Collectanea Cisterciensia 75 (2013) 5-26 Paul HOUIX, ocso LES SECRETS DE LA PRI

Collectanea Cisterciensia 75 (2013) 5-26 Paul HOUIX, ocso LES SECRETS DE LA PRIÈRE* Introduction : une situation paradoxale En ce temps qui est le nôtre, en particulier le temps de l’Église marqué par le concile Vatican II, nous assistons à une situation très paradoxale en ce qui concerne la prière. Car, d’une part, il est indéniable qu’il y a actuellement un authentique renouveau de la prière : les « groupes de prière » se sont multipliés et, même si certains d’entre eux semblent à bout de souffle, d’autres au contraire vivent une vraie expérience de prière ; il y a des « écoles d’oraison », où bien des personnes ont trouvé ou retrouvé le goût de la prière ; il y a aussi, surtout pour les enfants, des « écoles de prière », où des enfants, voire des tout-petits, apprennent le sens de la vraie prière comme une rencontre avec Jésus, et cela aura une influence considérable sur leur vie chrétienne ; il faudrait aussi être attentifs aux nombreuses revues qui parlent de la prière, comme la revue Prier ! Donc il est indéniable que notre temps est marqué en profondeur par un renouveau de la prière et même s’il faut être attentif à ce que cela peut signifier et aux déviations toujours possibles, il reste vrai que, contrairement à certaines prévisions pes- simistes, la prière n’a pas disparu de la vie des disciples du Christ, bien au contraire. Et pourtant, d’autre part, force est de constater qu’aujourd’hui plus que jamais peut-être, des personnes affirment parfois avec beaucoup de conviction que la prière n’a aucune place dans leur vie ! Elles ne vont pas partir en guerre contre ceux et celles qui, au contraire, affirment leur désir et même leur besoin de prier, mais ce qui semble nouveau, c’est que de telles personnes, parfois très engagées dans la vie sociale, politique, culturelle, etc. vivent sereinement tous leurs engagements sans aucune référence à une prière quelconque. Cela nous oblige à considérer avec beaucoup d’humilité et de vérité le très grand mystère de la prière. Nous le ferons en contem- __________________ * Ce texte, rédigé au monastère d’Ampibanjinana (Madagascar), a été terminé le 22 juillet 2011, fête de sainte Marie-Madeleine. 6 Paul Houix, ocso plant sans cesse l’Homme unique entre tous : Jésus ! Car il fut par excellence l’homme de la prière. Le don de la prière Contrairement à bien des idées reçues, la prière n’est pas d’abord de l’ordre du faire, de l’agir et donc des méthodes, mais elle est de l’ordre du don, car c’est Dieu seul qui peut nous faire le don de la prière. Essayons de voir le secret de cette prière, don de Dieu. Dieu chercheur de l’homme Il fut un temps où nous parlions de la vocation de l’homme comme chercheur de Dieu et cela apparaissait même comme la vocation fondamentale du moine. Dans sa règle, suivi par une majorité de moines aujourd’hui, saint Benoît demande au maître des novices d’être attentif pour voir si le nouveau frère « cherche vraiment Dieu1 ». Aujourd’hui cependant, beaucoup de théologiens, à la suite du Magistère s’attachent davantage à considérer, non plus l’homme qui cherche Dieu, mais bien plutôt, Dieu qui cherche l’homme : En Jésus Christ, Dieu ne parle pas seulement à l’homme, mais il le recherche. L’incarnation du Fils de Dieu en témoigne : Dieu recherche l’homme. Jésus parle de cette recherche comme de retrouvailles de la brebis perdue (cf. Lc 15, 1-7). C’est une recherche qui naît au cœur même de Dieu et qui a son point culminant dans l’Incarnation du Verbe2. Voilà bien une nouvelle image de Dieu, celui que Jésus nous a révélé, d’un Dieu qui se met à la recherche de l’homme et il semble bien que ce soit cette image qui différencie la religion chrétienne des autres religions comme le dit avec force Mgr Claude Dagens : Reprendriez-vous à votre compte la formule de Gandhi : « Dans toutes les religions du monde, c’est l’homme qui est à la recherche de Dieu ; dans la religion chrétienne, c’est Dieu qui est à la recherche de l’homme » ? Sans aucune hésitation. Le christianisme a une originalité et une spécificité incontestables par rapport à l’expérience religieuse. Dans les religions païennes, c’est l’homme qui désire s’élever vers le divin pour le saisir, pour s’en emparer ou pour s’en imprégner. Dans le christianisme, c’est Dieu qui sort de lui-même, qui vient à nous par la création, par la loi, par la Thora. En dernière instance, par son Verbe fait chair : Jésus, cet homme, est la Parole vivante de Dieu. Le premier geste de l’expérience chrétienne, c’est donc d’accueillir, d’être là, de recevoir ce qui nous est donné, de reconnaître Celui qui vient à nous et qui se donne et qui s’identifie à tout être humain humilié, désarmé devant la vie3. __________________ 1. Règle de saint Benoît, 58, 7. 