Monsieur Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot Saint Martin Monique de, L'espace

Monsieur Michel Pinçon Monique Pinçon-Charlot Saint Martin Monique de, L'espace de la noblesse. In: Revue française de sociologie. 1994, 35-1. pp. 147-149. Citer ce document / Cite this document : Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique. Saint Martin Monique de, L'espace de la noblesse. In: Revue française de sociologie. 1994, 35-1. pp. 147-149. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_1_4314 Les livres Saint Martin (Monique de). - L'espace de la noblesse. Paris, Métailié (Leçons de choses), 1993, 326 p., 130 FF. Dans son ouvrage, Monique de Saint Martin s'attache à construire l'espace de la noblesse, c'est-à-dire cet univers où le capital symbolique et le capital social dessinent des lignes de division subtiles entre aristocrates de vieille souche et anoblis récents, entre hobereaux provin ciaux et grandes familles parisiennes. La première partie est consacrée à l'analyse des processus de construction de cette identité, ou plutôt de ces identités. Ce faisant, Monique de Saint Martin s'a ttache à mettre au jour les fondements de «cette croyance en l'existence d'une dif férence essentielle avec ceux qui ne sont pas issus de la noblesse» (p. 11), croyance qui, selon elle, est constitutive de l'identité noble. Sans doute le châ teau est-il emblématique de cette ident ité et pour une part au principe de cette croyance. Aussi figure-t-il en bonne place sur la couverture de l'ouvrage. Mais celui-ci, dans sa seconde partie, aborde la noblesse dans la dynamique de son adaptation au monde contemporain à travers les «stratégies de reconver sion» qui visent à lui permettre une in sertion professionnelle, en tout cas sociale, dans la société d'aujourd'hui. Souvent, le château qu'il a fallu vendre n'est plus qu'un souvenir, ou bien il a dû s'ouvrir au public : il devient alors symbole de l'adaptation nécessaire aux réalités et parfois à la difficulté des temps. Symbole de la lignée, le château est donc aussi celui de la difficulté à la maintenir. La croyance en une spécificité essent ielle de la noblesse est fondée d'abord sur un certain rapport au temps. Les hé ritages, certes matériels mais aussi et surtout symboliques, sont au principe des lignées, éléments centraux autour desquels le groupe se confirme dans son exceptionnalité et dont le château est l'une des formes les plus visibles. Mais le nom, comme Monique de Saint Mart in le développe de façon fort convainc ante, en est un autre emblème, d'où l'importance des stratégies ayant pour objet son maintien et sa transmission. L'auteur semble réserver à la no blesse ce rapport privilégié au temps qui inscrit l'individu dans la longue durée par la médiation de l'appartenance à une lignée. Or la bourgeoisie, elle aussi, a su se créer ses « quartiers » de bourgeois ie, comme on parle des quartiers de no blesse. A travers la transmission des héritages sur plusieurs générations, la bourgeoisie cherche et trouve une source de légitimation à sa position dominante. La magie sociale qui permet d'attribuer des qualités spécifiques à ceux qui allient richesse et pouvoir fonctionne aussi pour les vieilles familles «rotu rières». D'autant plus que, dans les stra tégies de reconversion des familles de l'aristocratie, on peut inclure ce que l'on pourrait appeler les «reconversions ma trimoniales» qui permettent ce qui au trefois aurait été condamné comme mésalliance. Monique de Saint Martin écrit d'ailleurs des pages fort document ées et très éclairantes à ce sujet, la fa mille qui sert de toile de fond principale à ses développements étant celle du duc de Brissac. Celui-ci a épousé une riche héritière, May Schneider, dont la famille avait construit sa fortune dans la métal lurgie lourde. Cette «mésalliance réus sie», comme l'écrit Monique de Saint Martin, pose la question, en réalité très ancienne, des limites du groupe. Qui est noble, qui ne l'est pas? En 1615 déjà, Louis XIII «confiait à un officier royal» la charge de dresser «des regis tres universels des familles nobles de tout le royaume » (p. 72). La question n'est toujours pas tranchée puisque l'As sociation d'entraide de la noblesse fran çaise (anf), créée en 1932 et toujours active, « se fixa parmi ses missions prio ritaires d'homologuer les familles ď "au thentique" noblesse» (p. 75). 