LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Edition numérique Jean ERACLE La prière du cœur Dans

LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Edition numérique Jean ERACLE La prière du cœur Dans Echos de Saint-Maurice, 1961, tome 59, p. 148-167 © Abbaye de Saint-Maurice 2012 UN ASPECT DE LA SPIRITUALITE ORIENTALE LA PRIERE DU CŒUR et sa technique Le désir de l'Unité chrétienne s'affirme tous les jours davantage dans le monde. De tous côtés montent vers Dieu les accents de la prière que Jésus prononça la veille de sa mort : « Que tous soient un ! » (Jean XVII, 21). Au cœur de cet immense incendie de prière ardente pour l'Unité, des efforts nombreux s'accomplissent, afin que les méfiances et les préjugés soient consumés par le feu de charité et qu'ainsi éclate la Vérité du Christ qui seule peut rassembler tous les chrétiens. Pour apporter une petite contribution à cet effort, es- sayons de porter nos regards sur le vaste trésor de la spi- ritualité de nos frères d'Orient et tentons de pénétrer un peu dans ce domaine mystérieux, souvent mal compris, de la pratique de la prière du cœur appelée aussi prière de Jésus. A travers l'Histoire La spiritualité dont nous allons parler plonge ses racines dans les premiers siècles du christianisme et se présente comme l'harmonieuse synthèse de plusieurs courants mysti- ques très anciens. Un intellectuel se fait ermite Au IVe siècle, un intellectuel d'Asie Mineure, Evagre le Pontique, disciple des saints Grégoire de Naziance, Basile de Césarée et Grégoire de Nysse, se retire dans le désert 148 d'Egypte pour y mener la vie érémitique. Le premier, il es- saie d'élaborer une doctrine de la prière telle qu'elle était pratiquée par les Pères du Désert. « La prière, disait-il, est une conversation de l'intellect avec Dieu. Celui qui aime Dieu converse sans cesse avec lui comme avec un Père, en se dépouillant de toute pensée passionnée. Ne te figure pas la divinité en toi lorsque tu pries, ni ne laisse ton intelligence accepter l'empreinte d'une forme quel- conque ; tiens-toi en immatériel devant l'Immatériel et tu comprendras. » Cette prière, Evagre l'appelait la prière pure parce qu'elle ne pouvait se réaliser que dans l'absence de toute pensée passionnée, autrement dit dans une totale impassibilité (apa- theia) à l'intérieur de l'esprit. Il faut inspecter son cœur A la même époque, saint Macaire d'Egypte enseignait une prière très facile : elle consistait en de courtes paroles in- lassablement répétées et qui jaillissaient du cœur ; la forme la plus utilisée de cette prière dite monologique était le Kyrie eleison. La tradition attribua à saint Macaire toute une série d'Homélies spirituelles où était enseignée une forme spéciale de prière appelée prière du cœur. « Approche-toi de la prière, inspecte ton cœur et ton es- prit et prends la résolution de faire monter vers Dieu une prière pure. La grâce grave dans le cœur des fils de lumière les lois de l'Esprit. Ils ne doivent donc pas seulement puiser leur assurance dans les Ecritures d'encre, car la grâce de Dieu grave aussi les lois de l'Esprit et les mystères célestes sur les tables du cœur. Le cœur, en effet, commande et régit tout le corps. La grâce, une fois qu'elle s'est emparée des pâturages du cœur, règne sur tous les membres et les pensées. Car c'est en lui que sont l'esprit et toutes les pen- sées de l'âme et son espérance. Les marchands rassemblent de toute la terre des sources de profit terrestre. Ainsi, les chrétiens, par l'ensemble des vertus et la puissance du Saint-Esprit, rassemblent de toute la terre les pensées dispersées de leur cœur. C'est la plus belle et la plus vraie des affaires... 149 La puissance de l'Esprit divin a pouvoir de rassembler le cœur dispersé par toute la terre dans l'amour du Seigneur pour en transporter la pensée dans le monde éternel. » D'après ces textes, le cœur était considéré comme le cen- tre de l'homme : en lui pouvaient se réunir toutes les éner- gies du corps, de l'âme et de l'esprit. La prière ne devait donc pas seulement être pure de passions et sobre de pen- sées, mais encore être le fruit d'une totale unification de l'homme dans son cœur par l'action de l'Esprit-Saint. Le conseil d'un évêque Au Ve siècle, saint Diadoque de Photicé en Epire appor- ta à cette première élaboration un élément nouveau qui allait faire de la prière du cœur la prière de Jésus. « L'intellect exige absolument, quand nous avons bouché toutes ses issues par le souvenir de Dieu, une activité qui occupe sa