M. Robert Ricard Le symbolisme du « château intérieur » chez sainte Thérèse In:
M. Robert Ricard Le symbolisme du « château intérieur » chez sainte Thérèse In: Bulletin Hispanique. Tome 67, N°1-2, 1965. pp. 25-41. Citer ce document / Cite this document : Ricard Robert. Le symbolisme du « château intérieur » chez sainte Thérèse. In: Bulletin Hispanique. Tome 67, N°1-2, 1965. pp. 25-41. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1965_num_67_1_3832 LE SYMBOLISME DU « CHATEAU INTÉRIEUR » CHEZ SAINTE THÉRÈSE Sainte Thérèse n'a pas inventé le symbole du château inté rieur. Tout au moins n'a-t-elle pas été la première à l'employer. Étrangère à toute recherche littéraire et uniquement soucieuse de faire comprendre le mieux possible des choses qui lui sem blaient difficiles, elle n'a aucunement prétendu à l'originalité dans le choix de ses images et de ses symboles : l'originalité lui a été donnée par surcroît. Mais, pour les mêmes raisons, il lui paraissait inutile et sans intérêt de préciser au lecteur l'origine des symboles auxquels elle avait recours. Elle l'a fait quelquef ois, souvent à moitié1, elle ne l'a pas fait toujours, au gré des circonstances, de son humeur et de ses dispositions. Pour le symbole du château intérieur, elle s'est montrée particulièr ement indifférente aux curiosités de ses religieuses, de ses disciples et de ses futurs commentateurs ; d'ailleurs, l'idée qu'un jour on la commenterait savamment l'aurait sans doute beaucoup surprise et surtout beaucoup divertie. Elle ne savait pas, dit-elle donc au début des Moradas, comment s'y prendre pour exé cuter l'ordre de Jerónimo Gracián, son supérieur, et de D. Alonso Velázquez, son confesseur d'alors, qui voulaient la voir écrire sur l'oraison, et elle suppliait le Seigneur de parler à sa place, quand une idée se présenta, se... ofreció, à son esprit incertain. Cette idée, c'était, continue-t-elle, de considérer « nuestra alma como un castillo todo de un diamante y muy claro cristal, 1. Par exemple au ch. 3 des quatrièmes Moradas : t Paréceme que he leído que como un erizo o tortuga cuando se retiran hacia sí On sait que cette comparaison procède très probablement de la Subida del Monte Sion de Bernardino de. Laredo et du Troisième Abécédaire de Francisco de Osuna, auxquels elle est commune (cf. les deux ouvrages du P. Fidèle de Ros, Le Père François d'Osuna, Paris, 1936-1937, p. 478 et p. 621, et Le Frère Bernardin de Laredo, Paris, 1948, p. 331-332). 26 BULLETIN HISPANIQUE adonde hay muchos aposentos, ansí como en el cielo hay muchas moradas » {Moradas primeras, début du ch. 1). Si l'on néglige l'allusion banale au texte évangélique sur les nombreuses de meures dans la maison du Père, le symbole paraît avoir surgi spontanément dans l'intelligence de la Sainte. Mais les expres sions très vagues qu'elle emploie ne permettent pas de déclarer qu'elle affirme l'avoir inventé. Elles ne nous interdisent pas de supposer que, si le symbole s'est ainsi présenté à son esprit, c'est peut-être parce qu'il s'y trouvait déjà, et qu'elle se l'était assimilé si intimement que son origine même finissait par lui échapper. Ils nous autorisent donc à rechercher sa genèse et ses antécédents. * * * On se bornera, bien entendu, à la genèse et aux antécédents immédiats. Le symbole est très ancien, et il ne saurait être ques tion de remonter ici au déluge 2. Dans l'immédiat, les comment ateurs ont envisagé des souvenirs de lecture, c'est-à-dire, plus précisément, de Francisco de Osuna et de Bernardino de Laredo, que l'on retrouve presque toujours à propos de sainte Thérèse. Plusieurs passages de Francisco de Osuna ont été allégués et il convient de les reprendre. Ils se trouvent dans le Troisième et le Quatrième Abécédaire, publiés respectivement pour la première fois à Tolède en 1527 et à Séville en 1530 3. Dans le Troisième Abécédaire, on doit se reporter surtout au quatrième Traité, sur la guarda del corazón, qui compte cinq chapitres. 2. J'ai relevé quelques-uns de ces antécédents lointains il y a une vingtaine d'an nées dans mon article Quelques remarques sur les « Moredas » de sainte Thérèse (Bul letin hispanique, XLVII, 1945, p. 187-198 ; cf. p. 188-189). Voir aussi les pages du P. Henri de Lubac sur les symboles architecturaux dans Exégèse médiévale, Les quatre sens de l'Écriture, vol. IV (= 2e partie, t. II), Paris, (1964), p. 41-60. 