LE SACRIFICE HUMAIN REFLEXIONS SUR LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE INDO-IRANIENNE ANC

LE SACRIFICE HUMAIN REFLEXIONS SUR LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE INDO-IRANIENNE ANCIENNE PAR E. PIRART* RÉSUMÉ Les sacrifices humains n’étaient, semble-t-il, que fictifs parmi les tribus indo- iraniennes dans l’antiquité. Leur raison d’être était probablement théorique: il n’y avait pas de véritables immolations, sauf comme châtiment. Ainsi, le «sacri- fiant» (ved. yajamana) devait être sacrifié, «rendu sacré», pour pouvoir entrer dans le monde sacré de la cérémonie par une séquence rituelle appelée dikÒa, mais il n’était pas sacrifié, bien qu’il fût nécessaire de séparer son âme des autres parties spirituelles de son corps. Il était la véritable victime, mais son âme était symbolisée par du Soma pressé ou «immolé» et le prêtre lui donnait les substituts des fonctions spirituelles correspondant aux neuf orifices de son corps en récitant des vers. L’importance et la fréquence des nombres neuf et sept dans les commentaires brahmaniques nous permet de comprendre le châtiment (ou «sacrifice négatif») que Darius le Grand inflige aux neuf rebelles selon l’inscription de Bisotun. La fluctuation entre neuf et sept est expliquée par les Brahma∞as, et il est pos- sible de mettre les neuf ou sept orifices, comparés aux portes d’une cité, en rela- tion avec les rivières qui sont au nombre de sept dans la mythologie védique et au nombre de neuf dans l’Avesta. Les sept Voyants et les neuf Kavi du Veda sont aussi à prendre en considéra- tion pour comprendre pourquoi Darius le Grand dit qu’il est le neuvième roi, et pourquoi les membres de la coalition qu’il organisa contre le pire des rebelles étaient sept nobles persans. Le sacrifice «négatif» ou «peine capitale» avait pour finalité de détruire les sens et les autres fonctions des orifices, tandis que le sacrifice humain que nous * Professeur à l’Université de Liège. Histoire et Philologie Orientales. Place du 20 août, 32, bâtiment A8. B-4000 Liège. Journal Asiatique 284.1 (1996): 1-35. pouvons déceler dans l’AgniÒ†oma donne à l’homme pieux la possibilité non seulement d’être, après sa mort, dans le monde supérieur, mais aussi d’y voir, d’y entendre, etc. La fonction «orificielle» la plus appréciée doit avoir été la vue. C’est ce que l’on peut déduire du fait que, selon l’Avesta, l’âme, au troisième matin après la mort, rencontre une jeune fille nommée «vision» (daena), mais aussi du fait que le dieu Soma épousa la fille du Soleil, à laquelle un passage védique donne un nom qui signifie «vision» (vena). La conscience religieuse représentée par la Daena était symbolisée dans les rites par le lait d’une vache sacrificielle mélangé à du jus de haoma. Selon l’Avesta, la vache immolée devait être grosse. Cette information doit être mise en relation avec le fait que la Daena devient aussi immédiatement une caraiti «femme enceinte». Les fils que les âmes pieuses auront dans le monde d’en haut sont probablement ceux que l’on appelle les Saosiia∞t et qui collaboreront avec Ahura Mazda pour la victoire définitive sur le mal à la fin du monde. Ainsi, la mort a une valeur eschatologique. SUMMARY The Human Sacrifice Reflexions about the old Indo-Iranian religious philosophy Human sacrifices, it seems, were only fictive amongst Indo-Iranian tribes in the Antiquity. Probably their raison d'etre was theorical: there were not real human immolations except as a punishment. For instance, the so-called «sacrificant» (ved. yajamana) had to be sacrified, «made sacred», in order to be able to enter in the sacred world of the ceremony through a ritual sequence named dikÒa. But he was not really immolated, although it was necessary to separate his soul and other spiritual parts from his body. He was the real victim, but his soul was sym- bolized by the pressured or «immolated» Soma, and the priest used to give him the substitutes of the spiritual functions corresponding to the nine orifices of his body by reciting verses. The importance and frequency of the numbers nine and seven in the brah- manic commentaries about this ritual give us the key for understanding the punishment or negative sacrifice Darius the Great inflicts on the nine rebels according to the Bisotun inscriptions. The fluctuation between nine and seven is explained by the Brahma∞as, and it is possible to put the nine or seven orifices comparated with the doors of a city in relation with the rivers which are seven in the Vedic mythology and nine in the Avesta. 