❁❁❁ Annales du patrimoine ❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁ N° 07 / 2007 ❁❁❁ © Annales du patrimoine
❁❁❁ Annales du patrimoine ❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁❁ N° 07 / 2007 ❁❁❁ © Annales du patrimoine, Mostaganem (Algérie) Tradition populaire et culture ancestrale Approche socioculturelle et anthropologique Dr Habib Ghezali Toulouse, France Dans les sociétés maghrébines, le peuple a le désir de percer les profondeurs du temps et de l'espace, où le saint intervient comme un catalyseur, un être qui a un pied dans le monde des vivants et un autre dans celui des morts. La vision du bien et du mal, le rapport avec les djinns... Un imaginaire qui dépasse toute imagination. De nos jours, et parallèlement à l’Islam, se pratique au Maghreb en général et en Algérie plus particulièrement un maraboutisme autour duquel se tisse un réseau complexe de croyances et de rites hérités de la nuit des temps. En vérité, c’est la symbiose entre ces croyances populaires et cette religion musulmane qui définit l’Islam maghrébin(1). Chez les Maghrébins comme chez beaucoup d’autres peuples, on retrouve l’expression de cette forme archaïque de la nostalgie des origines et ce désir irrésistible de vivre continuellement le temps primordial. Justement, Mircea Eliade note : « On constate chez ces peuples un désir irrésistible de percer les profondeurs du temps et de l’espace... »(2). Le culte des saints, les marabouts ou ce que nous appelons au Maghreb les walis(3), les visites presque quotidiennes rendues aux tolbas(4) ou les maîtres du Coran, et encore les rapports avec les morts, les djinns, et la vision du bien et du mal constituent justement des piliers fondamentaux de ces croyances populaires. La personne du saint intervient comme catalyseur de toutes les formes pratiquées de la sacralité. Le saint bénéficie d’un statut particulier, il est le saint sauveur des groupes sociaux. Autour de lui et par rapport à sa personne s’organise la vie matérielle et spirituelle de la communauté. En vérité, sa fonction de rassembleur et de guide spirituel correspond parfaitement à celle de chef de tribu dans l’ordre préislamique. Or l’intérêt que portent les populations à la personne du saint s’accentue après sa mort. En témoignent la vénération et le culte rendu à son âme. Sa mort est un phénomène de liaison sacrée car il représente « l’être qui a un pied dans le monde des vivants et un autre dans celui des morts », comme dit l’expression populaire. Cette croyance relève de sa vie antérieure : ses miracles, son itinéraire, son dévouement, sa piété et sa sagesse constituent des modèles prestigieux. Naissance donc d’un sentiment d’absence et du besoin d’un intermédiaire. On trouve cette forme de sacralité dans toutes les manifestations de la vie spirituelle. En tout cas, ce qui importe, c’est que le saint s’affirme comme un Dr Habib Ghezali 32 lieu et surtout comme une auréole légendaire qui canalise toutes les croyances et pratiques de la vie quotidienne. Plus encore, il assure la médiation et le passage entre les deux mondes, celui des vivants et celui des morts. L'essentiel de la culture traditionnelle maghrébine est transmis par voie orale, à l'exception de la religion pour laquelle le taleb dispose de plusieurs ouvrages théologiques écrits en arabe. Le rôle du taleb ou du maître du Coran est de veiller sur la bonne conduite des croyants et de diriger et présider toutes les cérémonies religieuses. Sa connaissance des textes sacrés et de nombreuses disciplines théologiques font de lui dans l’imaginaire populaire un grand connaisseur en matière de magie et d’exorcisme, capable de déceler toutes les énigmes et les intrigues des forces invisibles. Les plus superstitieux ont recours à lui pour confectionner des écrits ou des grigris qui ont un pouvoir magique qui protège contre le mauvais œil, chasser le diable ou demander guérison d'un parent, et c'est là où intervient la notion du bien et du mal. Le bien et le mal sont en effet deux valeurs morales corrélatives aux deux idées du Paradis et de l’Enfer. La marge entre ces deux pôles contradictoires est très mince, et le risque de passer vers l’un ou l’autre est objet de spéculations rituelles visant à chercher le meilleur et à éviter le pire. La conception de l’au-delà préoccupe beaucoup l’esprit des gens du peuple. Avoir des rapports avec l’Outre monde et communiquer avec l’Invisible reste l’une des nécessités spirituelles dont les Maghrébins ne peuvent se passer. Deux exemples de superstition permettent d’élucider les caractéristiques des rapports de ce peuple avec le bien et le mal. Le premier est le rapport avec les morts, car ce peuple éprouve un besoin primordial de se rapprocher de ses morts ce qu’il fait par divers moyens (les visites des