INTÉGRISME ET FANATISME : PISTES DE RÉFLEXION Le fanatique, étymologiquement, e
INTÉGRISME ET FANATISME : PISTES DE RÉFLEXION Le fanatique, étymologiquement, est celui qui « devient temple », qui se fait réceptacle d’une doctrine, mais surtout d’une révélation qui le transcende : le très petit et très humble devient le plus grand par la parole qu’il transmet, dont il est le vecteur privilégié. Pour être fanatique, il faut une faille narcissique, une interrogation douloureuse sur son être, son origine, sa filiation, une interrogation existentielle sur la reconnaissance que l’on peut attendre du monde extérieur. Le fanatique ne cherche pas le pouvoir ou l’argent : il cherche à imposer sa Vérité, la seule qui lui permette d’exister. L’intégrisme (catholique, ou fondamentalisme si l’on parle des autres monothéismes) est né sur le même terreau que les sectes : le vide idéologique et l’absence de perspective. Il recherche dans une application sans failles des règles religieuses transmises le Salut. Inquiet et torturé par le doute dans une société à laquelle il ne s’adapte pas, il recherche dans le passé un ancrage et des solutions à son inadaptation. Incapable de s’insérer, de par une personnalité fragile marquée de la dépendance aux imagos parentales, il rejette le monde extérieur pour se créer son propre monde, ses propres références, un univers-prothèse d’autant plus confortable qu’il est en continuité avec une tradition survalorisée et souvent fantasmée. Mon cursus professionnel marque les interrogations que je puis avoir sur ces deux phénomènes. Ayant eu – et ayant encore à travailler sur les groupes sectaires -, j’ai souvent été interrogée après le 11 septembre 2001 (par Le Monde ou l’Asahi Shinbum) sur les liens entre sectarisme et fanatisme. Cela a abouti à un article intitulé « Quête fanatique et réassurance sectaire » en 2004. Le discours fondamentaliste est – presque – mon pain quotidien, puisque bien des groupes sectaires ont un fond fondamentaliste. Les analyse que j’ai pu faire, vous seriez en droit de me les reprocher : n’étant qu’agrégée d’histoire, qu’allais-je donc m’aventurer sur les cimes de la pensée psychanalytique ? Ma seule excuse est que personne ne l’avait fait (en dehors de Raoul Vanheighem et de Daniel Sibony), et que dans mon métier de Conseiller à la MIVILUDES (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, placée auprès du Premier ministre en France), il y avait urgence à comprendre. Je ne demande qu’à laisser la place à plus compétent que moi. Revenons donc au fanatique. L’étymologie du mot fanatisme (fanum, le temple) renvoie à l’esprit religieux : les prêtres du culte de Bellone - déesse de la guerre, du sol, de la patrie- “ les fanatiques ” défilaient armés et vêtus de noir dans la Rome antique. Dans des séances de divination, ils s’auto-mutilaient avec un glaive dans une transe sacrée. Voltaire(1), met en scène le combat de la tolérance et du fanatisme.Il est alors dans la droite ligne des Lumières et perçoit aussi le potentiel délétère du fanatisme : “cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la société”. Le fanatique a une “vocation” à être ainsi, des traits de personnalité construits autour d’une volonté d’atteindre l’absolu, au détriment d’une plénitude humaine. C’est un être qui refuse, pour lui et pour les autres, la jouissance et le plaisir. Ainsi, dans l’Histoire, de Judith à Savonarole, de Robespierre à Durruti, on retrouve ces êtres de feu et de passion dévorante, entièrement tournés vers un idéal qui n’est pas de ce monde. C’est une passion de l’absolu, qui les transcende et les transforme, les rendant incapables d’accepter une vie de compromis qu’ils assimilent à de la compromission. Dans la société contemporaine, le fanatisme se retrouve à l’envi dans les intégrismes religieux, dans la passion politique, voire même dans les “chapelles” intellectuelles. L’absolu religieux est de tout temps. La passion politique est liée aux grandes utopies nées de la Révolution industrielle, posées elles aussi comme des absolus. Quant aux chapelles (ou aux stades de foot), ils montrent à la fois la vocation de certains à être fanatiques, et le dévoiement ou le rétrécissement infini de l’Absolu, à la fin d'un siècle qui proclame à la fois la mort de Dieu, des “religions sans dieu”(2) et la mort des grandes idéologies utopiques. Qu’est-ce qui caractérise le fanatique ? Sa première caractérisation est la mainmise exclusive sur l’absolu : il se croit le seul truchement des valeurs universelles, le seul interprète d’un plan ourdi de toute éternité, le seul à même d’accomplir la destinée de l’humanité. Et c’est au nom de cet absolu, de ce désir du sacré présent en permanence dans l’homme, que celui-ci soit religieux ou pas, au nom de ce sacré donc qu’il sacrifie sa vie. Son renoncement au plaisir et aux satisfactions communes n’est qu’un apparent renoncement : seul l’atteinte de sa quête pourrait le combler. Atteint dans sa construction narcissique, il recherche donc sa complétude, sa plénitude dans son vide même : “il s’abaisse et se vide de sa substance humaine afin qu’une transcendance le possède et l’emplisse de sa présence invisible”(3). Il devient temple : “être fanatique, c’est être un temple portatif, ambulatoire.”