147 Revue française de sociologie L'auteur met donc bien en évidence que, comme souvent lorsque l'apparte nance à une catégorie ou à un groupe est en jeu, il y a lutte de classement pour en définir les conditions sociales. Ceci est très clairement établi. On peut se de mander s'il n'aurait pas été utile alors de mener l'enquête aux marges de la noblesse, d'une part auprès des vieilles familles bourgeoises et d'autre part au près de gens de condition modeste en contact, professionnellement par exemp le, avec des familles aristocratiques. Ceci de façon à approfondir les condi tions de cette lutte de classement en prenant en compte des «prétendants» - au moins à la légitimation par l'ins cription dans la durée - et ces arbitres que constituent les spectateurs non en gagés dans la partie — le personnel de certains cercles, par exemple, où se côtoient noblesse et bourgeoisie an cienne : l'identité d'un groupe social se construit aussi dans sa relation aux autres groupes. Mais il est vrai qu'on ne peut tout dire à la fois et que le livre est déjà très riche et fort bien docu menté. Toutefois, le chapitre consacré aux «activités "désintéressées"», caritatives, politiques, sportives, constitutives du style de vie noble, va dans le sens de cette remarque. A l'évidence, ces activi tés procurent d'importants profits sym boliques. C'est une nouvelle raison qui motiverait, nous semble-t-il, la prise en compte de la population qu'elles concer nent. On pense par exemple au public populaire des suiveurs des chasses à courre : comme en d'autres circons tances, il renvoie une image valorisante et légitimante à ceux qui lui offrent ce spectacle gratuit. «Noblesse oblige», certes, mais l'expression peut se lire à l'envers comme à l'endroit : il faut mér iter sa noblesse, mais ce faisant on «oblige» aussi les autres, en en faisant des obligés. On pourrait donc utilement compléter l'investigation en élargissant le champ social couvert, ce qui pose le problème des sources. Celles-ci sont abondantes, la richesse des références en témoigne, mais elles ont très souvent pour origine le groupe lui-même, elles lui sont in ternes. Ainsi les mémoires, les recueils de souvenirs, les monographies famil iales, les annuaires de la noblesse, les traités de bonnes manières sont large ment utilisés, jusqu'à un documentaire réalisé pour un magazine télévisé à l'intérieur de quelques familles. Là en core, on pourra regretter que les regards extérieurs soient peu nombreux. Mais sans doute était-ce aussi le prix à payer pour que l'information interne au groupe soit aussi riche et variée. Elle l'est pour la famille Brissac, on Га dit. Mais le l ivre fourmille d'informations dont l'a ccumulation fait sens. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, de la description et de l'analyse d'une «croisière sur Y Achilleus» qui met en scène et révèle un capital social qui laisse rêveur. Mais cette identité noble n'est pas à l'abri des aléas du temps et des évolu tions de la société. Produite, elle doit aussi être reproduite, ce qui est l'objet de la seconde partie. Cette reproduction, qui avait essentiellement la famille pour base autrefois, tend de plus en plus à être socialisée. Le capital industriel et f inancier est aujourd'hui indispensable au maintien d'une position dominante que ne saurait assurer seule la possession de biens fonciers. Or ces formes de capi taux en requièrent aujourd'hui un autre, le capital scolaire, qui a pris une grande importance dans les stratégies de r econversion des familles. Les modalités n'en sont pas laissées au hasard et le re cours à des établissements privés hors du commun est la règle. A Paris, Les Oi seaux, Liibeck, Sainte-Marie, Franklin ont cette particularité remarquable de r eproduire le milieu familial. Sans doute est-ce aussi pour privilégier l'entre-soi autant que faire se peut, et parallèlement pour faire fructifier un capital social ac cumulé depuis aussi longtemps, que les établissements d'enseignement supérieur 148 Les livres sont de préférence Sciences Po, la Fa culté de droit et I'ena, alors que les écoles d'ingénieurs et de façon générale les sciences ne sont guère prisées : «Tout semble indiquer que plus un ét ablissement est scientifique et spécialisé, moins il accueille de jeunes issus de l'a ristocratie et que les jeunes aristocrates s'orientent de préférence vers les format ions les plus générales ou vers celles qui font le plus de place à l'art de se présenter, de se tenir, d'être en société, de gérer et d'administrer les personnes et les biens» (p. 212). Une analyse factorielle réalisée sur des nobles qui ont suffisamment réussi leur reconversion pour avoir une notice dans le Who 's who met en évidence deux principes d'oppos ition. Le premier axe est construit en fonction de l'importance du capital «nobiliaire». On trouve à un pôle les aristocrates portant un titre et membres du Jockey Club et à l'autre ceux qui ont été beaucoup plus récemment anoblis. Le deuxième axe oppose le secteur pu blic, qu'il s'agisse des uploads/Religion/ saint-martin-monique-de-l-x27-espace-de-la-noblesse.pdf

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  • Publié le Dec 21, 2022
  • Catégorie Religion
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