RECHERCHES AUGUSTINIENNES VOLUME III ÉTUDES AUGUSTINIENNES 8, rue François-Ier

RECHERCHES AUGUSTINIENNES VOLUME III ÉTUDES AUGUSTINIENNES 8, rue François-Ier PARIS (VIIIe) 1965 Supplément à la Revue des Études Augustiniennes La prédestination du Christ total selon saint Augustin INTRODUCTION « Sicut praedestinatus est Ille Unus ut Caput nostrum esset, ita multi praedestinati sumus ut corpus ejus essemus. >> (De praed. sanct., XV, 31 ; P.L. 44, 983.) Nous pouvons observer deux tendances dominantes dans la vie et la pensée de nos contemporains : la tendance à défendre la valeur et l'auto- nomie de la personne humaine contre le collectivisme totalitaire, et la tendance à « socialiser ll de plus en plus les rapports entre les hommes contre l'individualisme égoïste et fermé. Ces mouvements sociologiques et intellectuels, très manifestes sur le plan profane, amènent une corres- pondance sur le plan religieux : on veut assurer un juste équilibre entre la piété personnelle et le culte public, et la pensée théologique s'arrête à préciser la relation de la communauté ecclésiale avec le salut de chacun, qui reste une responsabilité éminemment personnelle. La doctrine du Corps mystique du Christ trouve là une justification de son actualité. Le Pape Pie XII en fut le promoteur le plus autorisé et le plus éclairé. Voulant éviter, cependant, que les fidèles développent, sur le plan pratique, un quiétisme malsain qui proviendrait d'une fausse notion de l'unité qui existe entre le Christ et les membres de l'Église, le Saint Père a souligné que si dans un corps naturel le principe d'unité unit les parties de telle sorte que chacune manque entièrement de ce qu'on appelle subsistance propre, dans le Corps mystique, au contraire, la force de conjonction mutuelle, bien qu'intime, relie les membres entre eux de manière à laisser chacun jouir de sa propre personnalité1. I. Encl. Mystici Corporis, AAS 35 (1943) 221-222 .• 2 RENÉ BERNARD Cette sage considération provient d'une juste perception du dessein pensé et voulu par Dieu, tel qu'il apparait dans la nature des choses et les vérités révélées, et tel que compris et exprimé par les Pères et docteurs de l'Église. Nous trouvons chez eux, en particulier chez les plus grands comme saint Augustin et saint Thomas, par exemple, les lumières dont notre époque a besoin. Leur doctrine n'est pas seulement une science qui transmet une connaissance certaine des réalités, mais aussi une sagesse qui rejoint la cause la plus haute de ces réalités naturelles et surnaturelles, à savoir la pensée et la volonté de Celui qui dispose toutes choses avec force et suavité. Ceci est particulièrement vrai de saint Augustin qui, selon son propre aveu, ne se rassasiait de considérer la profondeur des desseins divins pour le salut du genre humain. a - Prédestination et Christ total Nous avons voulu demander à Augustin une solution sapientielle au problème du rapport entre le salut de chacun et la communauté ecclé- siale. Les historiens de la théologie le regarde comme le docteur de la prédestination et du Christ total. Il n'est pas, en effet, de traité sérieux sur ces sujets distincts qui ne tienne compte de son apport inestimable et souvent décisif. La postérité, cependant, a réservé un sort différent à ses réflexions : alors que la doctrine du Christ total a récolté la faveur d'une adhésion fervente, celle de la prédestination a soulevé, au contraire, d'interminables discussions et prêté flanc à des interprétations très diver- gentes. De plus, en Occident du moins, ces traités se sont développés séparé- ment. Le sujet de la prédestination n'était pas tant la communauté des chrétiens unis au Christ que tel et tel individu nommément appelé, jus- tifié et glorifié par opposition à un autre qui se perdait éternellement à cause d'une faute dont il portait seul la responsabilité. Les secrets de la miséricorde et de la justice de Dieu orientaient la réponse à cet inson- dable mystère, réponse qui tirait son autorité surtout de saint Paul, dans son épître aux Romains en particulier. Or il appert, d'après des études exégétiques récentes2, que saint Paul n'a jamais posé le problème de la prédestination dans ces termes : il a surtout voulu montrer que les interventions divines dans l'histoire du peuple élu constituaient un témoignage non équivoque de la miséricorde purement gratuite de Quelqu'un qui veut sauver tout le monde. Dans une telle optique, il ne se préoccupe guère de répondre à la question angoissante du pourquoi celui-ci et non celui-là. On voudrait que notre théologie de la prédestination entre en corres- pondance plus fidèle avec la problématique paulinienne. La publication 2. S. LYONNÉT, s.j. De doctrina praedestinationis et reprobationis in Rom. 9, dans Verbum Domini, 