(4) Il renonce à la vie, mais n’a que mépris pour elle - elle n’est rien face au “tout” qui l’envahit, le ciel, l’Etat, la Patrie, la Cause - que ce soit sa propre vie, ou celle des autres. “L’idée est tout et l’être n’est rien, tel est l’argument du fanatisme. Peut-être n’y a-t-il rien de plus redoutable que cette pensée qui s’arrache du corps pour le dominer, que cet esprit se séparant de la terre pour la mieux gouverner au nom du ciel.”(5) Mais cette “idée incarnée” que devient le fanatique ne s’exprime plus par la pensée, mais par les actes : ce n’est plus la parole qui prévaut, mais le geste, le glaive armé, les foules hurlantes, les bûchers. Le fanatique n’a de comptes à rendre à personne ni à lui-même : pour assurer le triomphe de l’esprit, les rigueurs les plus inhumaines ne peuvent qu’être de mise. Le glaive, la “sainte guillotine”(6) permettent de séparer le bon grain de l’ivraie. Le fanatique est aussi un obsédé de pureté : pureté de l’ascèse, pureté de la ligne. Il pourfend les déviances et les factieux, il proclame sa “propreté” idéologique, il purifie le paysage, par le feu et le sang. Ce sont ses renoncements, ses frustrations, sa culture du sacrifice, son réflexe de mort qui caractérisent le mieux le fanatique : “Il n’y a pas de fanatisme de la vie. Le Viva la muerte ! lancé par un général franquiste a été de tous les partis.”(7) Le fanatique, qui se veut l’unique interprète du sacré, va donc exercer une sorte de fascination sur son entourage, en confisquant, à son seul profit narcissique, des ressorts infiniment puissants de l’homme. Détenteur du sacré, il est l’initiateur du rituel, la clé de l’interprétation du monde. Pour rendre évidente cette mainmise, cette exclusivité sur le sacré, le fanatique se sert du sacrifice : le sien, qui le sanctifie - mourir pour une cause justifie une vie par ailleurs médiocre -, et fait de lui un homme différent - dit meilleur - ; et celui des autres, ses proches au nom de la cause ou du rituel, ou ses ennemis, les ennemis de la cause qu’il représente, de l’Idéal qu’il est seul à incarner, simplement parce qu’ils sont des obstacles dans sa stratégie d’emprise, dans son plan de conquête. Si l'on se replonge dans le "testament" ou le vademecum que transportaient sur eux les terroristes du 11 septembre à New York, on retrouve à l'évidence les phases rituelles du sacrifice : purification des armes, purification et jeûne de l'homme, lustrations, avant l'immolation et la destruction purificatrice du sacrifiant. On constate à quel point les sociétés humaines sont culturellement marquées par la valorisation du sacrifice et du renoncement. Le fanatique baigne, religieusement ou historiquement, dans les images pieuses des saints martyrs, ou dans l’exaltation républicaine des héros “morts pour la France ”. Le sacrifice de sa vie pour une cause, quelle soit religieuse ou patriotique, renvoie à une culture agônophile(8), c’est à dire valorisant le conflit. Mais le renoncement ne se traduit pas forcément ou immédiatement par la mort. Il peut être sacrifice d’une partie de la vie, tabou mis sur le plaisir. Et les partisans de l’ascèse comme voie pour un développement spirituel plus grand sont innombrables : de Confucius à Bouddha, de Lao-Tseu à la Reine Victoria ou aux prohibitionnistes américains, l’interdiction éthique ou juridique des plaisirs est monnaie courante. Le fanatique a pris pour objet de sa passion un absolu intangible, inassouvissable : il ne s’agit plus de l’objet d’une recherche mystique, qui implique aussi un doute torturant, mais d’une quête d’un soi narcissique. L’objet devient prétexte, masque, et l’homme fait temple se repaît d’une passion pour lui-même, reconstituant une image valorisante de lui-même, à défaut d’une identité construite et solide. Ce qui caractérise psychanalytiquement le fanatique, c’est le narcissisme. Freud(9) définit le narcissisme comme l’investissement du Moi et le met en relation en particulier avec l’amour et l’estime de soi, mais aussi uploads/Religion/ integrisme-et-fanatisme-anne-fournier-mai-2007.pdf
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- Publié le Jul 05, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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