~ ,~ Dossier : La République ~ Yvés DELOYE : Comparer les RéPUbli~::~'!;.::n~é:
~ ,~ Dossier : La République ~ Yvés DELOYE : Comparer les RéPUbli~::~'!;.::n~é:~~~~~u~ ~ Jean MARCOU, Füsun ÜSTEL, Deniz VARDAR: La République en France et en Turq,uie , 0 Sylvie LEMASSON : D'une République à l'autre: le cas de l'intégIi\i!O!L.~ . U . républicaine en All~nîà~~~~:~;~",·' ~ , Olivier !HL : Influences croisées : France-États"Bn*';i:~~\ : . " ',,<;:{;.:.j, Véronique DIMIER: Cultures nationales et politiques coloniales dans les anné~!~:~ :;~' 'E ~ pour une révision des comparaisons franco-britanniques Revue de revues Notes bibliographiques René OTAYEK : Démocraties d'ailleurs de Christophe Jaffrelot Frédéric V ARONE : Le service public en devenir de Luc Rouban Notices biographiques Abstracts 1 resumenes ISB N 2-B04 f· 3419-9 .~ 10-3419 __ ~~~ __ RWC-N ~ .OO ~ B ~ __ 1111 111111111 IIIm 1~1II11111 ~ : ~ I REVUE INTERNATIONALE DE'POLITI Rel'ue Illttmol((lnale de Po/ltiqllt Comporie, Vol, 7, I/P 3, 2(X){) 595 REliGION CIVILE·: LA cARRIÈRE COMPARÉE D'UN CONCEPT Olivier mL "Si un cerraïn mot était attribué tantôt à une chose et tantôt à une autre, ou encore si la même chose était appelée tantôt d'un nom el tantôt d'un autre, sans qu'il y eût aucune règle à laquelle les phéno- mènes fussent déjà soumis d'eux-mêmes, aucune synthèse empirique de l'imagination ne pourrait avoir lieu. " Emmanuel Kant Le concept de "religion civile" trace comme une frontière entre les expériences de la citoyenneté en France et aux États-Unis. Forgé par Rousseau dans l'avant dernier chapitre du Contrat Social. il a connu une longue postérité ml cœur des batailles doctrinales de ces Républiques Sœurs. En/reprendre d'en restituer ['his- toire comparée. c'est souligner ce que sa valeur doit aux coteries. fac/iollS et partis qui l'ont inslrumentalisée. De comprendre ce que sa renommée eloillllL\' stratégies d'écriture qu 'ontfait naître les rivalités militantes qui, en s'autorisant d'un tel étendard, l'ont à lafois consacré et progressivement enseveli. Ulllravai! d'interprétation rétrospective entrepris par ceux qu'on peut appeler des "entre- preneurs de réputation" attachés à contrôler l'espace des réputations illlellec- tuelles, celui des figures et des doctrines au travers desquelles une communauté politique s'invente en se donnant en représentation, Analyser leurs raüolllle- ments, interroger leurs objectifs, ce n'est donc pas retrollver.,Je présent dans les textes du passé, C'est, au contraire, rechercher ce qui s'est perdu entre hier el aujourd'hui. Ce qui, en d'autrés tennes, n'a pas résisté en'France à ['elllrée en scène d'un universalisme d'État qui, depuis la loi de Séparation de 1905, pose, à l'inverse de ce qui se passe outre-atlantique, une incompatibilité radicale entre les thé/lires de l'absolu et la civilité démocratique 596 Olivier lM La notion de "religion civile" n'est plus aujourd'hui en France qu'une référence obscure'. Une formule sagement agrafée par la chronologie d'une histoire des idées qui s'obstine à y voir l'épigraphe du "romantisme" ou la pierre tombale du "déisme". Une telle situation a de quoi surprendie. Depuis la fm du xvm' siècle; l'expression a servi de bannière à d'inten- ses mobilisations. "Dévots" contre "Philosophes", "chevaliers de la li- berté" contre "chevaliers de la foi", ''rationalistes'' contre "croyants" : au cœur de ces affrontements, elle a acquis une éloquence spécifique. Peu importe alors que la notion ait ou non la "cohérence" d'un principe de gouvernement. Le seul fait d'être invoquée dans et par ces luttes lui a conféré un éclat qui, en retour, a redoublé l'intérêt d'en détemtiner l'usage. Forgé par Rousseau dans l'avant deruier chapitre du Contrat Social, le concept est devenu emblème. TI a voyagé. Longuement et selon des itiné- raires sinueux: dans des essais et des traités imposants mais aussi dans des discours parlementaires, des articles de presse, des rapports adminis- tratifs... Échos sans cesse relancés, sous entendus multipliés, réminis- cences ressuscitées: mille emplois qui l'ont transformé en un symbole, tantôt vénéré, tantôt repoussé, de la profession de foi censée attacher, en république, les citoyens à la Loi. C'est l'occasion justement d'interroger la résonance d'une telle construction. Non pas d'exhumer un document inédit ou un paragraphe inconnu, comme si le problème était de reconsti- tuer l'intelligibilité d'un concept, non pas de faire retour sur les sources d'une telle théorie comme s'il s'agissait d'en réhabiliter ou d'en ruiner les énoncés, mais de souligner ce que sa valeur doit, en France et aux États-Unis, aux coteries, factions et partis qui l'ont instrumentalisée. De cQmprendre ce que sa renommée doit aux stratégies d'écriture qu'ont fait naître les rivalités militantes qui, en s'autorisant d'un tel étendard, l'ont à la fois consacré et progressivement enseveli. Ce travail d'interprétation rétrospective a été entrepris par ceux qu'on peut appeler, avec Gary A. Fine, des "entrepreneurs de réputation'''. Des bâtisseurs d'exemplarité attachés à contrôler l'espace des réputations intellectuelles, celui des fi- 1. Je tiens à remercier Karma Nabulsi pour sa lecture ''patiente et sage" d'une première version de ce texte. 