LES DANGERS DE LA GNOSE CONTEMPORAINE (II) Les hommes et les œuvres de la gnose

LES DANGERS DE LA GNOSE CONTEMPORAINE (II) Les hommes et les œuvres de la gnose contemporaine par Christian Lagrave Christian Lagrave a déjà traité dans Le Sel de la terre 54 (p. 184- 201) des origines et des thèmes de la gnose contemporaine. Il en pré- sente maintenant les hommes et les œuvres. Cette étude a fait l’objet d’un exposé aux journées Jean Vaquié organisées par Le Sel de la terre en août 2004. Le Sel de la terre. * Bref survol de l’histoire de l’ésotérisme L’ HISTOIRE de l’ésotéro-occultisme est marquée par une succession de flux et de reflux qui font un peu penser au mouvement des ma- rées. Tantôt les idées occultistes se répandent avec un succès qui paraît irrésistible, elles contaminent les élites puis une partie du grand public, et il semble qu’elles vont supplanter définitivement le catholicisme ; puis une réaction se fait, l’orthodoxie triomphe provisoirement. Mais les erreurs gnos- tiques ne disparaissent pas, car leurs adeptes sont remarquablement organi- sés : ils se camouflent et se réfugient dans des sectes secrètes où leurs doctrines se perpétuent en attendant de nouvelles circonstances favorables. Pour s’en tenir à l’époque moderne 1 (celle qui commence en 1453), les « marées hautes » de l’ésotéro-occultisme correspondent à la Renaissance puis à la Réforme protestante (marquées toutes les deux par le succès de la kabbale, 1 — Pour la période antérieure, on consultera avec fruit les Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme de l’abbé Augustin BARRUEL, chapitres XII et XIII de la deuxième partie, « Conspiration des sophistes de la rébellion » (Chiré-en-Montreuil, réédition 2005, t. I, p. 428-462). C I V I L I S A T I O N C H R É T I E N N E 96 de l’hermétisme et de l’alchimie), ensuite à la première moitié du XVIIe siècle avec l’engouement pour l’œuvre de l’illuminé allemand Jacob Boehme (1575- 1624), ainsi que pour les Rose-Croix (les manifestes rosicruciens sont parus vers 1615). Un siècle plus tard, en 1717, des protestants, alchimistes et rose- croix établissent à Londres la franc-maçonnerie ; quant à la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui fut l’époque des « Lumières » comme chacun sait, elle fut aussi celle d’une véritable floraison d’œuvres gnostiques, comme celle du Suédois luthérien Emmanuel Swedenborg (1688-1772), et de sectes maçonnico- occultistes (les plus connues étant les groupes martinistes de Martinez- Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin, ainsi que les Illuminés de Bavière de Weishaupt). Ce mouvement se continua pendant tout le XIXe siècle, d’abord avec le ro- mantisme, fortement influencé par les idées occultistes (l’influence de Swedenborg sur la Séraphita de Balzac est, par exemple, bien connue) ; le per- sonnage le plus important de cette période est probablement le théosophe Fabre d’Olivet (1768-1825) dont l’œuvre devait influencer la plupart des oc- cultistes postérieurs. Vint alors le spiritisme d’Allan Kardec (son ouvrage fon- damental Le Livre des Esprits parut en 1857), puis l’occultisme magique du diacre défroqué Constant, dit Éliphas Levi (1810-1875) qui influença fortement Villiers de l’Isle-Adam entre autres. Ce fut ensuite la théosophie : la Société théosophique, fondée en 1875 aux États-Unis par Helena Blavatsky, essaima en France en 1884 ; elle existe toujours, de même que sa dissidence rivale : la Société anthroposophique créée en 1914 par Rudolf Steiner. La fin du XIXe siècle fut marquée par une expansion spectaculaire de l’éso- téro-occultisme, étroitement lié à la franc-maçonnerie, avec des personnalités comme Josephin Peladan dit le Sâr Peladan, rosicrucien qui se disait chrétien, Gérard Encausse, dit Papus, médecin occultiste et franc-maçon, Nizier- Anthelme Philippe (1849-1905), dit le « maître Philippe » de Lyon, magnéti- seur et spirite dont l’un des disciples, Yvon Le Loup dit Paul Sédir, occultiste qui se prétendait « christique », fonda le groupe nommé « Les Amitiés spiri- tuelles » ; signalons au passage que Papus et Philippe furent invités à la cour de Russie en 1901, que Papus fit plusieurs conférences devant les grands-ducs et rencontra le tsar qui s’intéressait énormément à l’ésotérisme chrétien 1, quant à Philippe, il subjugua littéralement le souverain et la tsarine. Citons encore le magicien satanique Stanislas de Guaïta et sa Société de la Rose+Croix, à laquelle appartint Maurice Barrès ; Saint-Yves d’Alveydre (1842-1909), le théoricien de la synarchie ; Édouard Schuré (1841-1929) auteur d’un ouvrage intitulé Les grands Initiés, sous-titré : Esquisse de l’histoire secrète des religions – Rama, Krishna, Hermès, Moïse, Orphée, Pythagore, Platon, Jésus, 1 — Lettre de Papus à Saint-Yves d’Alveydre, citée par Jean SAUNIER, Saint-Yves