MARCEL SIMON Recherches d'Histoire Judéo -Chrétienne PARIS MOUTON & CO LAHAYE É
MARCEL SIMON Recherches d'Histoire Judéo -Chrétienne PARIS MOUTON & CO LAHAYE ÉCOLE PRATJ;QUE DES HAUTES ÉTUDES - SORBONNE SIXlbME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ÉTUDES JUIVES VI PARIS MOUTON & CO LA HAYE A l'Académie N or~égienne des Sciences et Lettres à Oslo en témoignage de gratitude. AVANT-PROPOS Le terme de judéo-chrétien est susceptible de plusieurs acceptions différentes. Dans son sens le plus précis, il s'applique à ceux des fidèles de l'Eglise ancienne qui s'efforçaient de concilier leur foi au Christ avec une stricte observance de la Loi mosaïque et qui prétendaient ainsi être Juifs en même temps que Chrétiens. Dans un sens plus général, et comme tous les composés de ce type, il caractérise les deux éléments ainsi juxtaposés, mais distincts, soit dans ce qu'ils ont de commun, soit au contraire par leur antagonisme : on pourra désigner comme ju~hrétien!l~la tra~tion re~Kieus~ ~pirituel!e-, issue de ll! Bible, dont se réclament, à des titres divers, et les Juifs et les Chrétiens, et· qui est l'une des composantes de notre civilisation occidentale. Mm l'on parlera aussi de la polémique judéo-chrétienne, qui oppose l'um à l'aütre, à travers Ïes siècÏes, les-deux religions. C'est en raison même de cette diversité de sens que j'ai retenu, pour le présent volume, un titre que le lecteur trouvera peut-être, à première vue, obscur et amhigu. Il m'est apparu en effet que toutes les études réunies ici pouvaient être ainsi qualifiées, soit qu'elles mettent en lumière des faits d~ syncré- ti~me ent!e les deux religions, un certain judéo.christianisme, !WÏt qu'elles analysent, dans tel oq tel de ses aspects, la continuité qui les unit ou l'hostilité qui les dresse l'une contre l'autre. Le christianisme et le judaïsme occupent tour à tour le devant de la scène. Mais jamais la religion rivale n'est totalement absente. A travers leur antagonisme même a'p'pa:t:aît la survivance tenace des liens qui les unissent. Les deux religions n'ont pas cessé, au cours des siècles qui forment le cadre de mes recherches, de se côtoyer, de s'affronter et d'exercer l'une sur l'autre, dans les deux sens, des influences multiples et multiformes. Tous les articles ainsi groupés ont été publiés déjà dans divers pério- diques ou recueils, dont on trouvera la liste dans la table des matières, et qui ne sont pas tous également familiers aux spécialistes de l'histoire du judaïsme ou du christianisme et des relations judéo-chrétiennes. Comme par surcroît plusieurs ont paru soit pendant la guerre, soit immédiatement après, à une époque où la diffusion des publications scientifiques ne s'effectuait pas de façon normale, il a semblé utile de les réunir en un volume. Plutôt que de les retoucher un à un, j'ai c~oiRi de les compléter par un ~adaendumqui fait état de ce qui a paru dans l'intervalle sur les différentes questions abordées. Je remercie lCII directeurs de revues et de maisons d'édition qui avaient d'abord accueilli ces pages d'avoir bien voulu m'autoriser à les reproduire ici. RETOUR DU CHRIST ET RECONSTRUCTION DU TEMPLE DANS LA PENSÉE CHRÉTIENNE PRIMITIVE Il existe un parallélisme frappant entre l'espérance juive relative à Jérusalem et son Temple et l'attente de la Parousie dans le chris- tianisme primitif. De même que la mort de Jésus n'a pas découragé ses fidèles, de même la confiance des Juifs n'est pas durablement ébranlée par la catastrophe de 70. Pour les uns, le sacrifice du Christ n'est que la condition nécessaire et le prélude de sa résurrection et de son retour cn gloire; pour les autres, la destruction de Sion prépare la voie à une restauration d'où elle renaîtra plus belle, plus grande, éternelle. Au Christ des nuées fait pendant la Jérusalem future; et tout comme les chrétiens appellent le retour du Seigneur - Maranatha - ainsi les Juifs prient chaque jour pour que revivent la Cité et le Lieu saints: « Fais miséricorde, Jahvé notre Dieu, en tes miséricordes nombreuses, à Israël ton peuple, à Jérusalem, ta cité, et à Sion, l'habitacle de ta gloire, et à son Temple, à ta demeure, et au règne de la maison de David, Messie de ta justice. Béni sois-tu, Jahvé, Dieu de David, toi qui bâtis Jérusalem» (1). L'espoir de voir renaître Sion n'exclut pas, en Israël, l'attente du Messie. De façon assez habituelle - le texte cité à l'instant le montre clairement - les deux choses vont de pair : la restauration de la Ville et du sanctuaire figure parmi les événements qui instaureront les temps messianiques; et si, selon la croyance la plus commune, l'Eternel doit en être lui-même l'artisan, d'aucuns y voient l'une des tâches réservées au Messie (2). Toutefois, après 70, et surtout après l'échec de Bar Cochba, c'cst Sion qui, visiblement, occupe dans les aspirations d'Israël la (1) Schemone Esre, 14, trad. BONSIRVEN, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus- Chri~t. Paris, 1935, II, p. 145. (2) Il y a d'ailleurs entre Messie et Sion comme une affinité de nature. L'un et l'autre sont revêtus de la 861;« divine. La théologie du Temple et la théologie du Messie se développent parallèlement, et confèrent parfois aux deux grandeurs les mllmes caractères, jusqu'à les rendre presque interchangeables. Sur ces interférences, cf. A. FEUlLI••;T,« Le discours de Jésus sur la ruine du Temple», Revue biblique, 1949, p. 70 ss., dont les conclusions sont d'ailleurs discutables. 