RELIGION ET GÉOPOLITIQUE : UNE RELATION PERVERSE Georges Corm Armand Colin | «

RELIGION ET GÉOPOLITIQUE : UNE RELATION PERVERSE Georges Corm Armand Colin | « Revue internationale et stratégique » 2009/4 n° 76 | pages 23 à 34 ISSN 1287-1672 ISBN 9782247082124 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2009-4-page-23.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’économie des pays arabes et méditerranéens et l’histoire du Proche et du Moyen-Orient Religion et géopolitique : une relation perverse La religion a souvent été instrumentalisée par les E ´tats en quête de puissance. Par leur volonté d’exclure les autres croyances, les monothéismes ont plus spécifiquement facilité la mise en place de théocraties. Néanmoins on constate une sécularisation des sociétés au XXe siècle. Celle-ci est pourtant éphémère, alors que cinq événe- ments majeurs annoncent déjà au cours du siècle le retour d’une invocation des valeurs religieuses, des civilisations et des cultures dans la sphère publique. Les médias, favorisant l’étalage de l’espace privé dans l’espace public, sont en partie responsable de cette évolution. Pour sortir de cette instrumentalisation du religieux par le politique, il convient de lutter contre la prétention des E ´tats à être les gar- diens des religions et de rétablir la crédibi- lité d’un droit international profane. Religion and Geopolitics: a Perverse Relationship States have often used religion as a part of their quest for power. Monotheisms have faci- litated the establishment of theocracies by excluding other beliefs. However, more and more societies have become secular throug- hout the XXth century. Yet, secularisation is still a rather passing phenomenon, as five major events in the current century already announce a return of religious values, civilisa- tions, and cultures to the public sphere. The media which favour the display of private lige in the public sphere, is partly responsible for this evolution. In order to escape from this use of religion by the political sphere, it is important to fight against the tendency of state leaders to pretend that they are the guardians of religious values, and re-esta- blish the credibility of secular international law. © Armand Colin | Téléchargé le 15/01/2021 sur www.cairn.info par Mohammed Tariq ELKIASSI via Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (IP: 41.92.83.167) © Armand Colin | Téléchargé le 15/01/2021 sur www.cairn.info par Mohammed Tariq ELKIASSI via Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (IP: 41.92.83.167) E ´CLAIRAGES Religion et géopolitique : une relation perverse * / Georges Corm Professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, a été ministre des Finances de la République libanaise Dans sa recherche de puissance, il est souvent fort utile à un E ´tat d’instrumentaliser les religions et, parmi les plus puissants, rares sont ceux qui s’en sont privés. En effet, la création d’affinités religieuses transnationales, ainsi que l’établissement de centres de pou- voir religieux soumis à une hiérarchie, officielle ou diffuse, dont le centre se trouve situé au sein de l’E ´tat dominant, sont des instruments privilégiés de puissance. Il existe à travers l’histoire différentes formes d’instrumentalisation de la religion par les E ´tats. Ces formes sont dépendantes de la nature changeante des croyances et dogmes du fait des interprétations divergentes des textes, mais aussi de la période historique et de ses caractéristiques en matière de relations entre les nations, E ´tats et structures impériales. La religion sert aussi bien d’instrument de domination interne à une société que d’ex- tension d’influence et d’hégémonie à l’étranger. Plus l’usage externe de la religion sera fort, plus il devra aussi être étendu à l’ordre interne. Mais la relation pouvant aussi jouer en sens inverse, des dictateurs, invoquant des valeurs ou des dogmes religieux pour légiti- mer leur pouvoir interne, peuvent déclencher des guerres externes pour consolider ce pouvoir. Nous avions crû être débarrassé de cette instrumentalisation de la religion depuis les progrès accomplis en matière de liberté de conscience gra ˆce à la Renaissance européenne puis à la philosophie des Lumières, ainsi que gra ˆce à l’extension des principes républicains à la française à l’ensemble du monde. Par la suite, ce sentiment avait été renforcé par la disparition du