Le cheikh al-‘Alawî et son commentaire des aphorismes de Sîdî Abû Madyan de Tle

Le cheikh al-‘Alawî et son commentaire des aphorismes de Sîdî Abû Madyan de Tlemcen (partie1/2) par M.Chabry 24 mai 2007, 0 h 00 min Pour qui s’intéresse au soufisme maghrébin ou à sa pénétration en Occident, et tout particulièrement en France, la figure du cheikh Ahmad al-‘Alawî de Mostaganem (1869- 1934) est à divers égards incontournable. La confrérie (tarîqa) ‘Alawiyya, issue elle-même de la Shâdhiliyya-Darqâwiyya, fut l’une des toutes premières sinon la première à s’implanter en Occident. Il existait des zaouïas dans diverses villes d’Europe et notamment à Paris dès les années vingt du siècle dernier. Ces lieux de rencontre permettaient aux adeptes d’origine algérienne ou yéménite, par exemple, de suivre leur tradition dans un contexte occidental bien éloigné de leur culture d’origine. Mais ces migrants n’étaient pas les seuls concernés ; à la même époque, plusieurs occidentaux, dont certains jouissaient d’une certaine notoriété, comme le peintre Gustave- Henri Jossot, conquis par la forte personnalité du cheikh, entrent en islam et dans la voie soufie par son intermédiaire et sous sa direction. Plus généralement impliqué dans ce que l’on appellerait aujourd’hui l’Islam de France, il vint participer en 1926 à l’inauguration de la mosquée de Paris[i] : il fit le prêche et dirigea la prière commune à cette occasion. René Guénon (1886-1951), le porte-parole des doctrines traditionnelles en Occident, a également joué un certain rôle dans le rattachement à la tarîqa ‘Alawiyya de nombreux occidentaux : d’une manière générale, puisque bien des lecteurs de Guénon d’aujourd’hui ou d’hier, en quête de spiritualité, se tournent vers le soufisme, mais aussi d’une façon plus directe au début des années trente puisqu’il conseilla à certains de ses correspondants de prendre contact avec le cheikh al-‘Alawî. Après la mort du cheikh survenue en 1934, Guénon, par voie épistolaire, maintint le contact avec la tarîqa, c’est-à-dire avec le cheikh Adda Bentounès (1898-1952), successeur du cheikh al-‘Alawî à Mostaganem. Si l’on envisage maintenant le soufisme dans un cadre plus large, les personnalités du cheikh al-‘Alawî et du cheikh Adda Bentounès ont pu toucher de nombreuses personnes intéressées d’une façon générale par la spiritualité. Ce fut par exemple le cas de Jean Biès dans les années cinquante, qui a laissé un témoignage écrit de sa rencontre avec le cheikh Adda. Moins connu en France mais tout aussi important est le cas de Thomas Merton, qui témoigna d’un profond intérêt pour le soufisme et rencontra en particulier en 1966 un maître de la tarîqa ‘Alawiyya disciple direct des cheikhs al-‘Alawî et Adda Bentounès. Du côté du monde arabo-musulman, l’influence du cheikh est encore plus évidente. Martin Lings rapporte dans sa biographie du cheikh (Un saint soufi du XXe siècle, aux éd. du Seuil) que selon Probst-Biraben, à la fin des années vingt, la confrérie comptait plus de 200 000 disciples. Un recueil de lettres en arabe intitulé al-Shahâ’id wa-l-fatâwâ, permet également de se faire une certaine idée du degré de reconnaissance par l’intelligentsia musulmane de l’autorité spirituelle du cheikh. On trouve en effet dans ce recueil aussi bien de sobres attestations d’honorabilité que des lettres enflammées et pleines de lyrisme magnifiant le degré du cheikh. Citons pêle-mêle quelques-unes de ces autorités : des muftis (Mostaganem, Tlemcen, Sidi Belabbès, Blida), des cadis (Tlemcen), des enseignants (Oran, Fès, Relizane, Oujda, Constantine, Blida), des oulémas (notamment de Fès, où le cheikh fut reçu par les plus hautes autorités religieuses du Maroc), des juristes (Tétouan) et des imams (Alger). Si l’on ajoute à cela les données publiées par le cheikh Adda dans son ouvrage biographique sur le cheikh al-‘Alawî, al-Rawda l-saniyya, relatives aux zaouïas fondées en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Palestine et en Ethiopie, on peut vérifier que le spectre géographique et sociologique de la tarîqa était particulièrement large. Le fameux Abdelkrim par exemple, celui-là même qui posa tant de problèmes aux autorités coloniales françaises et espagnoles, était l’un de ses disciples[ii]. Suite à une dénonciation, le cheikh fut questionné à ce sujet par l’administration française et, tout en reconnaissant ce fait, affirma que ce jihâd menée par Abdelkrim venait de sa propre initiative, qu’il lui semblait que ce dernier ne s’opposait pas à la France, et que même concernant l’Espagne, il ne s‘agissait pas d’une guerre nationaliste mais plutôt d’une lutte pour préserver l’honneur et les droits de son peuple, précisant que si ses interlocuteurs espagnols avaient été plus enclins à réviser leur position, Abdelkrim n’aurait pas fait parler la poudre[iii]. Le cheikh eut lui-même une activité quasi politique, du moins en