LES JUIFS ET LA MAGIE L'accusation du meurtre rituel au Moyen Âge et aux temps
LES JUIFS ET LA MAGIE L'accusation du meurtre rituel au Moyen Âge et aux temps modernes Ronnie Po-chia Hsia In Press | « Pardès » 2009/1 N° 45 | pages 71 à 80 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848351612 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2009-1-page-71.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Destinées à protéger contre le Mauvais Œil ou à d’autres buts prophylactiques, ces amulettes judéo-chrétiennes sont autant de preuves de la croyance assez généralisée en la magie juive parmi les chré- tiens d’Europe à la fin du Moyen Âge et à l’époque de la Réforme 1. Il est probable que ce furent des Juifs qui fabriquaient ces amulettes pour les vendre, au cours de leurs voyages, à des chrétiens crédules. Mettant à profit leurs connaissances de l’hébreu, une langue sacrée aux yeux des chrétiens ainsi que leur réputation de pourvoyeurs en biens occultes, ces Juifs tiraient quelques bénéfices de leur position d’intermédiaires margi- naux entre deux cultures antagoniques. Il arrivait fréquemment que ce petit commerce se terminât mal pour les vendeurs : Luther nous rapporte l’histoire d’un charlatan juif qui avait vanté les vertus protectrices d’une amulette et fut pourfendu par l’épée du duc de Saxe en guise de mise à l’épreuve. S’il s’agit là d’une histoire vraie ou non n’a aucune importance, dans l’esprit de Luther, la magie juive était inopérante et ne devait être considérée que comme de la super- cherie de la part des Juifs et de la superstition du côté des mauvais chré- tiens. Le terme de magie juive, jugea sévèrement Luther, était donc comparable aux poils de la vache, innombrables mais insignifiants. PARDÈS N° 45 71 © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) L’ACCUSATION DE CRIME RITUEL Un des pôles de l’imagination chrétienne à l’égard de la magie juive au cours du Moyen Âge consiste en le libelle diffamatoire, ce mythe mortellement antisémite selon lequel les Juifs enlevaient et tuaient des enfants chrétiens. Ce fantasme chrétien au sujet des rites sanguinaires juifs repose en fait sur le pouvoir du sang attribué aux rites juifs, en ce sens que le sang était supposé avoir un pouvoir lors de la circoncision. On avait également recours au sang coagulant/hémostatique lors de la cérémonie de purification des rabbins et il était présumé arrêter les saigne- ments menstruels et autres hémorragies. On pourrait voir ce fantasme chrétien concernant la sorcellerie sangui- naire juive comme un mythe tripartite faisant appel à un langage à la fois religieux, politique et social inspiré par le ressentiment dans le but de concrétiser les préjudices religieux et la persécution au quotidien. Un libelle diffamatoire se fondait sur des rumeurs, des médisances et une vague accusation selon laquelle les Juifs avaient besoin de sang pour fêter leur Pâque. Souvent, à la fin du Moyen Âge, la disparition d’un enfant jetait la suspicion sur les Juifs habitant la localité. En fait, le libelle diffa- matoire actualisait un mythe ancestral, transmis à travers des chansons populaires et des contes de fées, des images, des pèlerinages et des reli- quaires et selon lequel par le passé les Juifs avaient tué des enfants chré- tiens par leur magie. Nous voyons ici comment les traditions orales mobi- lisèrent la mémoire populaire dans la quête de boucs émissaires juifs 2. L’ÉTAPE JUDICIAIRE Par la suite, le libelle diffamatoire tourna ces rumeurs et accusations en investigations judiciaires. Et c’est ainsi que le langage du mythe devint un langage procédural en ce sens que des magistrats interrogeaient des témoins, ce qui, dans le cas des suspects juifs, entraînait bien souvent le recours à la torture judiciaire. En fait, sous la précision du discours légal se dissimulait une peur irrationnelle de la magie juive. Lors de l’affaire de l’accusation de meurtre rituel à Trente en 1475, par exemple, les magis- trats découvrirent un livre d’amulettes et de bénédictions en hébreu en la possession d’un ménage juif. Les autorités ordonnèrent sur-le-champ de le brûler «dans le but d’éviter un plus grand