diligence. On lui donnera donc le Seigneur Jésus pour unique occupation répondant entièrement à son but. " Nul, est-il écrit, ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n'est sous l'action de l'Esprit-Saint ". » (I Cor. XII, 3.) L'invocation du Nom de Jésus s'incorpora à la prière mo- nologique à l'intérieur du cœur enseignée par les écrits de Macaire et n'en fut plus jamais séparée. Ainsi formée, la prière de Jésus gagna peu à peu tous les milieux monas- tiques de l'Orient. Une échelle montant jusqu'aux cieux Au VIIe siècle, saint Jean Climaque, abbé du Sinaï, re- commande dans son ouvrage remarquable l'Echelle l'emploi fréquent de la prière monologique de Jésus à laquelle il con- seille de joindre le souvenir de la mort. « Point de recherche dans les paroles de votre prière, écrit-il, que de fois les bégaiements simples et monotones des enfants fléchissent leur père! Ne vous lancez pas dans de longs discours afin de ne pas dissiper votre esprit dans la recherche des paroles. Une seule parole du Publicain a ému la miséricorde de Dieu ; un seul mot plein de foi a sauvé le larron. La prolixité dans la prière souvent emplit l'esprit d'images et le dissipe tan- dis que souvent une seule parole (monologie) a pour effet de le recueillir. » 150 La prière de la respiration Un peu plus tard un autre abbé du Sinaï, Hésychius de Batos, n'enseigne pas une autre doctrine que l'auteur de l'Echelle ; il se plaît à définir le rôle de la sobriété ou garde vigilante du cœur : « La sobriété est la voie de toutes les vertus et de tous les commandements de Dieu. Elle consiste dans la tranquil- lité du cœur et dans un esprit parfaitement préservé de toute imagination. » Par ailleurs il insiste sur un autre élément de la méthode : la liaison de la prière monologique avec la respiration. Les textes abondent. En voici un qui résume bien toute sa doctrine : « Au souffle de vos narines unissez la sobriété, le nom de Jésus, la méditation de la mort et l'humilité ; l'un et l'autre sont de la plus grande utilité. » On peut dire que la méthode est maintenant constituée dans son ensemble ; l'expérience ne fera plus que la ren- forcer et la préciser toujours davantage. En particulier elle s'enrichira des enseignements de deux écrivains du VIIe siè- cle : saint Isaac le Syrien, évêque de Ninive 1 et saint Maxime le Confesseur, qui souffrit pour la foi à l'époque du monothélisme. Une vision de gloire Au XIe siècle, nous voyons la prière du cœur pratiquée à Constantinople par un des plus grands mystiques de tous les temps, saint Syméon le Nouveau Théologien, higou- mène — Abbé — de Saint-Mamas. Cet homme profondé- ment spirituel livra son expérience de l'union à Dieu dans plusieurs ouvrages et tout spécialement dans des hymnes rayonnants de joie où il chanta son amour pour le Seigneur. Partout la lumière éclate dans ses enseignements, car sa doctrine fut surtout centrée sur l'éclatante lumière de la 1 Nous donnons le titre de saint à ceux qui le portent dans l'Eglise orthodoxe, sans nous prononcer évidemment sur sa légi- timité. Nous tenons à le faire pour bien montrer que les auteurs cités jouissent d'une très haute considération chez les chrétiens d'Orient. 151 LES SAINTS DOCTEURS : Jean Chrysostome, Basile de Césarée, Grégoire de Naziance gloire divine se révélant dans la contemplation au cœur du spirituel. Lui-même raconte ainsi une de ses expériences de la gloire : « Un soir qu'il priait et disait en son esprit : " Mon Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur ", d'un seul coup une 152 puissante illumination divine brilla d'en haut sur lui. Toute la pièce fut inondée de lumière ; le jeune homme ne savait pas qu'il était dans la maison ou sous un toit ; il ne voyait que la lumière de tous côtés, il ignorait même qu'il fût sur terre. Aucune crainte de tomber, aucun souci de ce monde... Il ne faisait plus qu'un avec cette lumière divine, il lui sem- blait être devenu lui-même lumière et entièrement absent du monde, et il débordait de larmes et d'une inexprimable joie. » Son disciple Nicétas Stéthatos, qui écrivit sa vie et rap- porte aussi cet événement, précise que tout au long de son illumination, Syméon, saisi d'étonnement, criait à haute voix sans se lasser : « Seigneur, aie pitié de moi ! » Il ne fait pas de doute que le uploads/Religion/ la-priere-du-coeur-et-sa-technique.pdf

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  • Publié le Mar 02, 2021
  • Catégorie Religion
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