Revue de l'histoire des religions Tängri. Essai sur le ciel-dieu des peuples al
Revue de l'histoire des religions Tängri. Essai sur le ciel-dieu des peuples altaïques (premier article) Jean-Paul Roux Citer ce document / Cite this document : Roux Jean-Paul. Tängri. Essai sur le ciel-dieu des peuples altaïques (premier article). In: Revue de l'histoire des religions, tome 149, n°1, 1956. pp. 49-82; doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1956.7087 https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1956_num_149_1_7087 Fichier pdf généré le 10/04/2018 Tangn Essai sur le ciel=dieu des peuples altaïques I. — Le mot Tângri Le nom de Tàngri est un des noms de divinité les plus importants qu'ait employé une part notable de l'humanité : il sert à toutes les populations de langue turque et mongole compte tenu de légères variantes dialectales, pour évoquer ? dans la presque totalité des cas, l'Être ou les êtres surnaturels. Attesté dès l'époque la plus ancienne avec la bivalence sémantique « dieu » et « ciel », existant même sans aucun doute possible dès la préhistoire de l'Asie, il a connu une fortune singulière. Son champ d'expansion dans le temps, dans l'espace et à travers les civilisations est immense : on le connaît depuis plus de deux millénaires ; il est ou a été employé à travers tout le continent asiatique, des frontières de la Chine au sud de la Russie, du Kamtchatka à la mer de Marmara ; il a servi aux « païens » altaïques pour désigner leurs dieux et leur Dieu suprême, et a été conservé dans toutes les grandes religions universelles qu'au cours de leur histoire Turcs et Mongols ont embrassées successivement (Christianisme, Manichéisme, Islam, etc.). Dans ces dernières, le nom de Tàngri désigne des personnalités divines connues et n'a, dans la majorité des cas, qu'un intérêt secondaire à nos yeux. Il n'en est pas de même au sein du « paganisme » centre-asiatique : dans la mesure où cette religion est originale, il est indispensable, pour la connaître, d'approfondir les notions que recouvre ce mot. C'est donc ce Tàngri « païen » qu'il nous importe avant tout de pénétrer. 50 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS M. P. Masson-Oursel souligne avec pessimisme « l'impossibilité de connaître la religion turco-mongole dans les temps très reculés »*. Et il est vrai que les études sur la vie religieuse des peuples d'Asie centrale non touchés par les religions d'importation ont surtout été faites en partant de textes folkloriques recueillis récemment ou d'après les récits des voyageurs contemporains. Le résultat a été de donner la première place, pour ne pas dire la place unique, aux techniques psychopathologiques, à la sorcellerie, aux pratiques des « medecine-men » que l'on a étudiées et que l'on connaît sous le nom de chamanisme2. La très haute antiquité des pratiques chamanistiques attestées en Asie dès l'âge du Bronze (entre autres par des dessins rupestres trouvés en Sibérie méridionale)3, la philosophie qu'elles impliquent, ainsi que la représentation cosmo- gonique qu'elles supposent, ont permis de dire que le Chamanisme était la religion des Turco-Mongols « païens ». En réalité, et malgré la carence des sources à laquelle M. P. Masson- Oursel fait allusion, on peut dégager quelques-unes des notions religieuses du monde altaïque ancien et, sinon déjà reconstituer l'ensemble du dogme et des rites, du moins jeter sur eux quelques lumières. La principale difficulté d'une étude de ce genre réside plus dans l'éparpillement des documents que dans leur rareté même. Pour se servir de ceux que nous possédons en les complétant à coup sûr les uns par les autres, en les comparant, il 1) P. Masson-Oursel, Asie centrale, p. 440, in Histoire générale des Religions, publiée sous la direction de Maxime Gorce et Raoul Mortier, vol. III, Paris, 1947. 2) Nous nous sommes refusé, au cours de cette étude, à nommer « Chamanisme » la religion des Turcs et des Mongols, malgré les facilités procurées par l'emploi de ce terme. Aux yeux de nombreux ethnologues, le Chamanisme est une technique magique : comme toute magie, elle ne saurait recouvrir entièrement le phénomène religieux. D'autre part, le mot Chamanisme sert aujourd'hui à définir des pratiques de peuples qui n'ont rien à voir avec l'Asie centrale. Enfin, les techniques chamanistiques se sont bien souvent maintenues quand les Turcs et les Mongols se sont convertis à « d'autres religions ». Nous conservons, faute de mieux (et nous espérons provisoirement), le mot peu satisfaisant de « Paganisme ». Pour le Chamanisme en tant que technique magique, cf. en particulier Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, Paris, 1951, et Bouteiller, Chamanisme et guérison magique, Paris, 1950. 