Le langage, science des saints. Selon al-Hakîm al-Tirmidhî. 2002 Mystique musul

Le langage, science des saints. Selon al-Hakîm al-Tirmidhî. 2002 Mystique musulmane, parcours en compagnie d’un chercheur, Roger Deladrière, colloque du 9 mars 2001. (Coordination et introduction G. Gobillot) Paru aux éditions CARISCRIPT Paris, décembre, (364 pages), pp. 59-92 Geneviève Gobillot Université Lyon 3 De retour, en 1983, d’un séjour de deux ans en Égypte, effectué grâce à une bourse d’études de troisième cycle, j’avais pris la décision, à la suite d’une rencontre significative avec les textes d’al-Hakîm al-Tirmidhî, de consacrer un doctorat d’état à cet auteur. Je me suis à cet effet rendue directement auprès de Monsieur le Professeur Roger Deladrière, alors enseignant à l’Université de Lyon 3, qui avait supervisé, quelques années auparavant, la rédaction de mon mémoire de maîtrise, pour lui proposer un sujet portant sur une étude générale de la pensée de ce mystique à partir de l’édition du Livre de la profondeur des choses (Kitâb ghawr al-umûr). Après avoir examiné les quelques dossiers que j’avais réalisés sur le sujet, il a accepté chaleureusement et généreusement de diriger mon travail. Ce n’était pas une tâche de tout repos pour lui. En effet, je n’étais pas encore, à l’époque, vraiment consciente de l’importance de “ces petites choses” sans lesquelles un travail de recherche n’a aucune chance d’être, au moins, honnête. Les précisions de ponctuation, de distribution des accents, quelques détails orthographiques et même l’exactitude absolue des transcriptions phonétiques m’apparaissaient encore comme des injonctions un peu vagues et des corvées dont l’étude des textes de Tirmidhî aurait pu se passer sans trop de dommage. C’est grâce à l’extrême indulgence, à l’immense patience et à la remarquable disponibilité de mon directeur de thèse que j’ai pu prendre conscience, petit à petit, de l’importance de ce qui, en réalité, n’a rien à voir avec des points de détail. Le Professeur Deladrière révisait, régulièrement, aussi bien l’établissement de mon texte arabe que mes commentaires, sans omettre une virgule ni même un accent circonflexe, catégorie avec laquelle j’étais particulièrement fâchée. Bien entendu, sa direction de travaux ne se limitait pas à cela. Avec beaucoup de discrétion et d’indulgence, il me signalait les analyses qui pouvaient être approfondies ou améliorées, me prêtant souvent des livres qu’il m’envoyait par la poste. Il m’indiquait, sans chercher à imposer sa propre conception, les références les plus pertinentes et les pistes d’interprétation les plus justes et, lorsqu’il m’arrivait d’être découragée, il savait toujours me rendre confiance en mettant en avant les points positifs de ma réalisation. Une telle délicatesse et une telle sollicitude ne s’oublient jamais, quel que soit, par la suite, le cours des événements de la vie. Puissent les jeunes chercheurs et étudiants qui ont eu, en assistant à ce colloque, l’occasion de rencontrer le professeur Deladrière et ceux qui le connaîtront par l’intermédiaire de cet ouvrage d’hommages, mais surtout par la lecture de ses nombreux travaux, ouvrages et articles, s’imprégner de son exemple et tendre à leur tour vers l’idéal de recherche constante de la précision et d’honnêteté intellectuelle sans faille qu’il nous montre. Puissent-ils se donner pour but de le diffuser à leur tour, quand le moment viendra. Puissent-ils prendre modèle sur cette exigence sans cesse en éveil qui l’a conduit à ne négliger aucune des disciplines des études arabes et islamiques et à exceller aussi bien 1 en grammaire, en rhétorique et en poésie qu’en théologie et en mystique, domaines dans lesquels il a le plus publié. Ces vertus intellectuelles vont de pair avec l’élégance, la générosité, la sensibilité, l’érudition “vivante”, le respect manifesté aux autres et celui qu’il leur inspire, enfin l’humour, assortis d’une modestie naturelle, provenant du détachement qui caractérise l’état de perplexité (hayra), cher à Ibn `Arabî, dont le professeur Deladrière a maintes fois fait mention. Pour ma part, je lui dédie de tout coeur cette étude sur le langage des saints chez Tirmidhî, pour lequel, précisément, aucun des “sens” afférents aux choses de ce monde, comme à celles de l’au-delà, ne peut être saisi sans la maîtrise parfaite des moindres nuances de l’expression. Un chapitre entier de mon ouvrage consacré à la pensée de ce mystique1, traite du statut du langage et peut, à divers égards, être considéré comme une introduction à la présente publication. Néanmoins, cette première étude s’intéresse à l’ensemble des fonctions spirituelles du langage en tant que mode d’expression et de communication, alors que le but visé ici est de mettre en évidence, non plus les modalités du langage du point de vue de l’évolution mystique de l’homme, mais les divers niveaux du fonctionnement