unanimement que nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité, en tout semblable à nous excepté le péché, avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l’humanité. Un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt gardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni ne se divisant en deux personnes, mais un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus Christ. » Cette définition, fruit de l’attention aux subtiles nuances théologiques, promue par l’Occident et partagée par l’Orient, qui fut à partir de là « chalcédonien » et orthodoxe, marque le début des divisions dans le christianisme d’Orient. C’est en effet à partir de ce moment-là que se formèrent les Églises non chalcédoniennes « miaphysites 2 » — d’Égypte, de Syrie et d’Arménie —, qui se proclameront « Églises apostoliques ». Une telle phase est décisive pour comprendre le monde à facettes des christianismes orientaux et les différents rapports à l’art qui y ont été déclinés avec le temps. La divergence dogmatique, de fait, joue aussi un rôle dans la conception et dans la pratique des diverses Églises s’agissant de l’art religieux. La question de la légitimité des images sacrées a remis vraiment en cause, dans l’Orient chrétien, la spéculation théologique. Durant deux siècles, influencé par l’interdiction vétérotestamentaire des images cultuelles de Dieu formulée dans le Décalogue (Ex 20,4), le christianisme fut sans image. L ’image religieuse s’est introduite « silencieusement » au IIIe siècle dans l’histoire chrétienne 3 et s’est diffusée un peu partout à partir du VIe siècle dans l’Orient byzantin. Elle déchaîna aux VIIIe-IXe siècles un débat qui prit le nom de controverse iconoclaste 4. Celle-ci est souvent analysée de nombreux points de vue, en se fixant en particulier sur l’affrontement entre le pouvoir impérial et papal et sur la lutte entre pouvoir impérial et monde monastique. Rarement est mise en valeur la composante proprement théologique de la discussion, qui fut pourtant le véritable terrain du débat, et il est encore plus rare uploads/Religion/ dieu-entre-orient-et-occident-by-boespflug-franci-ois-fogliadini-emanuela-boespflug-franci-ois-fogliadini-emanuela 1 .pdf
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- Publié le Jan 05, 2023
- Catégorie Religion
- Langue French
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