cimetières, les cultes des sources sacrées et des Marabouts tels que Sidi Abdellah et Sidi Lakhdar(5) à Mostaganem, Sidi el Houari à Oran, Sidi Boumediene à Tlemcen et Sidi Abderrahmane à Alger). Certains vont plus loin et affirment la possibilité d’aller dans cet outre monde pour voir les leurs. Les sanctuaires sont alors la seule voie concrète qui puisse mener vers cet univers. Les lieux sacrés servent donc de passage entre les mondes. Le second est par rapport au monde des Djinns et aux forces du mal. C’est dans ce rapport avec les morts et l’invisible que l’on peut inscrire la croyance en la possession par les démons. La peur d’être habité ou possédé par les esprits surnaturels. Des talismans sont alors confectionnés et délivrés par les tolbas(6) et portés afin de repousser les forces maléfiques. Chaque fois que les causes d’un phénomène psychologique échappent au savoir des gens du peuple, ceux-ci s’en prennent aux forces invisibles surtout celles du mal. La réparation de cela se fait par tout un rituel accompagné de gestes et de paroles préventives. Tradition populaire et culture ancestrale 33 Les travaux de J. Desparmet, E. Dermenghem et J. Chelhod ont montré la complexité des pratiques traditionnelles en Algérie. Les Algériens croient au pouvoir illimité des saints walis. Ils ont non seulement une grande créance auprès de l’être suprême, pour intercéder en faveur de telle ou telle personne, mais aussi, ils sont doués de la faculté, merveilleuse, la baraka(7) de guérir les malades. Chaque wali est investi du pouvoir de guérir. D’après E. Dermenghem(8), en Algérie, ces saints ont deux sources bien distinctes : l’une orale, l’autre écrite. La première est constituée de saints folkloriques, la seconde a une valeur historique. Les walis sont dotés de force miraculeuse borhan. Leur territoire est imprégné de force magique, ils ont une puissance sur les djinns et les génies. Ils peuvent aussi en cas de fureur, se venger de quelqu’un ou bien libérer un possédé. Le wali est aussi un endroit ou l’on pratique divers rites et sacrifices. Avec waada(9) et zerda(10), c’est la nechra qui provoque le plus d’effet cathartique sur les visiteurs notamment ceux qui souffrent d’une maladie. Elle consiste, dans la plupart des cas, en l’immolation d’une chèvre ou d’un coq en honneur d’un ou de plusieurs djinns. Le sang de cet animal est censé exorciser le mal de l’individu qui consommera ensuite la viande près du saint. Dans cette société, les maladies psychiques sont considérées comme l’œuvre des djinns. Le taleb révèle à la famille du malade le nom du saint qui a des rapports secrets avec les djinns, l’origine de la maladie. Après avoir préparé quelques amulettes, ce dernier indique la nature de la couleur(11) de la volaille qui doit être sacrifiée, ainsi que le jour et l’heure approximatifs de l’immolation. Le sang de cette offrande est destiné à être bu par le djinn qui s’éloignerait du malade. D’autres pratiques consistent à faire entrer le malade et le mettre près de la tombe du saint qui se chargera de chasser le djinn qui l’habite en provoquant des crises convulsives. Cette opération est appelée tekhdam. Au cours de leurs pèlerinages aux saints, les visiteurs donnent une somme d’argent, ziara, à la personne qui veille sur le saint, moquadem(12). L’encens, bkhour, et le benjoin, djaoui, seront humés par les djinns, une bougie servira à éclairer le mausolée la nuit. Quand le pèlerinage et le sacrifice ne donnent pas satisfaction, on attribue l’insuccès au malade qui ne les avait pas effectués en vrai croyant. A Mostaganem, terrain de nos recherches et enquêtes, le nombre des saints est illimité ; il y a ceux qui ont la vertu de libérer les malades des djinns. Sidi Bendhiba à une douzaine de kilomètres de la ville, est renommé pour avoir enseigné les sciences religieuses aux hommes et aux djinns. Les malades qui viennent se prosterner près de sa tombe, peuvent être définitivement libérés. Sidi Slimane et Sidi Larbi-Latrèche, sont aussi des saints qui peuvent chasser le djinn du corps des croyants. D’autres saints, non spécialisés dans une maladie précise, sont d’une grande influence dans la Dr Habib Ghezali 34 culture populaire. Sidi Lakhdar Benkhlouf en est un parfait exemple : homme pieux et poète Louangeur du prophète de l’islam. Sidi Belkacem de Mazaghran lui aussi est un marabout de grande popularité(13). Ces personnages sont entourés d’une véritable mythologie populaire. J. Desparmet ne manquait pas de signaler l’influence de Sidi Lakhdar Benkhlouf dans la région uploads/Religion/ tradition-populaire-et-culture-ancestrale-ghezali.pdf
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- Publié le Dec 17, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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