2 E. PIRART Journal Asiatique 284.1 (1996): 1-35. The Seven Seers of the Veda and the nine Kavi also are to be considered in order to understand why Darius the Great says he is the nineth king and why the conjuration he organized against the foremost rebel consisted of seven noble Persians. The negative sacrifice or capital punishment has the finality of obstruating and destroying the senses and other orifices while the human sacrifice we can detect inside of the AgniÒ†oma gives the pious man the possibility not only of being, after death, in the Upper World, but also of seeing, hearing, and so on. The more appreciated amongst the «orificial» functions must have been the sight. We can deduct it from the fact that, according to the Avesta, the soul, on the third morning after death, encounters a nice maiden named «Vision» (daena), but also from the fact that the god Soma married the Sun’s daughter. A vedic passage also gives her a name meaning «Vision» (vena). The religious consciousness the Daena represents was symbolized in the rites by the milk of a sacrificial cow mixed with the haoma juice. We have to com- pare the avestan information that the cow to be immolated was a pregnant one with the precision that the Daena also becomes immediately a caraiti or pregnant woman. Those sons the pious souls will have in the Upper World are probably the so-called Saosiia∞ts, who will collaborate with Ahura Mazda for the definitive victory on the Evil at the end of the world. So, death has an escha- tological value. 0. INTRODUCTION 0.1. Que faut-il entendre par «sacrifice»? C'est litteralement, comme l'enseigne l'etymologie du mot, «le fait de rendre sacre»1, c'est-a-dire de faire passer quelque chose ou quelqu'un du monde profane au monde sacre. Si quelque chose ou quelqu'un passe du profane au sacre, il tombe au pouvoir des dieux ou, du moins, releve de ce qui leur revient ou encore leur devient apparente. 0.2. Deux questions se posent alors: comment les dieux vont-ils prendre possession de ce qui est sacrifie, de ce qui leur est offert en sacrifice? Que vont-ils en consommer? en accepter? Assez logique- ment, les dieux, s'ils sont spirituels, ne peuvent consommer ce qui est materiel. Il faut donc extraire le spirituel du materiel et le leur envoyer. 1 Latin sacrificium. LE SACRIFICE HUMAIN 3 Journal Asiatique 284.1 (1996): 1-35. Le fumet des viandes et non les viandes elles-memes, dans l'Antiquite grecque2. L'homme, qui leur a ete consacre ou sacrifie, devra donc etre immole afin de separer son ame ou partie spirituelle de son corps ou par- tie materielle. 0.3. La personne qui desire rendre un culte solennel a la divinite, c'est-a-dire celui qui paiera les frais d'organisation d'une ceremonie reli- gieuse et qui engagera les services de pretres, devra, avant que la céré- monie sacrificielle proprement dite n'ait lieu, se preparer a entrer dans le sacre. Cette personne que l'on appelle souvent «le sacrifiant» en tradui- sant litteralement le terme indo-iranien (vedique yajamana-, avestique yaz¢mna-) et qui est a distinguer des officiants (vedique ®tvij-)3 qui, eux, appartiennent pour ainsi dire deja a l'univers sacre en raison meme de leur appartenance a la caste sacerdotale, cette personne doit donc etre admise dans le sacre, etre consacree, «sacrifiee». Bien sur, on ne fera que la «sacrifier», on ne l'immolera pas: comment les pretres pour- raient-ils tuer un client? 1. LA VRAIE VICTIME ET SON SUBSTITUT 1.1. La mise en condition du «sacrifiant», son initiation, sa purifica- tion, ses ablutions, son observance en matiere d'alimentation par exemple, sa consecration, tel est le vrai «sacrifice», comme l'a bien sou- ligne Charles MALAMOUD4, tandis que la suite de la ceremonie, le gros de la ceremonie, qui passe pour etre la ceremonie proprement dite, au cours de laquelle un vegetal sera pressure ou un animal immole, consti- tue une sorte d'ersatz ou de leurre: les dieux accepteront que le «sacri- fiant» soit remplace par une plante ou une victime animale. On leur 2 Voir Fernand Robert, La religion grecque, «Que sais-je?» no 1969, Presses Univer- sitaires de France, Paris, 1981, 24. Dans l'Inde, l'idee que ce qui du corps va au ciel est la fumee existe aussi, mais sans doute est-ce un truisme: e. g. JB 1.18 … | atha hayam dhumena sahordhva ut kramati || … «pour ce qui est de ce (corps), il monte droit avec la fumee» (voir H. W. Bodewitz, Jaiminiya Brahma∞a I, 1-65. Translation and Commen- tary with a Study Agnihotra and Pra∞agnihotra by —, ORT 17, E. J. Brill, Leiden, 1973, 54, 57 sq. n. 14). 3 Voir Caland & Henry, L'AgniÒ†oma I 2. 4 CM 61, 77, 105 sq., 214. 4 E. uploads/Religion/ le-sacrifice-humain 1 .pdf

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  • Publié le Oct 04, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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