34 (r956) 193-zor et 257-271. LA PRÉDESTINATION DU CHRIST TOTAL 3 de Wladimir Boublik, à ce point de vue, garde un grand intérêt3. L'auteur a voulu situer la prédestination dans le cadre de la sotériologie pauli- nienne et apprécier sous ce même regard la doctrine de saint Augustin. Il en arrive à la conclusion de non-correspondance fondamentale. Saint Paul et saint Augustin s'accordent, dit-il, sur la gratuité du salut, l'absolue initiative de Dieu, l'importance de la permission du péché et la nécessité de la grâce ; mais là où saint Augustin s'écarte de saint Paul, et pour le malheur de la théologie occidentale qui l'a suivi, c'est dans sa conception dualiste du dessein divin, fondée sur la doctrine du choix numérique et efficace. Or ce dualisme est contraire à l'universalité du salut, à la médiation universelle du Christ dans la prédestination et à la doctrine du destin commun du genre humain solidaire avec la nature humaine du Christ. Il ne permet pas de tenir compte de certains aspects chers à saint Paul, ou tout au moins de les développer : l'Evangile comme instrument de la vocation universelle et l'Église comme terme de la pré- destination universelle. Ce dualisme enfin introduit des éléments contraires à la doctrine paulinienne : la double raison du dessein divin (la justice et la miséricorde), le mystère du choix divin, le concept de l'abandon et la nécessité de pécher (sic). Il faut donc rejeter une telle doctrine qui engendre le fatalisme, le quiétisme, le désespoir et l'horreur, pour repenser dans son intégrité la vision paulinienne du plan de salut exprimée surtout dans ses épîtres aux Romains et aux Ephésiens. Le principe fondamental de l'expli- cation du mystère se trouve dans la volonté salvifique universelle et non dans la conciliation inscrustable de la miséricorde et de la justice divines, comme saint Augustin et, à sa suite, saint Thomas nous avaient habitués à le considérer. De telles conclusions nous ont surpris, non pas tant parce qu'elles peuvent manifester une différence de perspective entre saint Paul et saint Augustin - ce qui semble vraisemblable - mais surtout à cause de la contrariété irréconciliable que l'auteur pense voir entre les deux docteurs. Une étude attentive des écrits augustiniens s'avérait donc utile pour préciser dans quel sens il parlait de prédestination, manifester le rôle que le Christ Médiateur tenait dans sa vision du plan divin et décrire, enfin, les conditions concrètes dans lesquelles celui-ci posait l'exécution de ce plan au profit des membres prédestinés du Christ. C'est en parcourant ses principales œuvres que nous avons pu suivre le fil de sa pensée et rejoindre finalement le regard concentrique qu'il porte sur le plan salvifique. S'il est vrai que l'ordination des vérités révélées faite par un saint Thomas est comparable à une cathédrale bien charpentée, on ne peut en dire autant de saint Augustin. 3. V. BoUBLIK, La predestinazione, S. Paolo e S. Agostino, Libreria editrice della Pontificia Università Lateranense, Rome, 1961. Les conclusions de l' A, sont am;: pp. 164-166. 4 RENÉ BERNARD De prime abord, son œuvre apparaît plutôt comme une mosaïque qui, par 1' assemblage des pièces les unes contre les autres, présente un tableau d'ensemble harmonieux et équilibré, sans que toutefois les lignes y soient nettement accusées, parce que peu systématique reste sa méthode. Une fréquentation assidue nous convainc que l'unité fondamentale se trouve dans une vue synthétique et profonde du plan divin qu'il développe au hasard des circonstances concrètes dans lesquelle ses devoirs de pasteur 1' ont placé. Nous avons l'impression que c'est dans cette vue synthétique qu'il rencontre saint Paul, au cœur même de sa pensée. Tous les deux, en effet, nous présente une vision sapientielle du dessein divin, en regardant « in praedestinatione ii le Christ total. On ne peut douter de la saveur typi- quement paulinienne de cette réflexion très dense où se dévoile la ligne maîtresse de la pensée de saint Augustin : De même que le Christ a été prédestiné à être notre Tête, ainsi plu- sieurs d'entre nous ont été prédestinés à former son corps4. Nous espérons que notre étude fera passer cette première impression à l'état de conviction. Après avoir situé la perspective propre d'Augustin dans son approche du mystère de la prédestination, nous voulons mani- fester jusqu'à quel point celle-ci intègre la médiation universelle du Christ et la solidarité du destin commun du genre humain avec celui de la nature humaine du Christ. Il apparaîtra manifeste que pour Augustin, le sujet de la uploads/Religion/ recherches-augustiniennes-volume-iii-1965.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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