KOMNEN BECIROVIC Lettres des sanctuaires serbes Lettre d'Ostrog L'AME ET LE DES
KOMNEN BECIROVIC Lettres des sanctuaires serbes Lettre d'Ostrog L'AME ET LE DESTIN Parue dans Le Monde du 16-17. novembre 1975. Plus on approche, par la plaine de Biélopavlitchi, des falaises du mont Ostrog qui se dressent à son extrémité nord-ouest, aux confins de l'ancien Monténégro et de l'Herzégovine, plus on a l'impression que ces gigantesques parois de roche ont été taillées par la foudre. La même impression domine sur leurs pentes nord, rocailleuses et dénudées, où de véritables monolithes, parmi lesquels serpente une route sans asphalte, incitent à penser que seule une intervention des puissances de ce genre a pu les détacher du reste de la montagne. Les pentes méridionales, moins raides, couvertes de maquis et de forêts, offrent un spectacle plus hospitalier. Parfois coupées d'étroites plates-formes allongées ou creusées d'énormes cavités, les falaises se prolongent par un chaos de pierres à la végétation rare qui pourtant grimpe jusqu'aux crêtes de ces grosses vagues pétrifiées qu'évoque par endroits le paysage. Seule attire l'oeil dans ces solitudes escarpées une étrange construction blanche s'élevant au pied d'une falaise. C'est le monastère Ostrog fondé au milieu du dix- septième siècle par le métropolite Basile, évêque orthodoxe de l'Herzégovine, qui, fuyant les persécutions turques, y fixa, dans des grottes transformées en églises, l'ultime siège de son diocèse. L'envahisseur avait incendié les deux sièges précédents, dans la ville voisine de Nikchitch après le palais de la plus lointaine Trébigné, où il était né au début du siècle et avait été promu jeune à la dignité sacerdotale. Excepté un voyage qu'il fit en Russie et un autre au mont Athos en Grèce, le métropolite vécut pendant quinze ans "sur le rocher froid dans la chaleur de Dieu", comme il dit lui-même, tout en poursuivant le combat acharné imposé à son peuple, de sorte qu'Ostrog en devint bientôt le foyer. Par sa vie et son aspect d'ascète et de patriarche, par ses conseils et ses actions secourables ou par la Komnen Becirovic au milieu des années 1975. puissance redoutée de son verbe, le solitaire d'Ostrog jouissait d'un tel prestige auprès du peuple que celui-ci allait à lui comme on va vers un saint. Et sa mort, qui survint le 12 mai 1671, ne fit que consacrer cette transfiguration. Trois décennies plus tard et sous l'impulsion de l'oeuvre accomplie par saint Basile, le Monténégro s'engagea dans une période théocratique sous la conduite des métropolites Petrovitch dont Pierre Ier qui deviendra saint Pierre de Cettigné, et Pierre II, le poète Niégoch, qui hissera, lui aussi, son temple plus près du ciel au sommet du Lovtchène. Pendant un siècle et demi que dura cette ère théocratique consacrant le petit pays montagnard comme dépositaire de la liberté serbe, le culte de saint Basile se répandit et se développa jusqu'à faire de lui le grand saint et de son monastère le principal sanctuaire du Monténégro. Tout Serbe de ce pays ou de l'Herzégovine, considérait de son devoir d'aller à Ostrog à diverses époques de sa vie, sinon une fois par an, rendre hommage au saint, lui demander grâce, pardon ou secours. Il ne prononçait jamais le nom de saint Basile sans se lever s'il était assis ou s'incliner s'il était debout, ajoutant: "Qu'à lui soient la gloire et la miséricorde." Et lorsqu'un événement aux conséquences redoutées finissait bien, le Monténégrin exprimait sa gratitude envers Dieu et son élu par ces paroles pieuses: "Bog i sveti Vasilije", ce qui voulait dire: Dieu et saint Basile ont aidé, secouru, préservé, grâce à eux l'irréparable ne s'est pas produit. Même quand les pires calamités, la guerre, la famine ou la maladie, s'abattaient sur le pays ou sur la famille, tant que le saint était en haut dans les rochers, il y avait de l'espoir. En effet, comme le dirait le poète Matya Betchkovitch qui, de nos jours, s'est penché avec autant de courage que de talent sur le destin du Monténégro, le saint d'Ostrog a été pour les habitants de ce pays "leur homme auprès du Seigneur". C'est dire la détermination farouche avec laquelle ils défendaient ses reliques contre les tentatives turques de les détruire, notamment lors de l'invasion du Monténégro par les armées d'Omer-pacha Latas en 1852, ou lors de la guerre d'Herzégovine en 1877, lorsque saint Basile, porté par des guerriers, quitta par deux fois provisoirement son nid d'aigle. Et ce sont les plus jeunes parmi eux, n’ayant pas eu le temps d’entacher leur âme par quelque péché, de verser le sang humain, fût-ce turc, qui furent désignés pour le porter. Le monastère Ostrog Ce lieu continuera jusqu'à nos