UNE THÉOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ Le judaïsme à la croisée des chemins Benjamin
UNE THÉOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ Le judaïsme à la croisée des chemins Benjamin Ish-Shalom, Traduit de l’anglais et de l’hébreu par Tal Aronzon In Press | « Pardès » 2015/1 N° 57 | pages 45 à 66 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848353340 DOI 10.3917/parde.057.0045 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2015-1-page-45.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) PARDÈS N° 57 45 Face au pouvoir Une théologie de la souveraineté Le judaïsme à la croisée des chemins Benjamin Ish-Shalom UNE THÉOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ La conception duale de la rédemption et de l’idée messianique 1 – vues comme des catégories apocalyptiques et mystiques d’une part ; en termes intellectuels, réalistes et politiques d’autre part – a fait route avec la conscience juive et l’espérance eschatologique depuis la Miqra [le canon hébraïque], la littérature rabbinique et le Moyen Âge jusqu’à nos jours 2. Néanmoins, la fondation de l’État d’Israël a fait pencher la balance en faveur de la perspective concrète, ce que j’appelle une « théologie de la souveraineté ». Ces deux approches s’accompagnent de dangers et d’un prix à payer, parfois même élevé, comme le précise Gershom Scholem dans ses articles sur le messianisme. Il y souligne que la sensibilité au messianisme et son attente sont la « véritable idée anti-existentielle ». Il soutient que « la force de l’idée messianique est contrebalancée par son impuissance face à l’Infini, qui se fit jour dans l’histoire juive tout au long de l’exil, alors que [la nation juive] ne pouvait se lever et occuper sa place sur la scène de l’histoire du monde ». « Il y a de la grandeur en une vie motivée par l’espoir », écrit-il, « mais cela recèle aussi quelque chose d’irréaliste. Une telle vie réduit le sens donné à l’individu, qui ne parvient jamais à se réaliser. Le judaïsme, qui puise son énergie dans l’idée messianique, doit mettre la vie in suspenso, en suspens sur place 3. » Mais l’approche réaliste de la théologie de la souveraineté à elle aussi un prix. Qu’il s’agisse des conceptions mystique ou réaliste, l’individu © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) 46 PARDÈS N° 57 Benjamin Ish-Shalom est en danger : du fait de la conscience permanente de l’imperfection de l’univers dans le premier cas ; ou du rapport à la nation enchâssé dans la théologie de la souveraineté, qui déprécie la valeur de l’individu, dans le second — le danger devient là particulièrement grave avec les démarches militantes, qui voient l’individu comme un outil au service d’objectifs collectifs supérieurs. Cette théologie de la souveraineté jouit en revanche d’un potentiel constructif du fait qu’elle met le sens des responsabilités en exergue. Le messianisme concret s’ancre dans la vision du prophète Zacharie : Ainsi parla le Seigneur des Armées : Vieux et vieilles s’assiéront encore dans les rues de Jérusalem, chacun sa canne en main du fait de son grand âge ; et […] la cité s’emplira de garçons et de filles jouant dans ses rues ; ainsi parla le Seigneur des Armées : ne sera-ce pas merveille pour Moi, ce qui reste de cette nation en ces jours ? Ce sera merveille à Mes yeux aussi, dit le Seigneur des Armées 4. La vision de la rédemption ici donnée par Zacharie ne parle pas d’un temple descendant des cieux ou d’une utopique harmonie entre le loup et l’agneau. Elle dépeint l’image réaliste d’un quotidien serein à Jérusalem comme un miracle aux yeux du peuple et à ceux de Dieu 5. Aujourd’hui, après la Shoah, nous comprenons combien grand est le miracle. Les fondements d’une théologie de la souveraineté sont présents dans les œuvres halakhique et philosophique de Maïmonide. Voici comment il décrit les temps messianiques : Ne croyez pas que le Messie doive produire des signes et des miracles, créer des choses nouvelles dans l’univers ou ressusciter les morts et ainsi de suite. Il n’en va pas ainsi […] Si un roi surgit de la lignée de David, s’il étudie la Torah et observe les commandements à la manière de son maître David, s’il exige du peuple juif qu’il