du discours par rapport à son origine divine. Il sera question, dans cette perspective, de deux axes principaux, d’une part la puissance de la “parole” au niveau du processus créateur, de l’existentiation des entités subtiles à la création du monde visible par le “kun”, d’autre part, son efficacité dans l’économie du salut. Il ne s’agit plus, de ce fait, du point de vue de l’homme qui tend à s’élever, mais de celui de Dieu qui “se penche” vers lui pour lui en donner les moyens. On ne rapellera jamais assez à quel point la question du langage est essentielle chez Tirmidhî, qui lui a consacré au moins deux ouvrages complets : Kitâb al-furûq2 et Tahsîl nazâ’ir al-qur’ân,3 ainsi que divers essais, dont son commentaire du verset : Lâ ilâha illa-Lâh.4. De plus, son ` Ilal al- `ubûdiyyât 5 est, pour une part essentielle de son contenu, basé sur des considérations relatives au langage. Chacun de ces textes présente un angle d’approche différent. Par exemple, selon le Kitâb al-furûq, il n’existe pas de vrais synonymes, de sorte qu’une même action, désignée par deux termes différents, renvoie dans un cas, à un acte provenant du coeur et, dans l’autre, à une initiative du “moi” égoïste. Tahsîl nazâ’ir al-qur’ân, met, au contraire, en évidence, la polysémie de certains mots dans le Coran et la tradition islamique. On pourrait donc croire à première vue qu’il y a contradiction entre les deux si Tirmidhî ne précisait lui-même, dans son introduction à cet ouvrage, que “l’on trouve souvent dans le Coran un même mot commenté selon divers aspects (wujûh) 6 et, qu’au moyen d’un examen plus approfondi, on s’aperçoit que, bien que les vocables servant à l’explication soient variés, ils peuvent tous être ramenés à un seul terme, l’impression de diversité apparente de sens provenant des “situations”, dans la mesure où le même mot peut désigner des états intérieurs aussi bien que des événements extérieurs. Dans cette perspective d’ensemble, la présente contribution se propose de mettre en évidence le fait que le livre intitulé “La science des saints” (`Ilm al-awliyâ’)7 est 1Le Livre de la Profondeur des choses, “Racines et modèles”, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 1996, chapitre VII, p. 173-194. 2Al-furûq wa-man` al-tarâduf, édité par Muhammad Ibrahîm al-Geyoushî, Le Caire, éd. al-nahâr, 1998. 3Tahsîl nazâ'ir al-qur'ân, édité par Husnî Nasr Zaydân, Le Caire, 1969. 4Paul Nwyia, " Al-Hakîm al-Tirmidhî et le lâ ilâha illâ-Llâh", in : Mélanges de l'Université Saint Joseph, n° XLIX, Beyrouth, 1968, pp. 741-765. 5Edité sous le titre de Kitâb Ithbât al-`ilal, par Khâlid Zahrî, Université Mohamed V, silsilat nusûs wa- wathâ’iq n° 2, Casablanca, 1998. 6Tahsîl nazâ'ir al-qur'ân, op. cit., p. 19. 7Voir manuscrit de Göttingen (Universitatsbibliothek, n° 256, folio 1 à 218) et édition Sâmî Nasr Lutf, Le Caire, Maktabat al-hurriyyat-al-hadîtha, Jâmi‘at ‘Ayn shams, 1981. 2 entièrement construit, du moins pour l’un de ses axes fondamentaux, autour d’un ensemble de questions relatives au langage, rectifiant par la même occasion une affirmation erronée, portée à ce sujet dans une thèse dont l’auteur s’est étonné, on ne peut plus hors de propos, du fait qu’il “n’y ait pas dans cet ouvrage de fil conducteur entre les sujets “8. Tout au contraire, le Kitâb `ilm al-awliyâ’ présente le cas, assez exceptionnel pour un ouvrage de ce volume et abordant plusieurs aspects de la vie spirituelle, d’être construit autour d’une question principale, la signification de son titre étant, précisément, qu’une certaine manière de comprendre et d’utiliser le langage constitue le fondement de la science des saints. En effet, comme il le précise dans un autre de ses ouvrages : “Les noms sont sortis des lettres et ils retournent aux lettres. Ceci est le trésor caché de la science (`ilm). Nul ne peut le saisir, hormis les awliyâ’...Pour eux seulement, le voile qui recouvre les lettres est soulevé, de même que le voile qui recouvre les Attributs, je veux dire les Attributs de l’Essence” 9. En revanche, il serait difficile de donner une image cohérente de ce “langage des saints” si l’on se bornait à suivre stricto sensu l’ordre des chapitres du livre10. En effet, les références au langage, présentes du début à la fin de l’ouvrage, ne le structurent pas “en apparence”, bien qu’elles le sous-tendent en profondeur. Ceci constitue un exemple de la manière dont Tirmidhî, mais également parfois, peut-être, ceux qui ont collecté et rassemblé son oeuvre, ont pu organiser les niveaux d’interprétation ou tout simplement la “lecture” de ses ouvrages en mettant en relief certaines “intentions”, de manière à ce que les initiés uploads/Religion/ le-langage-science-des-saints.pdf

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  • Publié le Jan 14, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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