Philosophie analytique de la religion La philosophie de la religion comme théol

Philosophie analytique de la religion La philosophie de la religion comme théologie philosophique La philosophie peut se rapporter à la religion de plusieurs manières, et c’est historiquement ce qu’elle a fait. L’expression même de « philosophie de la religion » évoque sans doute aujourd’hui la réflexion philosophique sur le phénomène social et historique de la religion ou des religions, ainsi que celle qui considère le phénomène religieux comme essentiel à la vie de l’esprit ou à la vie sociale. Dans le premier cas, on pense par exemple à l’idéalisme allemand, et aux textes des leçons de Hegel sur la philosophie de la religion ainsi qu’aux parties du système qui porte sur la religion. Rappelons simplement qu’entre l’art et la philosophie, la religion constitue pour Hegel la manifestation de l’Absolu, de l’Esprit, qui se dégage de la seule sensibilité (Art) sans accéder encore à la pleine lucidité du concept (Philosophie). Les religions de l’histoire se hiérarchisent entre ces deux extrêmes et la marche du progrès va ainsi de l’animisme au christianisme (en passant par le polythéisme antique et le monothéisme juif), dont la version réformée est la plus dégagée des éléments sensibles, sinon irrationnels. Une telle progression, sans l’arrière-plan du système hégélien et sans idée d’une présentation de l’Absolu, est également proposée par Auguste Comte, même si la loi des trois états fait succéder à l’âge religieux, l’âge métaphysique qui cède la place à l’âge positif de la science dans la conquête de la connaissance. Ces philosophies envisagent la religion surtout comme tentative d’accès au vrai, éventuellement au bien. Avec la sociologie, c’est la religion comme facteur (peut-être le facteur essentiel) de la société ou des sociétés humaines qui est objet de réflexion philosophique. D’Emile Durkheim à Max Weber, les pères fondateurs de la sociologie sont aussi des philosophes, et la religion occupe une place prépondérante de leur champ d’étude. À l’analyse conceptuelle, ils mêlent des considérations historiques et tentent de faire émerger une approche singulière qui doit définir la discipline sociologique, mais ils offrent certainement une manière de considérer philosophiquement le phénomène religieux. Et quand bien même les descriptions empiriques y seraient plus nombreuses, et le domaine plus restreint, on voudrait en dire autant des grands ethnologues du XXe siècle, notamment ceux de l’école anglaise, de Frazer à Evans Pritchard. Certes on parlera aussi volontiers de science(s) des religions (voir plus loin), mais les méthodes empiriques sont mêlées à des considérations philosophiques, des considérations de « philosophie de la religion ». Aucune de ces deux acceptions ne correspond pourtant à ce que les philosophes analytiques contemporains désignent par l’étiquette « philosophy of religion ». Calquée sur les autres rubriques académiques (philosophie des sciences, philosophie du langage, philosophie de l’action, philosophie de l’art, philosophie du droit), ils entendent bien plutôt désigner ainsi l’analyse et la discussion philosophique des croyances religieuses, des concepts et des propositions supposées ou explicites dans les credo des religions modernes, du plus général (l’idée même de croyance religieuse ou de Dieu) au plus spécifique (le contenu de tel doctrine, et particulièrement du credo chrétien). Ils retrouvent ainsi une tradition ancienne et importante de la philosophie classique, celle de la dite « théologie naturelle », mais aussi de ce que l’on pourrait appeler la « théologie philosophique ». Par « théologie naturelle » on entend souvent ces tentatives faites aux XVIIe et XVIIIe siècles pour élaborer un discours sur Dieu qui se limiterait aux capacités naturelles de la raison humaine, que ce soit pour constituer une sorte de substitut aux religions révélées (le déisme voltairien), ou au contraire pour constituer un socle de croyances naturelles qui préparent la réception d’une révélation (le théisme étant constitué de ces vérités naturellement connaissables sur Dieu que présuppose la révélation chrétienne, mais sans doute aussi les doctrines juive et musulmane)1. Ces théologies naturelles reprennent et systématisent des analyses et des arguments plus anciens, et généralement présents dans les ouvrages de métaphysique de l’époque classique. Ainsi comprise, la théologie naturelle est un chapitre propre de la philosophie2. C’est clairement le cas des Méditations métaphysiques de Descartes (« dans lesquelles sont démontrées l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme » dit le titre complet), qui établit l’édifice du savoir sur la démonstration de l’existence de Dieu comme 1 On citera volontiers la Théologie Naturelle de William Paley (parue en 1802, et dont le titre complet est Natural Theology or Evidences of the Existence and Attributes of the Deity collected from the Appearances of Nature), comme exemplaire de ce discours au XVIIIe siècle, ou l’Analogie de la religion de John Butler’s (1692 – 1752), dont le titre complet est Analogy of Religion, Natural and Revealed. C’est que la notion et le terme sont anciens et qu’il était traditionnel d’opposer ainsi théologie naturelle et théologie révélée ou inspirée. Le théisme est défendu par la seule théologie naturelle, tandis que la foi chrétienne doit reposer sur l’autorité du témoignage des évangiles. Le grand controversiste que fut Robert Bellarmin (1542-1621) distinguait ainsi trois étapes de l’apologie de la foi en autant de démonstrations : démonstration théiste, chrétienne, catholique. 