2. FINE G.A., "Reputational Entrepren~and the Memory of Incompetence: Melting Suppor~ ters, Partisan Warriors and Images of PresidentHarding", American Jaurnal af Sodology, vol. lOI, 5, mars 1996, pp. 1159~1l93 . Pour cet aute. ur. l("politique de la réputation" désigne une arène dans laquelle des narrateurs professionnels - historiens, journalistes, hommes politiques - s'efforcent de contrôler le crédit et donc la "plausibilité" de figures d'exemplarité, que celles-ci soient artistiques, scientifiques ou politiques. Pour saisir les fondements théoriques de cette approche, on lira aussi GOODE W.J., The Celebration of Herpe~ .;. P~stige a.J Control System, Berkeley, University of CalifomÎa Press, 1978. - . Religion civile: la cam'ère comparée d'lUI cOllcept 597 gures et des doctrines au . travers desquelles une communauté politique s'invente en se qonnant en représentation. Restituer leur raisonnement, interroger leurs stratégies, ce n'est donc pas retrouvede présent dans les textes du passé. C'est, a;' contraire, rechercher ce qui s'est perdu entre hier et aujourd'hui. Ce qui, en d'autres termes, n'a pas résisté en France à l'entrée en scène d'un universalisme d'État qui, depuis la loi de Sépara- tion de 1905, pose une incompatibilité radicale entre les théâtres de l'ab- solu et la civilité démocratique'. Sous le regard de Dieu, sous le regard du Peuple En France, le terme de "religion civile" est employé principalement pour mettre en garde : contre l'avènement d'une république de droit divin, contre le retour d'un nouveau sacerdoce d'État. Le constat est facile à établit. Des programmes rédigés dans la fièvre des combats révolutionnaires aux paisibles cérémonies du Bicentenaire de la République, les mêmes accu- sations se font jour. Celle d'une "religion politique" accusée par Condor- cet de "violer la liberté dans ses droits les plus sacrés sous prétexte d'apprendre à les chérir"" de "processions laïques" où, selon Jules Val- lès, chacun irait "comme les croyants d'église s'endormir dans le mysti- cisme des solennités vaines et chanter des cantiquess. Dans son édition récente du Contrat Social, Michel-Antoine Buruierperpétue l'anathème: "l'utopie du Contrat Social n'est pas innocente". Et de fustiger une "sou- mission" à l'État qui serait la marque d"'un totalitarisme avant la lettre .... Comme si une hantise tenace reliait la thématique du civisme républicain à la rhétorique rousseauiste. Une filiation toute différente, observons-le, de celle nouée aux États-Unis entre république et prophétisme biblique. De ce côté de l'Atlantique, le concept est revendiqué non pas pour sa valeur polémique mais, depuis les années 1960, comme une caution aca- démique. Pour le sociologue Robert Bellah, l'un de ses plus ardents pro- 3. Sur le contexte plw général de cene interrogation, on se pennettra de renvoyer le lel:teur à DELOYE y. et un. O., 'ileux. figures singulières de l'universel: la république et le sacré" dans SADOUN M. (dic.), LA (UmlJcrane'en France, T lldéologies, Paris, Gallimard, 2000. pp. 138~248. 4. "Premier mémoire sur I~ instruction publique ", Oeuvres de Condorcet, éd. Arago/O'Connor, 1847, Paris, Firmin Didot. T. VU: p. 2i2 . . 5. ·'Les processions républicaines", La Marseillaise du 17 juillet 1878, Oeuvres complètes (pré- senté par SCHELER L. et BLANQUART M.C), Paris, Oub Diderot, T. 3, 1969, pp. 124-129. 6. ROUSSEAU JJ .• DIl,t; Pfltr..at Social. éditiori originale commentée par Voltaire, Paris, Le Ser~ pent à plumes, 1998 (préface de KÇ>PANEY N.A., introduction BUMIER M.A.). p. xvm. 598 Olivier/hl pagateurs'. il désigne un ensemble de symboles et de pratiques venant régler "le problème de l'éthique et de la légitimité politique sans fusion, ner ni avec l'Église ni avec l'État .. •. Cette "dimension religieuse forte, ment institutionnalisée" équivaut à une sanctification du Contrat mais distincte du christianisme comme de l'idéologie de l'American way or life. Certes, la "religion civile" ne dispose pas d'ùn credo explicite, non plus que d'un clergé clairement désigné. Mais elle se fonde sur des rites qui lui sont propres. À ce titre. elle formerait "l'expression authentique de l' identité nationale". Que l'on songe aux Pères Fondateurs: de Washing- ton à Jefferson, de Adams à Lincoln. de Franklin à Paine. tous sont célé- brés comme les héros christiques d'un peuple élu'. Le choix de la devise nationale : "ln Gad we trust" réalisé en 1854. le serment au drapeau placé depuis 1892 "sous le regard de Dieu ("under the Golf'). le culte porté aux cimetières nationaux comme Gettysburg ou Arlington dont Zelinsky note qu' ils ressemblent uploads/Religion/ religion-civile-la-carriere-comparee-d-x27-un-concept-france-etats-unis.pdf
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- Publié le Jui 21, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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