Califat musulman dans le sillage de l’effondrement de l’Empire ottoman au début du XXe siècle, ainsi que par la renaissance des lettres et des arts chez les Arabes et l’œuvre immense d’une série de grands réformateurs religieux musulmans entre 1820 et 1950. * Cet article reprend partiellement le discours prononcé par l’auteur à l’Université d’été de la principauté d’Andorre, en août 2009. © Armand Colin | Téléchargé le 15/01/2021 sur www.cairn.info par Mohammed Tariq ELKIASSI via Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (IP: 41.92.83.167) © Armand Colin | Téléchargé le 15/01/2021 sur www.cairn.info par Mohammed Tariq ELKIASSI via Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (IP: 41.92.83.167) 24 E ´CLAIRAGES Instrumentalisation de l’exclusivisme monothéiste L’apparition et l’affirmation du monothéisme dans le monde païen antique du Proche- Orient et de l’Europe a eu divers conséquences 1. Notamment, si les structures théolo- giques du paganisme se prêtaient facilement à intégrer dans le panthéon officiel du peuple dominant les Dieux des peuples vaincus, conquis ou entrés dans l’orbite d’une puissance impériale, la structure théologique du monothéisme prohibe de tels arrangements. La croyance dans un Dieu unique ne permet pas de syncrétismes polythéistes. L’Ancien Testament est d’ailleurs rempli de récits épiques ou ` les notions de guerre sainte et de devoir d’extermination des polythéistes n’adorant pas le Dieu unique font leur apparition. Si le christianisme primitif veut mettre fin à la distinction entre juifs et gentils, grecs et barbares et donc refuse cet aspect violent de l’Ancien Testament, sitôt institué dans l’ordre politique au IVe siècle, cette religion de l’amour prêchée par le Christ retombe dans l’exclusivisme religieux et l’imposition du dogme par la force de la loi. Le paganisme des anciens égyptiens ou babyloniens avait aussi fait usage de la religion dans l’ordre politique, mais ce sont les épisodes de l’Ancien Testament qui ont véritable- ment donné la matrice de base de la théocratie : le gouvernement des juges ou docteurs de la Loi veillant à la stricte application de la loi divine ou le roi incarnant la légitimité religieuse de l’E ´tat. Ainsi, les religions du Livre pourront servir de façon bien plus redou- table que le paganisme d’instrument de pouvoir interne et de conquêtes des autres peuples. Le « Livre » est en effet censé être la parole du Dieu unique, son commandement aux hommes pour faire régner le bien et la justice. S’y opposer c’est braver l’ordre établi du monde voulu par son créateur. Aussi, le pouvoir qui prétend faire régner l’ordre au nom du « Livre », Ancien Testament, E ´vangiles, Coran, trouve-t-il le moyen de s’empa- rer des esprits et de les dominer. Les premiers écrits des commentateurs du Livre ou des livres sacrés, ainsi que l’histoire des comportements des grands prophètes et des formes premières de gouvernement au nom de la religion, deviennent la référence obligée pour établir fermement l’E ´tat et la classe dirigeante avec à sa tête un dictateur. Certes, les trois monothéismes ont eu des parcours différents. Tout pouvoir au nom du judaïsme a disparu, écrasé par la montée en puissance de l’ordre chrétien en Orient avec le pouvoir des empereurs de Byzance, comme en Occident avec Rome et l’institu- tion de l’E ´glise, puissance spirituelle qui entend régenter tous les pouvoirs temporels. L’islam, dernier né des monothéismes, aura une attitude moins exclusive que les deux premiers. En effet, il reconnaît dans les prophètes, d’Abraham au Christ, ses propres ancêtres et garantit aux « gens du Livre » le libre exercice de leur culte s’ils ne montrent pas d’hostilité à la nouvelle religion. Celle-ci est censée venir compléter et achever défini- tivement l’aventure monothéiste débutée par Abraham. Le pouvoir chrétien à Byzance ou à Rome n’aura pas une telle vision lui permettant d’accepter l’existence de juifs et de musulmans au sein de son territoire sans les pousser à embrasser la « vraie foi ». 1. Voir Georges Corm, Contribution à l’étude des sociétés multiconfessionnelles. Effets socio-juridiques et politiques du pluralisme religieux, Paris, L.G.D.J., uploads/Religion/ ris-076-0023.pdf

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  • Publié le Mai 24, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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