2. Lettre apostolique Tertio millenio adveniente sur la préparation du Jubilé de l'An 2000, n° 7, La Documentation Catholique n° 2105 (4 décembre 1994), p. 1018-1019. 3. Dans Panorama, juin 1996, p. 11. Les secrets de la prière 7 Relevons dès maintenant l’importance de certains mots qui, sans doute, vont nous permettre de définir ce qu’est la vraie prière : accueillir – être là – recevoir ! Pour beaucoup de personnes, prier c’est en quelque sorte mettre la main sur Dieu, mais il faut se rappeler le délicieux apophtegme des Pères du désert, ces spécialistes de la vraie rencontre avec Dieu : « Si, un jour, tu vois un novice qui s’élève au ciel, cours après lui, prends-lui les pieds et ramène-le sur terre. » Il faut toujours nous rappeler que Dieu est Dieu et que nous sommes toujours devant lui comme Moïse devant le Buisson ardent ou comme Isaïe dans sa vision du Temple ou surtout comme Jésus au jardin de Gethsémani, tombant à genoux pour implorer son Père. Prière comme attente et désir de Dieu Il y a, dans la prière, une forme d’impatience qui n’est conforme ni à l’image du vrai Dieu ni à celle de l’homme car la rencontre de Dieu et de l’homme est toujours au niveau de la gratuité. Personne ne peut convoquer Dieu au moment de la prière puisque, devant Dieu, l’homme ne sera jamais qu’un pauvre, un mendiant, un affamé qui attend que ce Dieu qui est amour, ce Dieu qui n’est qu’amour, veuille bien s’offrir à lui pour le combler de sa présence. Mais Dieu sait mieux que nous ce qui est mieux pour nous et s’il semble ne pas répondre à notre attente et à notre désir, il nous faut alors nous abandonner à lui, lui faire confiance en osant croire que les nuits que nous traversons parfois dans la prière n’ont d’autre but que de creuser en nous l’attente et le désir de Dieu. Personne ne peut mettre la main sur Dieu et surtout personne ne sait vraiment ce qu’est le vrai désir de Dieu sur nous. En fait, nous sommes toujours invités à vérifier la vérité de notre désir profond car, comme l’a dit avec beaucoup de justesse Paul Beauchamp4, l’homme finalement ne désire que Dieu, et cela à travers mille désirs qui traversent notre esprit et notre corps lui- même. L’athée convaincu risque de refuser d’être considéré comme un être qui désire Dieu sans le savoir et même sans le vouloir, mais nous le considérons comme un être créé à l’image et à la ressem- blance de Dieu et donc portant en lui-même, inconsciemment, le désir de Dieu ! Prier consiste donc à rejoindre en nous ce désir qui nous habite parce que nous portons en nous la marque même de Dieu. La prière habite notre cœur par le baptême S’il est vrai qu’en tant qu’image de Dieu, l’homme porte au plus profond de lui-même, même sans le savoir ou le vouloir, l’empreinte de Dieu, ce qui justifie les condamnations de toute forme de __________________ 4. Psaumes nuit et jour, Paris, Seuil, 1980, p. 144-145. 8 Paul Houix, ocso violence, il est néanmoins vrai que la parole de saint Paul doit être une grande lumière pour les baptisés : « Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas ? Vous avez été bel et bien achetés ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6, 19-20). Lorsque nous nous mettons en prière, que ce soit lors de la prière liturgique (Eucharistie ou office divin…), nous devrions avoir un réflexe baptismal par lequel nous rejoignons en nous, au plus pro- fond de notre cœur, la source vive de l’Esprit, source qui a jailli en nous lors de notre baptême. Ce fut, semble-t-il, l’expérience transfor- matrice de Paul le pharisien. Terrassé sur le chemin de Damas et demeu- rant aveugle durant trois jours, mais recevant le baptême, il fait une expérience totalement inconnue de lui, le juif priant qui ne pouvait uploads/Religion/ les-secrets-de-la-priere-selon-jesus.pdf

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  • Publié le Nov 26, 2022
  • Catégorie Religion
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