3) Cf. Eliade, op. cit. et Kai Donner, La Sibérie, p. 216. TÁNGRI. ESSAI SUR LE CIEL-DIEU DES PEUPLES ALTAÏQUES 51: faudrait admettre une parfaite continuité de croyances au cours des siècles et une uniformité au long des régions1. Si le mot est le même au temps de Jésus-Christ, dans l'empire de Gengis Khan, et en Sibérie au xxe siècle, le .sens est-il aussi le même ? Y a-t-il eu évolution ? Et, si oui, cette évolution a-t-elle été régulière ? N'a-t-elle pas obéi à une certaine influence, puis à une influence contraire qui Га ramenée vers son point de départ ? Bien plus, au temps des Turuk2 par exemple, la conception du divin était-elle identique chez les Kaghan (empereurs), chez les Chamans (sorciers, « medecine- men ») et dans le Kara-bodun3 ? Était-elle identique chez les Ttiriik occidentaux soumis à l'influence iranienne et chez les Ttirtik orientaux soumis à l'influence chinoise ? A toutes ces questions, nous ne pouvons répondre qu'à moitié. De toute évidence, nous devons tout d'abord nous montrer très réservé et très prudent. On nous excusera donc de n'avoir pas toujours conclu là où les documents étaient trop peu nombreux, c'est-à-dire sur un grand nombre de points. Nous n'ignorons pas, qu'ainsi que le disait Paul Pelliot, « la Haute-Asie n'a pas fini de livrer ses secrets »4. A tout moment, 1 ) Nous avions tout d'abord pensé, tout en axant notre étude sur le monde altaïque ancien, traiter dans un chapitre terminal la religion du Dieu du Ciel à l'époque contemporaine. Ce travail n'est pas complètement original ; il s'en faut. Ce qui nous intéressait, c'était de rechercher les transformations subies et de dégager le mouvement général de l'évolution. Nous croyons en définitive que ces résultats ne pourront être obtenus que quand nous aurons étudié, à côté du Dieu du Ciel, les autres divinités archaïques et les divers rites de l'Asie centrale. 2) Le mot « Tou-Kiue », par lequel les Chinois connaissent les premiers Turcs historiques, n'a pas lieu d'être conservé puisque nous connaissons fort bien, par ailleurs, de quel nom turc il est l'équivalent. Les inscriptions de l'Orkhon l'écrivent en effet avec 4 lettres dont la première fc sert toujours dans ce système graphique OKIÛK à noter TTZTuTTî tandis que le К sans voyelle se note i. On doit donc lire Тйгйк ou Tûrkù. Ce ne peut être Тйгкй : en finale absolue, la voyelle est toujours notée, ce qui n'est pas le cas ici. Il faut adopter en conséquence la leçon turuk. Thomsen, dans son déchiffrement, a lu cependant Turk en pensant que l'influence du О précédent a amené le scripteur à écrire ÛK /KU au lieu de K. Cet argument ne nous retiendra pas. La -forme turuk rétablie ici est attestée par ailleurs ainsi que la contraction -ROK> -RK. 3) Kara bodun, le « bas peuple » par opposition aux beg et aux kaghan. C'est l'expression des inscriptions de l'Orkhon. 4) Paul Pelliot, Explorations et voyages dans la Haute-Asie (tirage à part, 5 p.), s. d., p. 5. 52 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS le grand texte religieux qui nous manque peut nous être donné qui lèvera nos incertitudes et détruira ou confirmera ce que nous ne pouvons encore présenter que comme des hypothèses et des possibilités. Les documents Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, nos documents les plus nombreux datent des xixe et xxe siècles : ce sont malheureusement les moins précieux, quoique aussi les plus employés dans toutes les études sur la religion d'Asie centrale. Les ethnologues semblent d'accord pour situer l'âge d'or du Chamanisme turco-mongol entre le vne et le xive siècle. C'est aussi l'époque pendant laquelle les différents thèmes religieux des peuples païens d'Asie centrale connaissent leur épanouissement et leur plus grande originalité. En effet, à partir des années 1500, le Bouddhisme et l'Islam ne cesseront d'influencer d'une manière sans cesse croissante les concepts religieux des autochtones et, après le xvine siècle, l'Orthodoxie russe aura un tel poids qu'il n'est pas difficile de relever sa trace dans la plupart des croyances indigènes actuelles. Nous aurons donc à nous méfier de tous les textes folkloriques, de tous les récits des voyageurs, à en éliminer les influences externes. Nous découvrirons néanmoins dans ces documents un certain nombre de récits assez détaillés, qui ont toutes chances d'être des survivances des pratiques et des croyances anciennes. Ils nous serviront surtout à compléter notre information, mais céderont toujours la première place à l'étude des sources anciennes. Ces dernières peuvent se classer, selon leur appartenance,' en deux groupes : les sources indigènes et uploads/Religion/ taengri-1.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 17, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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