3. Cf. Gaston Etchegoyen, L'amour divin, Essai sur les sources de sainte Thérèse, Bordeaux- Paris, 1923, p. 16, et Fidèle de Ros, Osuna, p. xix-xx et p. 168. Nous nous référerons souvent à l'étude de Gaston Etchegoyen qui, en dépit de sa date, conserve une très grande utilité ; malheureusement, l'auteur, disparu brusquement avant l'impression, n'a pu donner la dernière main à son travail (voir p. 6), ce qui explique des erreurs de détail que nous aurons à relever. Pour le Troisième Abécéd aire, on utilisera ici l'édition Miguel Mir, Escritores místicos españoles, t. I, Madrid, 1911 (N. B. A. E., 16), p. 319-587 ; les passages que nous citons se trouvent p. 358 a, p. 359 a-b, et p. 360 b-361 a. Pour le Quatrième Abécédaire (Ley de Amor Santo), l'édition la plus accessible aujourd'hui est celle de la « Biblioteca de Autores Cris tianos », n° 38, Místicos franciscanos españoles, t. I, Madrid, 1948, p. 221-700. LE SYMBOLISME DU « CHÂTEAU INTÉRIEUR » 27 Osuna y disserte longuement sur une phrase du Livre des pro verbes (ch. iv) qu'il traduit ainsi : « Guarda tu corazón con toda guarda, porque del procede la vida. » II commente en ces termes dans son ch. n : « Sobre estas palabras dice la glosa que quiso decir el Sabio que guardásemos el corazón con toda diligencia, como se guarda el castillo que está cercado, poniendo contra los tres cercadores4 tres amparos... ». Ces trois cercadores, ce sont les ennemis traditionnels de l'âme, c'est-à-dire la chair, le monde et le démon. Il ne suffît pas, ajoute Osuna, qu'une ville soit protégée par de robustes fortifications et entourée de murs puissants avec des sentinelles vigilantes au sommet des tours, si l'on a omis de garder une poterne par où l'ennemi pourra se glisser dans la place. Après quoi il intitule le ch. ni : « De cómo has de guardar el corazón a manera de castillo. » II y rappelle qu'il y a dans l'âme trois puissances, la puissance rationnelle, la puissance de conservation (irascible) et la puis sance de désir (concupiscible), c'est-à-dire l'entendement, la volonté5 et la sensualité. Ces puissances constituent les trois voies ou les trois portes par où le cœur de l'homme peut être attaqué. La première pourra être victime de l'erreur ou de la tromperie, la seconde de la violence et de la force, et la troisième des désirs mauvais. « Y es de notar que si el demonio solamente halla la una parte o camino destos tres mal guardado, por allí se entra al castillo del corazón... ». Mais le cœur du juste est aussi « paraíso terrenal, donde se viene el Señor a deleitar, porque él dice que sus deleites son morar con los hijos de los hombres. Y es también a nosotros paraíso del deleite, porque en el corazón comenzamos a gustar el deleite del paraíso, mayor mente cuando mora Dios en él, y este deleite que en el corazón se gusta, como el Sabio dice, es mayor que todo el mundano placer ». C'est ainsi que Francisco de Osuna mélange les symb oles sans aucun souci de cohérence. Il les mêle encore plus 4. Le passage est cité dans l'introduction aux Obras completas de sainte Thérèse publiée par la « B. A. C. », t. I (n° 1\ de la collection), Madrid, 1951, p. 376, avec une faute de copie ou d'impression : « cercados » au lieu de « cercadores ». 5. Dans Etchegoyen, V amour divin, p. 333, 1. 21, « volupté » est certainement une coquille qui a échappé à l'attention des reviseurs ou une faute de la mauvaise co pie dactylographiée (cf. p. 6). 28 BULLETIN HISPANIQUE que ne peut le montrer l'analyse très sommaire qui précède, car il en ajoute beaucoup d'autres qui ne nous intéressent pas présentement. Mais on voit bien la place que le château occupe dans ces pages, à la fois ascétiques et mystiques, associé au paradis où réside (mora) le Seigneur. Or il ne faut pas oublier que sainte Thérèse les a certainement lues et qu'elle les a mar quées de croix et de traits sur l'exemplaire dont elle se servait 6. A-t-elle lu pareillement le Quatrième Abécédaire, appelé aussi Ley de Amor Santo? C'est moins certain, mais cela reste pos sible7. Sauf erreur, le symbole du château n'y apparaît nulle part ; on y voit seulement le corps humain comparé à' une ville dans la perspective du Cantique des Cantiques (ch. ni) : il de vient la ciudad de Dios quand il est gouverné par l'amour. Les rues de cette ville sont les vertus, et les places les exercices spirituels de ceux qui recherchent le Dieu qu'ils ont perdu8. Nous sommes beaucoup moins près des Moradas que dans le Troisième Abécédaire. C'est donc surtout uploads/Religion/ le-chateau-interieur.pdf
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- Publié le Apv 05, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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