INTRODUCTION Ici, c’est notre territoire, il est délimité par une ligne imagina
INTRODUCTION Ici, c’est notre territoire, il est délimité par une ligne imaginaire que nous appelons la ligne noire, c’est une ligne qui entoure la sierra au niveau des terres basses. Pour nous, la sierra est comme une petite planète, c’est pour cela que nous la délimitons avec un cercle. On y trouve la mer, le désert, la neige, elle comporte tout ce qui est nécessaire à la vie y compris la mort mais toutes ces montagnes ne sont pas seulement notre territoire ancestral, pour nous c’est le cœur du monde, de la vie. Comme un corps, c’est un espace vivant : l’eau c’est comme le sang qui coule dans nos veines, les pierres sont comme nos os le vent comme l’air qui circule et que nous respirons, les arbres et les plantes sont nos cheveux, les déserts nos bouts plantaires ou nos paumes, là où rien ne pousse les choses sont reliées les unes avec les autres. Si l’on abîme le cœur ou le foie c’est tout le corps qui souffre. La terre vit, elle ressent les choses comme une personne, elle est parfois fatiguée, malade, elle peut se défendre, elle peut aussi avoir une pensée, être tendre, aimer ou punir, nous devons continuer à protéger le corps du monde, nous devons conserver l’équilibre du monde. Extrait du témoignage d’un mamo, “Chez les indiens Kogi : Terre mère”, un documentaire radio d'Elise Andrieu et Diphy Mariani, France Culture, 2013 L’inspiration pour ce projet de recherche provient d’une expérience particulière que j’ai vécue en 2010, étant gardienne forestière dans la réserve naturelle la plus grande de Colombie, nommée Parque Nacional Natural Tairona. Pendant trois mois, j’ai eu l’opportunité d’agir pour la préservation et la conservation de cette réserve au sein de l’équipe de biologistes et de gardiens du parc. J’ai participe a des activités de sensibilisation environnementale avec la communauté locale. En contrepartie, j’ai réalisé des illustrations scientifiques des différents écosystèmes et des espèces animales en voie de disparition. Les longues journées dans le parc m'ont permises de faire des rencontres et de créer des liens tant avec des Kogi qu’avec des lieux sacres. Avant les rencontres humaines, je me suis en effet retrouve, a ma grande surprise, face a ce genre de lieu. C’était une expérience immédiate qui m’a été offerte : sans concepts préalables, je vivais pleinement la sensation de ce contact. Je suis arrivée par hasard sur un lieu sacre : un grand monticule de pierres en face de la mer. Je voyais les vagues se briser sur les pierres et retomber explosées en petites gouttes. Cette eau rafraîchissait ma peau. Assise sur ces roches monumentales, un fort sentiment de remerciement et de reconnaissance pour la planète m’a entièrement envahi. On pourrait dire que ce type d’expérience, ou l'on prend conscience de la magnificence de la terre, peut arriver n'importe ou. Certes, mais ce n’était pas le cas. J’étais sur un monticule de pierres dont j'ai appris par la suite qu'il s’agissait d’un lieu sacre pour les Kogi ; car dans ce genre d’endroit résident les pères ancestraux, comme ils l’expliquent : « qui sont les vrais propriétaires de la terre ». Afin d’entretenir les liens avec ces pères ancestraux, dans ces lieux sacres sont effectues des actes rituels. Ces derniers permettent d’équilibrer les flux des forces spirituelles, qui traversent d’autres lieux précis sur la montagne. Le territoire chez les Kogi est perçu comme un corps vivant, Reichel Dolmatoff (1986), un réseau, tissu de connexions qui ordonnent, délimitent et créent la Sierra Nevada de Santa Marta. La construction de ce tissage-réseau se réalise à partir d’actes rituels (pagamentos) qui permettent de mettre en lien spirituel les points névralgiques de ce réseau invisible. Le territoire-réseau que les Kogi habitent et construisent se traduit à travers de multiples expressions et manifestations; comme la couleur, la texture, le son, les rythmes, les arômes. Je m’intéresse donc à la manière dont les Kogi entretiennent des relations sensibles avec ce réseau et comment à travers les gestes de leurs corps, leurs déplacements, leurs pratiques rituelles et quotidiennes, il est possible d’étudier ce rapport particulier au territoire. La communauté des Kaggaba, plus connue sous le nom de Kogi, habite à la Sierra Nevada de Santa Marta, au nord-ouest de la Colombie. Pour ce peuple autochtone, les pratiques ancestrales et l’organisation territoriale existent et se développent en lien direct avec ce qu’ils appellent le principe d’origine ou la loi de la Mère Universelle. Selon Reichel Dolmatoff (1986), la mère universelle serait à l’origine de toute forme de vie. Le monde physique prend son origine dans