apparence[iv] : à titre d’exemple, on peut noter qu’il était présent le 5 mai 1931 à la réunion fondatrice de la fameuse « Association des Oulémas musulmans et algériens[v] », ultérieurement vecteur de diffusion des idées « réformistes » en Algérie. Voilà pour le début du XXe siècle. Concernant l’époque actuelle, l’influence du cheikh est encore très notable aujourd’hui pour qui connaît un peu les quelques grandes familles soufies présentes en France ou au Maghreb. Du point de vue de la filiation initiatique, bien des turuq actives aujourd’hui disposent d’un lien avec lui, même si la nature de ce lien varie selon les groupes. Il y a tout d’abord les différentes branches de la ‘Alawiyya dans le monde entier, qui disposent d’un lien initiatique direct : les ‘Alawîs (à ne pas confondre avec la dynastie alaouite du Maroc ou les alaouites de Syrie) sont par définition des adeptes dont le cheikh est l’ancêtre spirituel, par l’intermédiaire de maîtres que leur silsila permet d’identifier. Très semblable est le cas des confréries qui ne s’appellent pas ‘Alawiyya pour des raisons diverses mais dont le cheikh constitue le maillon unique à son époque. On trouve encore des groupes pour lesquels le cheikh est, avec d’autres maîtres de son époque, considéré comme une source de baraka, d’influence spirituelle. Assez différente est l’approche, en général occidentale, qui consiste à reconnaître certes la sainteté du cheikh, à obtenir un rattachement via l’une ou l’autre des branches de la tarîqa, mais sans que la voie propre du cheikh soit techniquement mise en œuvre, l’inspiration doctrinale et méthodologique venant d’ailleurs. Enfin, aussi curieux que cela puisse paraître, il existe même des confréries dont les responsables actuels semblent vouloir occulter le lien initiatique de leurs prédécesseurs avec le cheikh al-‘Alawî : là encore, la Rawda l-saniyya du cheikh Adda et le recueil al-Shahâ’id wa-l-fatâwâ (publié en 1925) sont de précieuses sources d’informations. En France, c’est bien la biographie de Martin Lings, ouvrage remarquable à bien des égards, qui a permis de faire connaître assez largement la personne et l’œuvre du cheikh. Malheureusement, ce travail de pionnier n’a pas été suivi d’une recherche plus approfondie sur ses textes, dans le cadre ou en dehors du milieu universitaire[vi]. Bien peu d’ouvrages du cheikh ont été traduits en français, plus de 70 ans après sa mort, et ce, comme nous l’avons vu plus haut, malgré la multitude d’individus qui, d’une façon ou d’une autre, se rattachent à lui ou s’inspirent de lui. Certains de ses écrits n’existent même qu’à l’état de manuscrit, n’ayant jamais été édités en arabe, et ne sont pas accessibles. Peut-être que l’arbre, c’est-à-dire une certaine image du cheikh al-‘Alawî ou même une certaine façon de le cataloguer, nous a masqué la forêt, c’est- à-dire son œuvre, dont l’ensemble de ses écrits, et sa station spirituelle. « Mystique moderniste », saint dont il exhalait « quelque chose de l’ambiance archaïque et pure des temps de Sidna Ibrahim El-Khalîl (Abraham) », « saint de type aissawî (christique) », « représentant autorisé de l’ésotérisme islamique », soufi ayant « su adapter tradition et modernité » : toutes ces appréciations nous renseignent parfois plus sur les préoccupations de leurs auteurs que sur notre auteur. Leur diversité et parfois même leur opposition présentent cependant l’intérêt de mettre en lumière la complexité du cheikh. Pour me limiter à un seul exemple, il est certain que bien des éléments de sa doctrine voire différents événements relatifs à sa vie personnelle peuvent à bon droit faire penser à la figure du Christ. Mais même l’indice principal d’une telle affinité, à savoir l’insistance sur l’amour comme moteur et objectif de la voie, n’épuise pas la personnalité du cheikh. Il y avait inévitablement chez les occidentaux ayant approché le cheikh al-‘Alawî et le cheikh Adda une propension naturelle à mettre en relation avec Jésus, qui était leur référence religieuse principale, l’humanisme et la noblesse de caractère exceptionnelle dont ils étaient les témoins directs. Il est donc important de faire remarquer que si une spiritualité musulmane mais de type aissawî était bien la condition de réussite d’une greffe du soufisme en Occident, on pourrait tout aussi bien dire que ce sont les maîtres eux-mêmes qui, par leur sagesse, ont su mettre en avant les sciences et les qualités les plus parlantes pour leurs auditeurs occidentaux. Cette hypothèse me semble d’autant plus valable que la capacité à adapter son discours au profil de ses auditeurs est non seulement une caractéristique générale du soufisme shâdhilî mais même une qualité portée à sa uploads/Religion/ le-cheikh-alalawi01.pdf

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  • Publié le Sep 28, 2022
  • Catégorie Religion
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