mal» comme le nota un scribe 3. La magie juive, véhiculée par cette langue mystérieuse et forte, Ronnie Po-chia Hsia 72 PARDÈS N° © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) demeurait suffisamment puissante pour remplir de frayeur ces magis- trats chrétiens, alors qu’ils avaient condamné la plupart des hommes juifs de Trente au bûcher. L’EXÉCUTION DES JUIFS L’aboutissement du mythe du libelle diffamatoire est l’exécution des Juifs. Par l’acte même de la condamnation judiciaire et de l’exécution, la communauté chrétienne bannit toute manifestation de doute ou de critique. Le vacarme provoqué par les accusations, les interrogations et les protestations d’innocence s’estompe pour ne laisser place qu’à la célébration triomphale de la justice chrétienne. Les exécutions publiques des Juifs n’avaient d’autre but que de concrétiser de façon dramatique le triomphe de la chrétienté sur le Mal présent chez les Juifs. Ces procès au Moyen Âge furent à l’origine de chansons populaires et de légendes, de comptes rendus de témoins oculaires et de chroniques. Après l’avè- nement de l’imprimerie au XVe siècle, des feuillets imprimés et des gravures renforcèrent encore la validité du mythe. LA TENSION INTERNE AU CHRISTIANISME Le mythe du libelle diffamatoire repose sur deux éléments décisifs : le rôle prépondérant de la magie dans la religion populaire et la tension interne propre au christianisme entre religion de l’élite et traditions popu- laires. Le magicien, comme le définit le sociologue Marcel Mauss dans la théorie générale de la magie, n’est pas vraiment un agent libre. Il est obligé d’exécuter ses tours en accord avec les attentes de son public et les lois de la tradition. À la fin du Moyen Âge en Europe le christianisme populaire attribuait ce rôle de magicien aux Juifs; ils étaient les devins, les extralucides, les fabricants d’amulettes ou encore, dans ces cas extrêmes, les infanticides. Mais qu’est la magie si ce n’est l’exaucement de vœux? Quel rôle jouaient dès lors les Juifs en qualité de magiciens malveillants dans l’imaginaire chrétien? Je voudrais avancer que, à la fin du Moyen Âge, le christianisme avait besoin du Juif comme présence rédemptrice. Ils représentaient en effet un bouc émissaire collectif dans le cas de crimes contre des enfants et symbolisaient l’opposition entre le Bien et le Mal, entre la pieuse victime chrétienne et le magicien juif Les Juifs et la magie PARDÈS N° 73 © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) © In Press | Téléchargé le 21/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 80.214.121.247) meurtrier. La magie juive, démoniaque et noire, était le contraire du chris- tianisme rédempteur. En d’autres termes, le fantasme de la magie juive intensifiait le sens du sacrifice propre au christianisme, indispensable à son image de soi. Est-ce un hasard si les procès des meurtres rituels de 1470 à Endingen et de 1475 à Trente coïncident avec la publication de l’Imitation du Christ? Est-ce un hasard si Simon de Trente, le plus célèbre des enfants martyrs, meurt en position de crucifié? À l’intérieur du mythe des meurtres rituels et du meurtre judiciaire des Juifs se profile un double sacrifice : la représentation des Juifs torturant et tuant des enfants chrétiens symbo- lise le sacrifice du Christ; la persécution et l’exécution de ces mêmes Juifs les sacrifient à leur tour à une justice chrétienne et divine. De par ce double sacrifice, le christianisme génère son propre pouvoir de rédemp- tion. Le meurtre rituel faisant figure d’imitation du Christ par excellence. Et l’on retrouve jusque dans le langage du Judenspiel, comme on le voit dans le Judenspiel d’Endingen et dans celui des jeux de la passion les mêmes images et les mêmes structures, car ils se fondent tous deux sur une dramaturgie similaire, c’est-à-dire la représentation du sacrifice et de la rédemption chrétienne 4. LA THÉOLOGIE DU SACRIFICE RITUEL uploads/Religion/ juifs-et-magie-l-x27-accusation-du-meurtre-rituel.pdf
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- Publié le Mar 20, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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