10 R.CH.RCHD D'HISTOIRI JUDtO~HRtTIENNI premi~re place. La figure du Mellie, dan. certain. milieux, tend à "fllltomper. EUe n'a du reste jamais été universellement acceptée. Son rÔle, en tout état de cause, n'est que transitoire. Il est l'initiateur du Royaume; la Ville au contraire en est l'indispensable et durable fondement, le Temple rénové en est le centre concret et vivant. « Il y a une cschatologie sans Messie... Mais il n'y a point d'eschatologie .ans l'attente du grand rassemblement à Jérusalem, centre du monde, cité de l'avenir, cité de Dieu» (1). Dans le christianisme, au contraire, bien qu'il ait accueilli, au prix d'une transposition de sens, l'idée de la Jérusalem nouvelle (2), c'est sur la personne du Christ à venir que se concentre l'espérance. Certes, les premières générations chrétiennes ont établi, tout comme les apo- calypses juives contemporaines, une relation entre la catastrophe de 70 et le bouleversement final. Lorsque, dans le passage qui introduit l'apocalypse synoptique, Jésus annonce qu'il ne restera pas du Temple une pierre sur l'autre, les disciples n'hésitent pas un instant: « Dis- nous quand ces choses arriveront, et quel signe annoncera qu'elles vont s'accomplir» ; et Matthieu précise: « Et quel sera le signe de ton retour et de la fin du monde» (3). Déjà, avant même la catastrophe de 70, c'est une idée assez courante en Israël que le Temple n'est pas destiné à durer éternellement, mais qu'il sera, avant l'instauration des temps messianiques, détruit et remplacé par un sanctuaire plus parfait (4). Pour les chrétiens au contraire, la destruction est définitive. Elle marque d'éclatante façon l'abrogation de l'Ancienne Loi et la déchéance d'Israël. Pour n'avoir pas reconnu le Messie lors de sa première venue, le peuple pécheur est englobé, avec ses institutions rituelles, dans la condamnation du siècle présent. Temple et Messie s'excluent l'un l'autre, comme deux grandeurs antithétiques : il faut, pour que s'ins- taure le règne du second, que le premier disparaisse à jamais. Telle est du moins l'opinion des chrétiens de la Gentilité. Si elle a fini par prévaloir dans l'Eglise, eUe ne s'est pas imposée d'emblée à tous les fidèles. Il y a toutes raisons de penser que les chrétiens venus d'Israi:l partageaient sur ce point l'espérance des autres Juifs. Les premiers disciples étaient, nous dit-on, assidus au Temple (5). Irénée signale la dévotion que les Ebionites manifestaient à l'égard de Jéru- salem : Perseverant in his consuetudinibus, quae sunt secundum legem, et judaico charactere vitae, ut et Hierosolymam adorent, quasi domus sil (1) A. CAUSSE, (( Le mythe de la nouvelle Jérusalem, du Deutéro-Esaïe à la Ille Sibylle », Revue d'histoire et de phIlosophie religieuses, 1938, p. 397. (2) 'II &'\1(,) 'TEpOUl1IXÀ~fL, Gal. 4, 26; 'IEpoul1IXÀ~fL hOUP<X\lLOÇ, Hébr. 12, 22. (3) Marc 13, 4 : Mauh. 24, 3. (4) HHrrrncrs, d. R. BULTMANN, Geschichte der synoptischen Tradition, Gottinglln, 1931, p. 126. (5) Act". 2. 46 , :1. l, et... RETOUR DU CHRIST 11 Dei (1). A l'époque de saint Jérôme encore, ils attendaient l'instaura- tion d'une Jérusalem nouvelle, qu'ils se représentent de la même manière que les Juifs: Judaei et nostri Judaizantes putant auream atque gemma- tam Jerusalem de caelestibus ponendam (2). Pareilles dispositions impliquent presque à coup sûr la foi en la rt"stauration du Temple: car qu'est-ce que Jérusalem sans le sanctuaire? Alors que l'espérance des Juifs s'attache essentiellement à Sion, celle des chrétiens de la Gentilité uniquement à la Parousie, les judéo- chrétiens attendent, en même temps que le retour de leur Maître, et de son fait, la restauration du sanctuaire. Loin de s'exclure, Christ t"t Temple sont ici complémentaires. C'est, me semble-t-il, dans l'hypo- thèse d'une polémique engagée sur ce point entre judéo-chrétiens et chrétiens de la Gentilité que s'expliquent le mieux certains textes du christianisme primitif où il est fait allusion uploads/Religion/ recherches-dhistoire-judeo-chretienne-etudes-juives-vi-by-marcel-simon-pdf.pdf
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- Publié le Fev 18, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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