s’y conforme […] et mène les combats divins, il pourrait bien être le Messie. S’il réussit à construire le Temple et rassembler les exilés, ce sera certainement le Messie, et il amènera le monde entier à célébrer Dieu ensemble […]. Ne croyez pas qu’aux jours du Messie quoi que ce soit changera dans la mécanique naturelle de l’univers ou qu’interviendra une nouvelle création du monde ; le monde continuera plutôt de fonctionner comme il en a coutume […] « Le loup vivra avec l’agneau et le tigre se fiera à l’adolescent (Is 11, 6) » est une métaphore […] Nos Sages ont dit : « Il n’est aucune différence entre ce monde et les jours du Messie, excepté l’allégeance des nations. » © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) PARDÈS N° 57 47 Une théologie de la souveraineté Et en ces temps il n’y aura ni famine ni guerre, ni jalousie ni compétition ; la bonté régnera partout, les mets fins seront aussi accessibles que la poussière, et le monde entier s’engagera dans la quête de Dieu […] ainsi qu’il est dit, « car la terre sera pleine de la connaissance de Dieu, comme les eaux couvrent la mer (Is 11, 9) 6. » Suivant la conception maïmonidienne, l’expérience messianique a pour premier signe distinctif une politique réaliste – c’est-à-dire liée à la royauté ; à la fondation d’un pouvoir autonome ; au rassemblement des exilés ; à la mise en place d’un gouvernement encourageant la tension spirituelle, l’étude de la Torah et les valeurs de paix et d’égalité pour le bien de l’humanité tout entière – une approche fondée sur les vastes horizons philosophiques et religieux de Maïmonide, qui associe des responsabilités particulières à la condition nationale et à la souveraineté. En deux endroits du Mishneh Torah, son précis de la loi judaïque ou halakhah, Maïmonide statue sur des commandements apparemment contradictoires d’une façon qui ne laisse pas d’étonner. Dans les Lois des Prédispositions morales (6, 1), il pose que les opinions et les actes d’une personne sont naturellement influencés par ceux qui l’environnent. Nous sommes donc requis de fréquenter des justes et de vivre auprès d’eux afin de nous polir à leurs usages. Si l’entourage de quelqu’un ou les gens de son pays sont mauvais, et commettent des péchés, il lui faut migrer en d’autres contrées, quitte à s’isoler au désert plutôt que subir l’influence du mal. Par contraste, dans les Lois des Rois (5, 12), Maïmonide édicte dans les pas du Talmud (Traité Ketoubboth) : « Toute personne devrait vivre à jamais en terre d’Israël, même dans une ville à majorité d’idolâtres ; et non hors d’Israël, même dans une ville à majorité [d’enfants] d’Israël. Car celui qui quitte le pays, c’est comme s’il pratiquait le culte des idoles. » Il se peut qu’il n’y ait guère de contradiction entre ces deux affirmations. Le commandement issu des Lois des Prédispositions morales fait référence à une personne établie hors d’Israël ; et celui extrait des Lois des Rois à l’obligation de vivre sur la terre d’Israël indépendamment du danger de l’influence négative des idolâtres. Une position néanmoins surprenante, dans la mesure où Maïmonide (et la loi judaïque) voient l’idolâtrie comme la pire des corruptions – au point de devoir périr plutôt qu’adorer des idoles. Pourquoi, alors, vivre en Israël a-t-il plus d’importance que le péril des influences idolâtres ? Maïmonide n’attribue certes pas de sainteté intrinsèque à la terre. Sa conception de la sainteté en général, et concernant la terre d’Israël en particulier, est symbolique et juridique. Si la sainteté © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) © In Press | Téléchargé le 19/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.238.224.177) 48 PARDÈS N° 57 Benjamin Ish-Shalom n’est pas une catégorie ontologique, comment l’obligation de vivre dans le pays peut-elle surpasser l’interdit de l’idolâtrie ? Mon hypothèse est que la position de Maïmonide s’enracine dans sa conception de la nation et de la rédemption comme une théologie de la souveraineté uploads/Religion/ parde-057-0045.pdf
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- Publié le Jan 08, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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