Il y a une trentaine d'années, on trouvait encore, en France, d'aimables surviv

Il y a une trentaine d'années, on trouvait encore, en France, d'aimables survivants d'un autre âge qui possédaient toutes les traditions de la politesse d'autrefois. Leur physionomie à la fois grave et enjouée, leurs formes exquises, unies à une simplicité charmante, le parfum qui s'exhalait de leurs moindres paroles, la bonne grâce avec laquelle ils savaient écouter non moins que discourir, enfin le soin délicat qu'ils prenaient de mettre en lumière l'esprit des autres plus encore que le leur propre, tout cela formait un ensemble dont l'attrait était irrésistible. Il suffisait de voir ou d'entendre un de ces vieillards vénérables et sympathiques, pour se sentir aussitôt gagné à lui, et on ne le quittait jamais sans être enchanté de soi en même temps que de lui-même. Où en sommes-nous aujourd'hui de ces habitudes de parfaite urbanité? Le niveau de fer qui a passé sur la vieille France, n'a pas seulement détruit des abus, hélas! Bien des ruines ont marqué sa trace, et parmi ces ruines, il n'est que trop facile de découvrir celles des belles manières qui distinguaient le siècle précédent. Plus tard, comme si ce dommage n'avait pas suffi, on vit la jeunesse française emprunter à l'étranger des coutumes et des allures qui, Dieu merci, n'eurent jamais rien de commun avec notre caractère national ; et c'est ainsi que la société nouvelle se trouva tout à coup inondée de pseudo-Anglais, raides et gourmés dans leurs cols de chemise, ou de pseudo-Américains affectant une tenue excentrique et le plus regrettable sans-façon. Que dis-je ? Tout récemment, alors que la patrie saignait encore des blessures que venait de lui faire un ennemi sans pitié, n'avons, nous pas eu le spectacle de Français mettant à la mode des vêlements imités des Prussiens ! Laissons aux Anglais leur raideur solennelle, aux Américains leur sans-gêne, et aux Allemands leurs gâteuses et leurs casques pointus. En fait de goût et de bonnes manières, la France n'a de leçons à recevoir de personne. C'est elle qui, dans le passé, donna le ton à l'Europe entière, et il dépend de ses jeunes fils de lui rendre cette gloire ; comme toutes les autres. Le petit livre que voici a été rédigé pour aider les éducateurs chrétiens dans leur noble tâche. C'est bien peu, en vérité ; mais la plus humble lueur contribue cependant, pour une part réelle, à guider les pas du voyageur durant la nuit. Placé entre les mains des enfants, puisse cet opuscule les éclairer plus tard dans leur marche à travers le monde, leur inspirer dès à présent le goût de la politesse, et leur en faire connaitre les usages, si oubliés de nos jours ! 1. Politesse du cœur. – Politesse des manières La politesse en général est la pratique de tous les égards que les hommes se doivent entre eux dans la société ; mais pour être parfaite, elle doit nous rendre agréables à Dieu, en même temps qu'à nos semblables. Elle suppose donc deux-choses : la vertu et une heureuse culture. Aussi, peut-on distinguer deux sortes de politesse, celle du cœur et celle des manières. La politesse du cœur n'est, au fond, que l'art de s'oublier soi-même au profit d'autrui. Elle rend bienveillant avec les humbles, cordial avec les égaux, respectueux avec les supérieurs. Elle fait éprouver le désir de plaire, d'être utile à tous, et, pour y parvenir, elle est toujours prête à faire une foule de concessions et de sacrifices. Elle n'a pas de règles fixes. La bonté de l'âme nous la révèle, et elle a pour guide la parole évangélique : Non seulement ne faites pas à votre semblable ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait, mais encore agissez en toutes choses envers lui comme vous voudriez que l'on agît envers vous-mêmes. Ainsi entendue, la politesse retient l'homme dans les bornes de la vertu, comme la vertu le retient dans les bornes de la politesse. Elle est elle-même une vertu, traduisant dans les relations sociales nos devoirs envers le prochain. On a eu grandement raison de la comparer à la charité, dont elle est la sœur aimable, et de lui appliquer les paroles de saint Paul : « Elle est patiente, douce, supporte tout, souffre tout, ne se pique, ne s'aigrit de rien, ne soupçonne point, ne juge point ; et l'envie, l'orgueil, dédain lui sont inconnus. » La politesse du cœur n'admet pas la contrefaçon. Elle est la fidèle expression des sentiments de l'âme. Réprimer l'orgueil, la violence, l'injustice, et développer la modestie, la douceur, la droiture : tel est le programme