HAEC VERA PHILOSOPHIA Notes sur les sermons Qui habitat de Bernard de Clairvaux
HAEC VERA PHILOSOPHIA Notes sur les sermons Qui habitat de Bernard de Clairvaux Cédric Giraud Vrin | « Revue des sciences philosophiques et théologiques » 2013/2 Tome 97 | pages 277 à 298 ISSN 0035-2209 DOI 10.3917/rspt.972.0277 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et- theologiques-2013-2-page-277.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) Rev. Sc. ph. th. 97 (2013) 277-298 HAEC VERA PHILOSOPHIA NOTES SUR LES SERMONS QUI HABITAT DE BERNARD DE CLAIRVAUX par Cédric GIRAUD Université de Lorraine – Institut universitaire de France La longue histoire du christianisme pose à l’historien le redoutable problème de lui faire étudier les formes littéraires et doctrinales changeantes selon lesquelles s’est transmise de façon censément pérenne la tradition chrétienne. Dans le cadre de ce numéro portant sur « théologie et philosophie en prédication », les deux premiers termes proposés, éminemment problématiques en eux-mêmes, voient leur difficulté accrue dès lors qu’ils sont associés à Bernard de Clairvaux. Au truisme qu’implique la diachronie – entre l’écrivain du XIIe siècle et son lecteur du XXIe siècle, les termes ont à l’évidence changé de sens – s’ajoute la polysémie du lexique et des réceptions, au Moyen Âge comme aujourd’hui : lire Bernard en 2013 ne signifie pas la même chose pour l’historien professionnel, le philosophe de métier ou le docteur en théologie. Il en allait de même au XIIe siècle, et la conscience que les contemporains avaient de ces différences n’est pas épuisée par nos cadres historiographiques, théologie monastique et théologie scolastique par exemple, qui se révèlent souvent être des décalques d’oppositions alors effectivement proclamées, mais vécues sur un mode parfois différent 1. 1. L’expression de théologie monastique a été accréditée par les nombreux travaux que dom Jean Leclercq a consacrés à la question : elle trouve son origine dans « S. Bernard et la théologie monastique du XIIe siècle », Analecta sacri ordinis Cisterciensis 9 (1953), p. 7-23, aux p. 7-16 et a reçu ses meilleurs développements dans L’Amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, Éd. du Cerf, 1957. La bibliographie sur ce point étant abondante, on se contentera de renvoyer à la mise au point historiographique donnée par Ferrucio GASTALDELLI, « Teologia monastica, teologia scolastica e lectio divina », Analecta Cisterciensia 46 (1990), p. 25-63. © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) 278 CÉDRIC GIRAUD Pour le dire autrement, si Bernard de Clairvaux, théologien monastique par excellence, s’est opposé avec fracas à quelques figures magistrales célèbres et à certaines méthodes de la théologie scolastique, le moine fut, dans le même temps, par bien des aspects proche des écoles de son temps et de certains maîtres 2. Situer la prédication de Bernard par rapport à des appellations comme « philosophie » et « théologie » n’a donc pas grand sens si l’on assigne une identité univoque à un personnage aussi mouvant que l’abbé cistercien et des étiquettes simplificatrices à des notions polysémiques. Tenir compte de ces précautions incite à lire avec prudence la prédication de Bernard, dès lors que l’on cherche à s’extraire de l’évidence fournie par l’immédiateté sensible d’une langue ou de la continuité rassurante procurée par la Tradition. Le risque inverse, sans doute de plus en plus présent, consiste à placer ces œuvres à une distance telle qu’elles ne représentent plus qu’une source documentaire traduite en vernaculaire et privée de toute résonance avec notre époque, alors que pour être compris ces textes demandent aussi à être sentis. C’est dire que même l’historien à la recherche d’objectivité ne saurait priver son objet d’étude d’une empathie nécessaire au travail herméneutique. Quelle que soit sa situation académique et personnelle, le lecteur de Bernard se trouve donc sur le fil du rasoir pour traiter le thème proposé, potentiellement écarté qu’il est entre plusieurs lectures insistant sur l’actualité d’une pensée ou son irréductible historicité, son apport à la philosophie et à la théologie contemporaines ou son caractère de témoignage daté 3. La prise de conscience de ces difficultés doit aider à aborder avec humilité, vertu bernardine s’il en est, l’œuvre oratoire du cistercien : la polysémie de notions comme « philosophie » et « théologie » devrait garder philosophes et théologiens