Le Mont Athos dans la vie spirituelle de l’Église orthodoxe Archevêque Basile (
Le Mont Athos dans la vie spirituelle de l’Église orthodoxe Archevêque Basile (Krivochéine) I. Faire un exposé consacré au Mont Athos est une tâche ardue. Et sa difficulté ne provient pas uniquement du fait que l’on a déjà tant écrit à propos de la Sainte Montagne. Une vaste littérature existe en effet au sujet de l’Athos, rédigée en diverses langues et dans les genres les plus variés. En premier lieu, il y a les descriptions des voyageurs et visiteurs du Mont Athos3. La plus ancienne appartient au hiérodiacre russe Zosime de Novgorod, qui visita l’Athos en 1420 et laissa une brève description de son voyage. Le récit suivant fut rédigé par l’italien Buondelmonti qui visita le Mont Athos au milieu du XVe siècle. Depuis lors et jusqu’à nos jours, de telles descriptions n’ont pas cessé. D’autres ouvrages sur l’histoire, l’archéologie, l’art, le droit4 et la vie monacale de l’Athos peuvent être ajoutés à cette masse d’impressions des voyageurs … Une telle production littéraire souligne incontestablement l’intérêt vif et continu envers cette contrée monastique durant les derniers siècles et jusqu’aujourd’hui, tant du côté oriental qu’occidental du monde. Mais tous ces livres sont d’habitude entachés de nombreuses inexactitudes et ne donnent pas un tableau complet du Mont Athos en général et de sa vie spirituelle en particulier, et c’est pourquoi la Sainte Montagne constitue encore, aux yeux de beaucoup, un mystère et une interrogation. Des points de vue diamétralement opposés ont été exprimés à son sujet. Une telle différence d’appréciation peut largement s’expliquer par le fait que la majorité de ces témoignages se fondent sur des visites de courte durée de personnes ignorant non seulement la langue locale, mais aussi presque tout de l’Église orthodoxe, du monachisme oriental et de sa vie spirituelle. Il n’est pas rare que même des travaux sérieux et scientifiques sur le Mont Athos — comme, par exemple, le long article de Karalevsky dans le Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques5 — soient truffés d’erreurs et d’inexactitudes6 qui n’auraient jamais été tolérées dans un travail historique sur n’importe quel autre sujet ; sur le Mont Athos, par contre, chacun estime avoir le droit — on ne sait trop pourquoi — de dire tout ce qui lui passe par la tête. A contrario, comme exemple d’ouvrage sérieux et objectif, rassemblant avec bonheur les impressions du voyageur et l’aperçu historique, on peut mentionner l’excellent travail du prof. Dawkins, Les Moines du Mont Athos7. Néanmoins, même cet ouvrage n’est pas exempt d’inexactitudes et n’examine pas en profondeur la vie spirituelle des moines. Dans le présent exposé, je me limiterai à quelques réflexions sur la place du Mont Athos dans la vie spirituelle de l’Église orthodoxe dans le passé et le présent. Je suppose que tous, ici, connaissent dans ses grandes lignes l’histoire de la Sainte Montagne, et c’est pourquoi il n’est pas indispensable de s’y arrêter en détail. Le Mont Athos existe en tant que contrée monastique vraisemblablement depuis les VIIe-VIIIe siècles. Son apparition peut être liée à la conquête musulmane de l’Égypte, de la Palestine et de la Syrie et à la diffusion de l’hérésie monophysite dans ces pays. Après la perte de l’Orient, le centre du monachisme orthodoxe se déplaça vers le Mont Athos, bien que ce processus ait exigé un temps assez long pour être parachevé. C’est ainsi qu’au IXesiècle, nous voyons seulement les premiers éléments d’une vie monastique organisée sur le Mont Athos sous la forme de petits couvents avec une autorité centrale. Le premier grand monastère, la Laure de saint Athanase, fut fondé en 963. Vers 972, apparaît la première Charte statutaire commune de la Sainte Montagne, appelée " Tragos " (c-à-d. " bouc ", parce que rédigée sur un parchemin en peau de bouc), signée par saint Athanase et l’empereur Jean Tzimiskès8. Aux XIe-XIIe siècles, le Mont Athos était déjà largement organisé, avec un grand nombre de monastères de types divers, une administration centrale et des moines des différentes nationalités : grecque surtout, mais aussi géorgienne, bulgare, russe et serbe. Même les Latins y avaient le monastère de Sainte-Marie-d’Amalfi. Celui-ci pratiquait le rite latin, mais relevait de la juridiction du patriarche de Constantinople, y compris après la séparation de l’Occident d’avec l’Église orthodoxe. Cette période, qui se prolonge chronologiquement jusqu’aux invasions latines de l’Orient, à la soi-disant quatrième croisade, à la conquête de Constantinople par les Latins (1204) et à la fondation du royaume latin à Thessalonique, peut être considérée comme l’une des plus florissantes dans l’histoire du monachisme athonite. Plus de deux cents monastères étaient dispersés sur tout le territoire de la Sainte Montagne. La population monastique était alors, apparemment, plus importante qu’à toute autre