LA PSYCHANALYSE EST-ELLE UNE THÉORIE DE LA FINITUDE ? Jean-Daniel Causse in Mar

LA PSYCHANALYSE EST-ELLE UNE THÉORIE DE LA FINITUDE ? Jean-Daniel Causse in Marc Lévy, Et si nos vies n’étaient qu’énigme ? Champ social | « Psychanalyse » 2017 | pages 81 à 91 ISBN 9791034603879 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/et-si-nos-vies-n-etaient-qu-en---page-81.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Champ social. © Champ social. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Elle ne se pose qu’aux êtres parlants et uniquement au sein d’un monde du langage pour une raison simple et centrale : cette question n’apparaît que dans un rapport au symbolique. Autrement dit, elle ne surgit que lorsque l’être humain s’organise autour d’une absence constitutive de son monde. C’est d’ailleurs le cas, plus globalement, de la croyance. Il n’y a de croyance que pour l’humain. La croyance n’est pas venue s’ajouter, à un moment donné, à l’histoire de l’humanité, sous des formes diverses, afin de répondre à des questions et modifier progressivement le rapport au monde ; elle est présente dès le départ comme attestation d’un passage du monde animal au monde de l’humain. Le phénomène de la croyance dessine une ligne de partage nette entre l’animal et l’humain. Seul l’être humain est capable de croyance, et cela pour une raison capitale. L’animal fait corps avec le monde, et pour vivre ou survivre, pour perpétuer son espèce, il est contraint de rester collé à ce dont il a besoin. Son existence est gouvernée par les instincts et la nécessité biologique de trouver ce qui répond à des besoins vitaux. Certes, comme les autres mammifères, l’être humain est lui aussi dépendant - 81 © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) de toute une organisation biologique, mais il ne dispose pas naturellement de ce qu’il lui faut pour vivre, et notamment pour savoir ce qui peut donner sens à son existence. Pour l’être humain, d’une certaine façon, vivre ne se réduit pas à exister dans une sorte de rapport immédiat à lui-même et au monde. Freud l’aura décliné à sa manière avec son grand mythe de Totem et tabou : dans le monde de la horde – celui du père tout-puissant qui jouit de tout – il n’y a aucune place pour la croyance1. Pour qu’il y ait naissance de la croyance – et des formes historiques de la religion – il faut la mort du père et sa symbolisation. Autrement dit, c’est parce qu’il n’y a pas tout qu’il y a de la croyance, le phénomène de la religion venant l’attester et en même temps obturer ce manque par des objets de croyance. Ainsi, on peut se représenter l’humain comme ayant vécu durant des dizaines ou des centaines de milliers d’années dans une condition proche de celles des bêtes jusqu’au moment où il a entrepris de donner une sépulture aux morts au lieu de les abandonner simplement aux charognards. On trouve ici les premières traces d’une culture humaine. En fonction de cela, pour le dire avec des termes empruntés à Heidegger, le « mourir » de l’humain n’est plus le « périr » de l’animal2. Seul l’homme meurt, alors que l’animal périt, parce que mourir n’est justement pas le simple fait d’un « disparaître » ; c’est un dispositif de la culture, une symbolisation du monde, et une pensée de ce qui excède le seul fait de la mortalité. Lacan évoque la mort dans une perspective semblable. Dans une conférence qu’il donne en 1972 à Louvain, il souligne par exemple que la mort appartient au « domaine de la foi » avant de poursuivre par cette adresse à son auditoire : « Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez3 ? » 82 - © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) Lacan soutient que la mort n’est pas seulement ce qu’il y a ; elle est toujours ce qu’il faut croire. Qu’est-ce que cela signifie ? Au moins ceci justement que la mort ne nous est pas du tout naturelle. Il n’y a pas, à proprement parler, de mort naturelle pour l’humain pas plus qu’il n’y a de vie naturelle. Ni la mort, ni la vie ne sont simplement des faits de nature. Elles sont toujours des élaborations complexes et singulières, des formes de soi, et des figures du monde. Cette compréhension de la mort, propre à l’humain, pose alors d’une façon particulière le problème de l’éternité, c’est-à-dire de ce qui survit au trépas et donc ce qui fait que la mort de l’homme n’est pas la fin du sujet. En ce point, se trouve toute la discussion avec les rêves d’éternité et les vœux de toute- puissance aussi anciens que la nuit des temps. Toutefois, l’éternité peut-elle être autre chose qu’une simple dénégation de la condition humaine ? Cette question croise, on le verra, le problème de savoir si la psychanalyse est une pensée de la finitude. Pour éclairer le champ de la question, on développera trois éléments à propos du rêve d’éternité, de la religion, et de la finitude : Une démystification Commençons par le plus banal, le plus classique ou, disons en tout cas, le mieux connu. La psychanalyse a opéré une démystification assez radicale des rêves d’éternité qu’elle a interprété comme refus du manque et de la castration. Même s’il reconnaît la fonction socialement structurante de la religion, Freud n’a cessé d’y insister. Lacan lui a emboité le pas même s’il s’est montré beaucoup plus pessimiste sur la fin de la religion qu’il juge au contraire « increvable »4. La psychanalyse a donc une portée critique sur le désir de combler le manque-à-être et, de ce fait, elle a un effet de désillusion. Plus exactement – parce que c’est plus compliqué – le phénomène général de la croyance témoigne d’une - 83 © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) © Champ social | Téléchargé le 17/03/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 88.126.242.136) contradiction subjective : d’un côté, nous l’avons dit, il y a consentement à une absence qui est constitutive du rapport au monde et sans quoi il n’y aurait aucune possibilité de croire, Freud qualifiant à rebours par le terme de Unglauben la position paranoïaque qui fait la certitude du délire dans un monde plein où tout est lié et où tout prend sens. Pour qu’il y ait ce à quoi nous croyons, il est nécessaire que les objets de croyance viennent représenter ce qui n’est pas là et il faut donc que nous ayons reconnu une place vide. Mais, d’un autre côté, ces mêmes objets de croyance sont investis imaginairement pour recouvrir le manque et opérer une dénégation de la castration à laquelle le sujet a pourtant consenti dans un premier temps. La religion a cette fonction et, après tout, Freud n’est pas si loin de ce dont parlait quelqu’un comme Feuerbach quand celui-ci disait que l’être humain avait attribué aux dieux tout ce qui lui faisait défaut : un dieu possède tout ce qu’on n’a pas soi-même5. Il est défini à contre-image de l’humain, ce qui n’est qu’une façon de dire qu’il est construit à son image. En ce sens, le rêve d’éternité n’est que le souhait permanent d’accéder au statut supposé du divin : seul un dieu est immortel. Lorsque les dieux disparaissent de l’horizon, le rêve ne s’éteint pas. Il se trouve soutenu par d’autres instances, notamment tout un discours des techno-sciences qui a pris aujourd’hui le relais des promesses religieuses. Lacan a souvent insisté sur ce point, montrant ainsi que le religieux – il y a des religions séculières – n’est pas autre chose que le sens qu’on donne à la faille du uploads/Religion/ psychanalyse-et-finitude-causse.pdf

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  • Publié le Jui 12, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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