d’une lecture actualisante et dogmatique naïve sub specie aeternitatis ; en sens inverse, leur anachronisme partiel et assumé pourrait inciter l’historien à ne pas peindre en gris son objet d’étude et à reconnaître en Bernard un mort encore bien vivant… 2. Sur la question, voir Jean CHÂTILLON, « L’influence de saint Bernard sur la pensée scolastique au XIIe et au XIIIe s. », Analecta sacri ordinis Cisterciensis 9 (1953), p. 268-288 ; Jacques VERGER, « Le cloître et les écoles », dans Bernard de Clairvaux, histoire, mentalités, spiritualité, Paris, Éd. du Cerf (coll. « Sources chrétiennes » 380), 1992, p. 459- 473 ; Matthew A. DOYLE, Bernard of Clairvaux and the Schools. The Formation of an Intellectual Milieu in the First Half of the Twelfth Century, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2005. 3. Sur l’apport de Bernard à la philosophie voir notamment Rémi BRAGUE (éd.), Saint Bernard et la philosophie, Paris, PUF, 1993 ; L’Actualité de saint Bernard, colloque des 20 et 21 novembre 2009, Paris, Parole et silence, 2010 ; Bernard de Clairvaux et la pensée des cisterciens, Cîteaux, Commentarii Cistercienses 63 (2012). © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) © Vrin | Téléchargé le 05/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 77.135.157.180) HAEC VERA PHILOSOPHIA : PRÉDICATION DE BERNARD DE CLAIRVAUX 279 Pour pratiquer cette lecture historique entre l’époque de Bernard et notre propre temps, nous avons choisi un corpus à la fois célèbre par sa qualité doctrinale et littéraire mais paradoxalement peu fréquenté des commentateurs contemporains 4 : la série des dix-sept sermons sur le Psaume 90 Qui habitat prêchés par Bernard de Clairvaux lors du temps liturgique de Carême 5. Cet ensemble, connu par plus de soixante-quinze codices anciens, a joui d’une vogue certaine au Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne où le corpus fit l’objet de deux traductions françaises particulières par Guillaume Le Roy ou Antoine Le Maistre en 1658 et par Antoine de Saint-Gabriel Desprez en 1681 6. En revanche, en dehors des recherches d’histoire littéraire de dom Jean Leclercq, d’une présentation générale par Marie-Noël Bouchard et d’allusions éparses dans la vaste bibliographie bernardine, le texte n’a, à ma connaissance, que peu suscité l’intérêt chez les chercheurs récents 7. UNE THÉOLOGIE DE LA PRÉDICATION ? Le premier point qui mérite attention concerne la situation littéraire de l’œuvre, inséparable d’une interrogation sur le statut de la prédication, que l’on peut reformuler de la sorte : existe-t-il une théologie, même implicite, de la prédication chez Bernard ? L’expression, 4. Jean LECLERCQ, « Cette sorte de traité sur le Psaume Qui habitat passe à bon droit pour l’un des chefs d’œuvre de saint Bernard et l’un des joyaux de la littérature chrétienne médiévale » (« Les sermons de Bernard sur le psaume Qui habitat », Bernard de Clairvaux, Paris, Éditions Alsatia, 1953, p. 435-446 repris dans Recueil d’études sur Saint Bernard et le texte de ses écrits, Rome, Ed. di storia e letteratura, 1966, t. 2, p. 3-18, ici p. 3) repris par Pierre-Yves EMERY, Saint Bernard. Sermons pour l’année, Taizé, Brepols-Les presses de Taizé, 1990, p. 277. 5. Le texte est édité par Jean Leclercq au t. 4, p. 383-492, de la série des Sancti Bernardi opera (désormais SBO), Rome, Editiones Cistercienses, 1957-1977. Il a fait l’objet d’une traduction française annotée par P.-Y. EMERY, Saint Bernard. Sermons pour l’année, op. cit., p. 278-387. 6. Voir Simon ICARD, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux, 1608-1709, Paris, Champion, p. 65-72 sur les traductions modernes ainsi que la liste fournie aux p. 500-502. Il existe d’autres traductions modernes, comme celle donnée par Jean TOURNET dans Les sermons de saint Bernard, Paris, 1620, sans compter les traductions des œuvres complètes. 7. J. LECLERCQ, « Les sermons de Bernard… », art. cit. (résumé en latin dans SBO, t. 4, p. VIII) et ID., « Saint Bernard écrivain d’après les sermons sur le psaume Qui habitat », Revue bénédictine 77 (1967), p. 364-374, repris dans Recueil d’études, op. cit., t. 4, p. 107- 122, Marie-Noël BOUCHARD, « Une lecture monastique du Psaume 90 : les sermons de saint Bernard sur le uploads/Religion/ giraud-haec-vera-philosophia-notes-sur-les-sermons-qui-habitat-de-bernard-de-clairvaux 1 .pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 17, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 0.6412MB