2 Voir Paul Clavier, Qu’est-ce que la théologie naturelle ?, Vrin, 2004 être infini et donc non trompeur. Dans la Schulmetaphysik allemande du XVIIIe siècle, la théologie rationnelle constitue ainsi, avec la psychologie et la cosmologie rationnelles, l’une des trois parties de la métaphysique spéciale, que l’on distingue de la métaphysique générale (ontologie, science de l’être en général). Cette théologie rationnelle et naturelle est l’héritière explicite de la partie de la philosophie qu’Aristote lui-même avait appelé theologia, discours sur Dieu ou sur le divin, spéculation sur les réalités les plus hautes, qui peuvent être conçues et peuvent exister sans matière3. Ainsi entendue la théologie est donc une partie, peut-être la principale, de la philosophie. Mais la fortune du mot a voulu que le terme soit également utilisé par les Pères de l’Église pour désigner l’ensemble du discours sur Dieu, à commencer par celui de l’Écriture (l’auteur du quatrième évangile fut appelé « Jean le Théologien »), voire à l’ensemble des connaissances que celle-ci nous apporte sur Dieu, notamment le Mystère de la Trinité, considéré généralement comme inaccessible à la raison seule4. Et surtout, le Moyen Âge l’a repris avec Abélard pour désigner une discipline propre, différente de la philosophie, et finalement une faculté de l’université bien distincte de la faculté des arts où s’enseignait la philosophie. Toutefois la discipline « théologie » des docteurs scolastiques est sans doute moins étrangère à la philosophie qu’ils n’ont bien voulu le dire. Pour un Thomas d’Aquin, le partage est clair, et se fait sur la base des prémisses, des vérités acceptées dans l’une et l’autre discipline et sur la base desquelles elles s’édifient. La philosophie part de vérités accessibles à la raison seule, la théologie accepte les propositions révélées et admises par les croyants (notamment le contenu des Écritures)5. C’est dire que la distinction des disciplines se fait 3 Varron (116-27 av. J-C) distinguait trois « théologies » : la théologie mythique ou théologie des poètes (récits mythologiques), théologie civile (le culte des dieux), et la théologie physique ou naturelle, la théologie des philosophes, qui se faisait critique des religions païennes, et pouvait même être taxée d’athéisme. Après les Stoïciens, Saint Augustin (La Cité de Dieu VI, 5) a repris cette tripartition de Varron, et jugé que le christianisme relevait de la dernière, se faisant donc voix de la raison, et critique des religions traditionnelles. 4 La théologie est alors distinguée de l’économie qui traite des interventions divines dans le monde, par la mission du Fils (Incarnation et Rédemption) puis par celle de l’Esprit (sanctification). 5 La Somme contre les Gentils s’organise autour de la distinction de deux types de vérité (Première partie les vérités accessibles à la raison, livres I-III, Deuxième partie : les mystères, livre IV), sans que la notion de théologie soit jamais clairement définie. Au seuil de la Somme de théologie I, q. 1, c’est la doctrine sacrée (doctrina sacra) qui est ainsi décrite. Il est clair qu’il s’agit bien de la théologie telle que nous l’avons décrite, et telle que Thomas l’entend dans d’autres œuvres. simplement en fonction du statut des prémisses, et non de la manière dont, à partir des prémisses, on établit des conclusions. S’il avait identifié les disciplines par les méthodes mises en œuvre, et par le statut des prémisses de l’argumentation, une bonne partie de la théologie scolastique aurait été assimilée à la philosophie. On peut en effet parler d’une « théologie philosophique », si le substantif sert à désigner l’objet du discours (connu par la raison seule ou par la foi) et l’adjectif la méthode suivie pour l’étudier. En ce sens un commentaire interprétatif de l’Ecriture et une collation d’autorités pour établir la foi de l’Eglise ne ressortissent pas à la philosophie. Mais les élucidations de concepts et les inférences pratiquées conformément aux règles de la logique (du syllogisme) que l’on trouve dans les sommes médiévales (sur la Trinité, le Christ, mais aussi sur la grâce, les sacrements, etc.) ne se distinguent pas, uploads/Religion/ philosophie-analytique-de-la-religion.pdf

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  • Publié le Oct 06, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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