jours, en particulier à travers les tragiques événements qui s'y déroulèrent durant la dernière guerre, d'être hanté par l'histoire et la légende. L'une, créée par un grand chantre populaire des environs, veut que le roi Alexandre sur le chemin de Marseille où il devait être assassiné en 1934, se soit arrêté à Ostrog pour se recueillir une dernière fois, comme jadis le prince Lazare dans l'église de Samodréja, avant de s'immoler avec son armée à Kossovo. Certains peuples ne survivent à leurs infortunes que grâce à la puissance de leurs mythes. Le culte de saint Basile d'Ostrog s'exprimait dans le peuple de façons diverses. Ainsi, des parents apportaient leurs nouveau-nés pour qu'ils soient baptisés dans son monastère. J'ai eu le privilège d'être l'un de ces enfants voici quelque trente-huit années. Mes parents ayant perdu un fils adolescent, ma mère, femme d'une grande piété, me porta dans le berceau auprès du saint d'Ostrog pour que j'aie plus de chance que mon frère mort avant ma naissance. Plus tard, quand je fus capable de la suivre, elle m'y amena pour mes premiers pèlerinages. Partant à l'aube, généralement à l'approche de l'Assomption, nous marchions, ma mère le plus souvent à jeun et pieds nus, toute la journée, traversant deux chaînes de montagnes, pour arriver à Ostrog à l'heure des vêpres illuminées des feux du couchant. Ostrog se trouvant à l'altitude des monts opposés, le soleil frappait le monastère de face, faisant resplendir sa croix d'or, envahissant jusqu'à la grotte où se trouve la chapelle de la Vierge, lieu de l'office. Tous les yeux et les gestes s'adressaient à la forme humaine, se dessinant sous des ornements sacerdotaux, couchée dans le kivot (sarcophage en bois précieux) ouvert pour la liturgie. Le prêtre, au visage d'icône byzantine, aux gestes et aux yeux graves, telle une de ces figures nous regardant du haut des murs, officiait avec une grande ferveur comme si la grâce qu'il demandait au saint et par son intermédiaire au Dieu-Christ devait se déverser sans tarder sur le monde. Pendant que ma mère avec d'autres fidèles priait agenouillée sur les dalles, je me tenais à côté du kivot, dont j'atteignais à peine la hauteur, participant à la cérémonie à la fois avec curiosité, effroi et fascination. J'imaginais les divers miracles du saint que ma mère m'avait racontés dans la journée, encourageant et distrayant ma marche sur les rudes sentiers de montagne. Le soleil se couchait dans un poudroiement d'or se prolongeant en traînées Les falaises d’Ostrog pourpres au-dessus des monts, puis la nuit recouvrait tout de ces fragrances qui ajoutent tant au charme des contrées méditerranéennes. Trente ans s'écoulèrent avant que je revienne à Ostrog. La première impression que je ressentis, arrivant un matin devant le monastère, fut celle d'une très grande paix m'inondant littéralement du haut des falaises comme pour laver de moi la poussière des chemins du monde. J'eus le sentiment que ce paysage sacré n'avait jamais cessé de m'habiter. Mais un tiers de siècle ayant accompli son oeuvre, ni le père Raphaël, mon parrain, ni le père Guérassime, le moine aux traits byzantins, ne sont plus de ce monde, et c'est un jeune moine de Bosnie, aux allures d'étudiant, qui nous introduit auprès du saint par une petite porte basse en arc creusée dans le roc, porte dont je ne me souvenais pas, l'enfant y étant passé sans se pencher. De même dans la chapelle, la dernière fois, pour accomplir le rituel du baiser de la croix en argent posée sur la poitrine du saint, il fallait que je me dresse sur la pointe des pieds; maintenant il faut que je m'incline profondément. Et pendant que m'envahit par-dessus les années l'odeur presque oubliée de l'encens, je reconnais parmi les prophètes, les saints et les martyrs qui me fixaient autrefois les visages de saint Siméon et de saint Sava, le père et le fils qui, en partant justement de ces régions, jetèrent il y a huit cents ans les fondements de la nation serbe. L'austère sanctuaire dans la roche est l'image même du lieu où perpétuellement brûle un grand feu, se livre un grand combat comme dans l'antre de quelque aride conscience solitaire. Pour un peu, ces voûtes noircies de fumées d'encens résonneraient de tant de prières et d'espoirs qui se levèrent vers elles, de tant de douleurs qui vinrent ici chercher leur résolution. Saint Basile d’Ostrog par Léonid Ouspensky, 1976 Nulle part sous ces climats, à l'exception du mont Lovtchène, où la foi se uploads/Religion/ lettres-des-sanctuaires-serbes.pdf
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- Publié le Jan 08, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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