un état spirituel, invisible et obscur, à partir de la pensée de la Mère Universelle, Aluna. Une fois visible, le monde s’organise grâce à un réseau de lieux qui ont des missions spécifiques (comme conserver la connaissance de l’anatomie humaine, représenter chaque espèce animale et végétale parmi d’autres). Tout ce qui est sur terre a une place prédéterminée dans un ensemble organisé. Cette organisation se manifeste à travers les codes de la nature elle-même : en témoignent les lacs, les pierres, les montagnes, la mer, le soleil, etc. La fonction des Kogi est celle de préserver, soigner et nourrir tout ce qui existe dans la nature en des lieux sacrés interprétés comme leur territoire ancestral où les principes d’origine et les normes sont codifiés. La citation précédente montre à quel point les Kogi considèrent leur territoire comme un réseau de lieux. Ce réseau est activé grâce à la pratique du pagamento, acte rituel qui permet de rentrer en connexion avec les ancêtres ou pères ancestraux qui résident dans des lieux spécifiques et qui sont les propriétaires de la terre. Cette mise en relation se réalise grâce à la pensée (Aluna)1. Ainsi, les Kogi se déplacent de manière ritualisée sur la Sierra Nevada de Santa Marta, afin de rétablir le flux 1C'est communication en Aluna, serait expliquait comme le principe spirituel qui donne l'existence à chaque être et chose dans la nature (SHIKWAKALA) 2018 d’énergies spirituelles entre les lieux sacrés au moyen des Pagamentos. Ces déplacements physiques se réalisent au sein des délimitations géographiques définies par les ezuamas2 (lieux situés en hauteur de la montagne, dans la source de lacs sacrés ou naissent les lignées, il s'agit d'un espace sacrée, situé toujours au sommet de la sierra, depuis le quel s’exerce la gouvernance du peuple Kogi) et par la ligne noire, frontière qui délimite le territoire indigène au niveau des terres basses, bornée par des lieux sacrés précis (Montana 2014). En effet, comme le décrit Valderrama, 2017, dans une entretient réalisé à un mamo3 : « Le territoire n'est pas seulement un espace défini comme un lieu, c'est-à-dire, ce n'est pas seulement une magnitude dans laquelle les corps sont contenus, ce n'est pas qu'un extérieur et bien sûr ce n'est pas une frontière comprise comme une ligne juridique de la manière dont elle est comprise dans la société majoritaire. Le territoire est une écoute spécifique de nos cultures, de ce que dit la Terre Mère. Pour cette raison, les peuples indigènes insistons sur le lien entre le sens de la territorialité et le sentiment d'appartenance, mais celui-ci n'est pas seulement physique mais un lien entre le matériel (physique) et le spirituel. Maintenant, ce que nous appelons spirituel, nous pouvons l'expliquer comme ce réseau de relations vitales que nous, êtres vivants, partageons avec la terre. La façon dont nos peuples sont dans la terre qui nous a vu naître n'a pas l'aspect d'une relation comme quand un verre contient de l'eau (ce n'est pas une relation contenant-contenu) mais la relation avec notre territoire est similaire à la relation entre la façon dont l'eau est impliquée dans l'eau elle-même ou l'implication que les oiseaux ont avec le vent ». Terrain J'ai réalisé chez les Kogi de Mulkuakungui, village indigène situé à 400m au- dessus du niveau de la mer, un projet de recherche dans le cadre de mon M2 à l’EHESS à Paris sous la direction de Klaus Hamberger. Durant le terrain ethnographique qui a permis cette recherche, j’ai consacré mon observation aux aspects sensibles (sons, couleurs, textures) de la vie rituelle et quotidienne. Je me suis également concentrée sur la description de gestes des diverses pratiques qui pouvaient m'aider à comprendre la construction de l’espace chez les Kogi à travers le façonnage des corps. Mulkuakungui se trouve a environ 400 metres au-dessus du niveau de la mer, je m’y suis rendue apres une semaine de travail a la Casa Indigena. A mon arrivee 2C'est dans ces sites où se trouve les principes de l'ordre spirituel, les normes et les procédures de la loi d'origine pour légiférer le territoire ancestrale. Chaque ezuama possède un mandat et des fonctions spécifiques, à partir de quels se définissent ses compétences et juridictions territoriales spécifiques. (SHIKWAKALA) 2018 3 Autorité spirituel j’ai ete accueillie par la famille de Judith, composee de treize membres : depuis Santa Marta, Esther, une niece, m’a guidée jusqu’a sa maison. Judith est restee a Santa Marta les premiers jours de mon travail de uploads/Religion/ mini-me-moire-lozano.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 14, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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