époque. Certains historiens évoquent même jusqu’à 50 000 moines vivant au Mont Athos ; ce nombre nous paraît cependant fortement exagéré, et il est plus vraisemblable de considérer que la population de ce temps atteignait 15 000 moines. Spirituellement, cette période est marquée par la grande figure de saint Athanase de Trébizonde († ca 1000). Sage organisateur de la vie cénobitique, remarquable maître spirituel, il fut une personnalité aux larges vues. Par sa sainteté et sa sagesse, saint Athanase réussit à attirer au Mont Athos des moines de toutes les parties du monde. Il avait des relations particulièrement étroites avec les Géorgiens (ce qui s’explique, peut être, par le fait que sa mère était géorgienne) et avec les Latins. Grâce à son soutien, le monastère d’Iviron (géorgien) et le monastère latin furent fondés sur la Sainte Montagne. Le monastère d’Iviron devint bientôt un centre majeur de la culture géorgienne, où bien des livres furent traduits en géorgien. La règle de la Laure, élaborée par saint Athanase, porte les traces de la règle de saint Benoît9. On peut probablement y reconnaître l’influence du monastère latin voisin. Une telle conception supranationale de la Sainte Montagne, en tant que centre du monachisme orthodoxe universel et surpassant les distinctions nationales, peut être considérée comme le testament de saint Athanase pour toutes les générations futures de moines athonites. Cependant, à cette période (Xe-XIIe siècles), le Mont Athos ne jouait pas encore un rôle considérable dans l’histoire de la spiritualité orientale. L’on ne peut douter du fait que le niveau spirituel des monastères était, alors, assez élevé dans l’ensemble, mais très peu d’écrits spirituels nous sont parvenus des moines athonites de cette période. À l’exception de la vita admirable et parfaitement historique de saint Athanase10 et de quelques règles à caractère plutôt juridique, la seule œuvre spirituelle marquante de ce temps est la vita de l’ermite saint Pierre l’Athonite11. Bien qu’elle manque de données historiques, elle est remarquable en tant qu’exposition précoce de la spiritualité hésychaste, et par sa vénération particulière de la Mère de Dieu en qualité de Protectrice de la Sainte Montagne. Plus tard, au XIVe siècle, saint Grégoire Palamas s’est servi de cette vita et l’a littérairement retravaillée en vue de son apologie de l’idéal hésychaste12. À cette époque, prédominait au Mont Athos le mode de vie cénobitique dans de grands monastères, et peut-être est-ce une des raisons de son improductivité dans le domaine de la littérature spirituelle. Saint Jean Climaque avait déjà remarqué un phénomène semblable chez les moines pachômiens. En tout cas, les grands écrivains spirituels de cette époque n’appartiennent pas au Mont Athos, comme, par exemple, le grand mystique et éminent écrivain, contemporain un peu plus jeune que saint Athanase : saint Syméon le Nouveau Théologien († 1022)13 et son disciple Nicétas Stétathos, qui vivaient tous deux à Constantinople, ainsi qu’Élie l’Ecdicos, Philotée du Sinaï, etc. Le Mont Sinaï (malgré son isolement en Orient) et Constantinople continuent, aux Xe-XIIe siècles, à être les centres du mysticisme, mais l’Athos se prépare déjà à recevoir leur héritage et à développer leurs doctrines spirituelles, ce qui se réalisera aux XIIIe-XVe siècles. Du point de vue spirituel, les XIIIe-XVe siècles constituent la meilleure période du Mont Athos, bien qu’extérieurement cette époque abonde en désastres. Mentionnons, au XIIIe siècle, les invasions et pillages des croisés latins, qui construisirent même une forteresse particulière aux frontières du Mont Athos, appelée " Frankokastro " (le " Château des Francs «), pour accomplir plus aisément leurs pillages sur la Sainte Montagne. Plus terribles encore furent les dévastations commises par les mercenaires catalans, qui, au début du XIVe siècle, brûlèrent sur le Mont Athos des monastères entiers avec leurs moines. Les pillages des Turcs datent de la fin du même siècle. Sans oublier les persécutions de l’empereur Michel VIII, qui tenta par la force d’imposer l’union avec Rome. Toutes ces calamités qui s’abattirent sur le Mont Athos eurent pour conséquence naturelle le renforcement et le développement d’un préjugé antiromain, qui est depuis ce temps-là une caractéristique de ses moines. Spirituellement, cependant, le Mont Athos s’est épanoui dans ces rudes épreuves et est devenu le centre d’un des plus grands mouvements mystiques dans l’histoire de l’Église orthodoxe, connu sous le nom d’ » hésychasme «. Ce terme provient de celui d’hesychia, qui signifie littéralement » repos " (ou " silence «). Cette expression désigne l’état de repos mystique, quand l’homme uploads/Religion/ vasile-k-athos.pdf
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Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 10, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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