en dehors duquel elle ne saurait exister. En elle, du reste, sont résumées les vertus les plus éminentes de la religion. Elle demande qu'on s'oublie, qu'on ne parle jamais de soi : n'est-ce pas là l’humilité ? Elle exige qu'on s'occupe constamment des autres, qu'on les prévienne en tout : n'est-ce pas là la charité ? Enfin, elle impose des sacrifices souvent pénibles, pur en éviter à autrui : n'est-ce pas 1à l'esprit de mortification et de pénitence ? On comprend dès lors qu'une telle politesse soit indispensable à tous les chrétiens, aux humbles comme aux grands, puisqu'elle nous force à réprimer nos défauts, et qu'elle place entre les hommes une sorte de barrière qui les empêche de se nuire, facilite leurs rapports et les rend agréables, sous le regard de Dieu. Cependant la vertu ne préside malheureusement pas toujours aux rapports sociaux, et la politesse du cœur se trouve bien souvent absente, même chez les gens les plus corrects dans leurs formes. Sous prétexte de civilité, est-il donc permis de se rendre hypocrite ? La Bruyère nous répond : « Si la politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité, la complaisance, la gratitude, elle en donne du moins les apparences, et fait paraître l'homme au dehors comme il devrait être intérieurement. » La politesse des manières ne serait-elle qu'un masque, il y aurait encore sagesse et profit à s'en couvrir. Elle consiste dans l'observation de certaines règles extérieures, établies pour rendre plus aisées les relations des hommes entre eux. C'est, à proprement parler, ce qu'on appelle le savoir-vivre. Pour être poli de cette façon, il ne suffit plus de posséder des qualités morales. Il est nécessaire de connaître le ton qu'il convient d'adopter dans nos rapports avec nos semblables ; de savoir se présenter dans une société, parler et se taire à propos ; d'être au courant des coutumes sur lesquelles se fondent les traditions de la bonne compagnie. On naît poète, mais on ne naît pas poli ; et bien que le bon ton ne soit autre chose que le bon goût mis en pratique, il ne se devine ni ne s'improvise. C'est une étude à faire, un art à acquérir, que de connaître les usages du monde bien élevé, et de savoir s'y plier avec bonne grâce. Ces manières honnêtes, douces et affables ; cette bienséance dans la tenue, le geste, la physionomie ; cet ensemble de discrétion, de tact, d'amabilité, de complaisance, qui met tant de charmes dans le commerce de la vie, il faut toute une éducation pour se l'approprier. Ne nous y trompons pas, cependant. On a beau posséder les belles manières, on ne plaît qu'autant que ces manières sont accompagnées de la politesse du cœur. Et à ce propos, il serait curieux de rechercher si nous ne touchons pas ici, sans nous en douter, à l'origine de ces sentiments mystérieux qu'on nomme sympathie et antipathie. Pourquoi y va-t-il des personnes qui nous plaisent au premier abord, tandis que d'autres ne nous inspirent que de la répulsion, quelque polies qu'elles soient, d’ailleurs ? La présence ou l'absence de la politesse du cœur pourrait peut-être nous expliquer le secret de cette différence. Quoi qu'il en soit, rien n'est aisé comme de distinguer la vraie politesse de son masque. Chez l'homme vraiment poli, elle a tout le charme de la simplicité, de la bienveillance, du bon goût. Les hommes qui n'ont que les formes extérieures, finissent toujours par se trahir eux- mêmes, en soulevant par quelque endroit le voile dont ils cherchent à couvrir leurs vices. En tout cas, il est prudent de joindre le fond à la forme quand il s'agit de politesse, et l'homme honnête fera sagement de veiller à être en même temps un honnête homme. Est-il nécessaire de faire remarquer combien 1a politesse est importante, surtout pour un jeune homme qui est destiné à vivre de la vie du monde ? Sans doute, trop de civilité finit par devenir une incivilité fatigante ; mais à l'époque où nous sommes, la grossièreté des formes est un défaut impardonnable, tandis que la politesse constitue, à elle seule, toute une recommandation, et tient parfois lieu de bien des talents : « Les manières, que l'on néglige comme de petites choses, dit encore la Bruyère, sont souvent ce qui fait que les hommes décident de nous en bien ou en mal. » Et puis, n'oublions pas ce qu'a dit un autre penseur : « S'affranchir des lois de uploads/Religion/ petit-traite-de-politesse.pdf

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  • Publié le Nov 07, 2021
  • Catégorie Religion
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