d’Alveydre ou une synarchie sans énigme, Paris, Dervy-Livres, 1981, p. 416. HOMMES ET ŒUVRES DE LA GNOSE CONTEMPORAINE LE SEL DE LA TERRE Nº 56, PRINTEMPS 2006 97 publié en 1889 et maintes fois réédité, ouvrage dans lequel, sous une forme ly- rique et pseudo-érudite, il vulgarise les idées de l’ésotéro-occultisme ; enfin Jules Doinel (1842-1902), patriarche d’une prétendue Église gnostique, à la- quelle appartint René Guénon avec qui nous arrivons au XXe siècle et à la gnose contemporaine. Vous avez pu remarquer que plus on avance dans le temps, plus les marées hautes de l’occultisme sont fortes et durables, et plus ses reflux sont faibles et brefs ; c’est en quelque sorte normal puisque, quelle que soit la date de l’appa- rition de l’Antéchrist – que personne ne connaît ici-bas –, l’écoulement du temps nous en rapproche inexorablement. Or on peut penser, avec Bossuet comme avec saint Bernard, que l’hérésie gnostique, qui a commencé dès les premiers temps du christianisme avec Simon le Magicien, qui « a toujours eu depuis ce temps-là sa suite funeste 1 » et qui est la seule à avoir été prédite dans l’Écriture avec ses caractères particuliers 2, constitue le vrai « mystère d’iniquité » dont parlait saint Paul et sera l’hérésie des derniers temps. L’ésotérisme pseudo-chrétien Paul Le Cour (1871-1954) et Atlantis De son vrai nom Lecour, né à Blois en 1871, fils d’un négociant, il fit des études au petit séminaire mais se complaisait à la lecture de Jules Verne, de l’astronome panthéiste et spirite Camille Flammarion et du franc-maçon spi- rite Léon Denis. A 18 ans il découvrit Platon dont l’influence fut déterminante sur lui. Devenu fonctionnaire, il épousa une artiste et médium. Installé à Paris en 1905, il s’occupa de spiritisme (contacts avec l’« esprit » de Louis-Claude de Saint-Martin) et d’expériences métapsychiques. Il collabora à la Revue théoso- phique, aux Cahiers métapsychiques et au Voile d’Isis. P. Le Cour avait, comme le fera Guénon, mélangé le catholicisme et l’occultisme : expériences sur le lin- ceul de Turin, contacts avec l’abbé Lacuria – prêtre hermétiste –, avec le théo- sophe Rudolf Steiner, la Rose-Croix dite catholique (du « Sar » Péladan), ou la Société théosophique. En 1923, à la lecture du compte rendu d’un ouvrage par le libraire hermé- tiste et alchimiste Pierre Dujols (également connu sous le pseudonyme de Magophon pour sa réédition commentée du Mutus Liber, le livre muet de l’al- chimie), il apprit l’existence, à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), d’un mysté- rieux centre ésotérique appelé le Hiéron du Val d’Or ; il s’agissait d’un centre occultiste d’apparence catholique fondé en 1873 par le baron Alexis de 1 — BOSSUET, Histoire des variations des églises protestantes, livre XI, § 203 et 204 ; voir Lecture et Tradition, n° 293-294, juillet-août 2001, p. 16 et p. 19-22. 2 — BOSSUET, ibid., livre XI, § 201-204. C I V I L I S A T I O N C H R É T I E N N E 98 Sarachaga 1 (1848-1918) à Paray-le-Monial, la ville des apparitions du Sacré- Cœur à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Sarachaga, lui-même hermétiste, prétendait que le christianisme tirait son origine du continent englouti de l’At- lantide, siège d’une tradition européenne universelle, à travers le druidisme, la tradition égyptienne et le judaïsme. Après consultation de Pierre Dujols qui lui affirma la valeur de ce mouve- ment, P. Le Cour se rendit à Paray-le-Monial en novembre 1923 et y rencontra Jeanne Lépine-Authelain, dernière survivante de ce groupe, avec qui il allait rester en relations pendant un peu plus de deux ans, jusqu’à la mort acciden- telle de Jeanne Lépine en février 1926. Cette dernière l’avait désigné comme continuateur de ce centre occultiste. Dès lors, Paul Le Cour considéra que la « Tradition primordiale », que transmettraient les sociétés initiatiques, prove- nait non de l’Orient mais de l’Atlantide, considérée comme mère de la civilisa- tion occidentale. Ce continent disparu aurait eu pour roi Poséïdon, qui était pour lui le patron des chevaliers ! Il prétendait en plus opposer à l’Église de Pierre, une Église de Jean, Église secrète qui aurait conservé les traditions gnostiques 2. En juin 1926, il fonda une Société d’Études Atlantéennes dont le contrôle lui échappa au profit d’un président qui voulut en restreindre l’objet à l’archéolo- gie scientifique ; il s’en retira donc et fonda, en octobre 1927, Atlantis qui est à la fois une revue et un groupe de recherche sur l’ésotérisme, de tendance syn- crétiste, en particulier sur la Tradition occidentale ; il en assura la uploads/Religion/ les-hommes-et-les-oeuvres-de-la-gnose-contemporaine.pdf

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  • Publié le Dec 31, 2021
  • Catégorie Religion
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