Visages de Rome SAINT-CLEMENT ET LE PASSAGE DES SIECLES L'une des églises romai

Visages de Rome SAINT-CLEMENT ET LE PASSAGE DES SIECLES L'une des églises romaines les plus fascinantes est Saint-Clément, témoin de l'accumulation de siècles de culture et de prières. Le mausolée de Clément de Rome et d'Ignace d'Antioche s'orne de fresques du Quattrocento et d'une des plus belles mosaïques médiévales de l'Occident. Que l'on prenne la peine de descendre : la basilique inférieure date du IVe siècle et ses murs portent les restes de peintures de l'an mil. Au détour des souterrains, on parvient à des constructions plus anciennes encore, dont un sanctuaire consacré au dieu Mithra. Depuis la chute du mur de Berlin, des fidèles venus de loin affluent ici moins pour vénérer les martyrs des premiers siècles que pour une autre tombe, celle de saint Cyrille, Apôtre des Slaves. Croix glorieuse et pavement précieux Une mosaïque dorée et verdoyante, sur laquelle se détache la Croix d'azur sombre – et sur la Croix, le Christ et douze colombes blanches : voilà ce qui attire immédiatement le regard du visiteur. Il ne remarque pas le reste : parois ornées de stucs et de fresques, riche plafond à caissons, mobilier liturgique en marbre clair... En 1995, l'abside était couverte d'un échafaudage : on regardait alors le pavement « cosmatesque », contemporain de la célèbre mosaïque, alliant au marbre gris-blanc, la serpentine verte et le porphyre violet, matériaux rares ailleurs que dans les ruines de la Rome impériale. Leurs jeux géométriques sont admirables. « L'élément générateur en est le cercle ; tantôt une grande dalle circulaire de porphyre s'encadre de quatre cercles plus petits ; tantôt des cercles égaux semblent se nouer entre eux par des liens multicolores serpentant avec grâce. Les vides sont remplis par de fines mosaïques faites d'étoiles, de carrés, de losanges et de triangles minuscules aux couleurs harmonieuses. » Emile Mâle, auteur de ces lignes, ajoute : « Le souvenir de ces beaux pavements est associé à celui des plus vénérables églises de Rome. Il leur donne ce charme mystérieux, inexprimable qui est le charme romain. On les revoit pendant les stations de Carême, jonchées de feuilles de laurier au parfum amer. »1 Le premier des sanctuaires romains à avoir reçu un tel pavement fut, semble-t-il, Sainte-Marie-in-Cosmedin, l'église de la « Bouche de la Vérité », en 1123. Saint-Clément fut la deuxième, suivie de Saint-Chrysogone puis de Sainte-Marie-Majeure (en 1145), Sainte-Marie- du-Transtévère et Sainte-Croix-en-Jérusalem (en 1148) et encore une douzaine d'autres, dont la basilique du Latran et – l'ultime, un siècle plus tard – Saint-Laurent-hors-les-Murs (en 1227). Un jour du printemps de 1995, j'eus le privilège de monter sur les échafaudages et donc de pouvoir littéralement toucher les figures faites de 1 Emile MÂLE, Rome et ses vieilles églises, Paris 1965 (réimpr. Rome 1992 ; 1ère éd. 1942), pp. 225. 227. 2 milliers de tesselles de verre coloré ou doré, parfois aussi de marbre ou de nacre. Le cœur de la composition se réfère à l'Evangile selon saint Jean : avant de rendre l'esprit, le Crucifié confie sa Mère au disciple qu'il aimait et confie Jean à Marie. J'en garde ce souvenir : le visage de l'Apôtre est fait d'un marbre mat, beige, tandis que ceux du Christ et de Marie ont la même nuance mais l'éclat brillant de la pâte de verre. D'en bas, la différence est presque imperceptible – mais elle est là, et signifie que dans Marie l'artiste voyait et voulait faire voir l'Immaculée. Si le Crucifié, comme les multiples figures qui habitent l'abside appartiennent à l'art médiéval, cette œuvre a quelque chose d'antique. Les splendides rinceaux verts sur fond d'or sont conformes aux modèles du Ve siècle. Ils représentent la vigne du Seigneur, comme l'explique l'inscription qui se déroule au-dessus du cortège des agneaux, limite inférieure de la mosaïque : Ecclesia C(h)risti viti similabimus isti... « Nous assimilerons l'Eglise du Christ à cette vigne… » Cette vigne est aussi l'Arbre de Vie : dessous sont figurés les quatre fleuves du Paradis, où viennent s'abreuver deux cerfs. Te Deum des Saints Tout au long de la courbe de l'arc triomphal est développée l'inscription Gloria in excelsis Deo sedentis super thronum – et in terra pax hominibus bonae voluntatis. C'est le cri des anges lors de la nuit de Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux – et sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté ! » Il y a un ajout, rapporté à Dieu : sedentis super thronum, « qui siège sur son trône ». Ce trône céleste, c'est aussi celui de la Croix, sur laquelle le Fils de l'homme est élevé. Sur les côtés, on voit les Prophètes. A gauche, Isaïe avec une inscription qui se réfère au siège divin : « J'ai vu le Seigneur siégeant sur un trône ». De l'autre côté, Jérémie proclame : « Celui-ci est notre Dieu et nul autre ne sera considéré pareil à lui »2. Au- dessus sont figurés les Apôtres (Pierre et Paul) et les Martyrs (Laurent et Clément) – on songe au Te Deum : « Le chœur glorieux des Apôtres, la troupe vénérable des Prophètes, la blanche armée des Martyrs Te louent. » Te gloriosus Apostolorum chorus, te Prophetarum laudabilis numerus, te Martyrum candidatus laudat exercitus. Les Apôtres Pierre et Paul, venus l'un et l'autre à Rome pour y porter le témoignage suprême, sont aussi les auteurs d'Epîtres canoniques représentées par le rouleau, signe d'autorité, que chacun serre dans sa main. A côté de Paul se trouve l'illustre martyr romain Laurent, dont le vêtement et la tonsure indiquent la qualité de diacre, tandis que l'instrument de son supplice, le gril, permet de l'identifier, ce que confirme une inscription : De cruce Laurenti Paulo famulare docenti, « Au sujet de la Croix, Laurent, mets-toi au service de Paul qui t'enseigne ! » En face, Pierre est accompagné de Clément, son successeur et le titulaire de la basilique : Clément Ier, Pape entre 88 et 97, après les pontificats de Lin et de Clet. L'inscription dit : Respice p(ro)missum Clemens a me tibi Ch(rist)um, « Regarde, Clément, le Christ qui t'es promis par moi ! ». 2 Is 6,1 vidi Dominum sedentem sup(er) solium ; Bar 3,36 hic est D(eu)s n(oste)r et n(on) estimabit(ur) alius absq(ue) illo. 2 3 La Légende Dorée consacre un long récit à saint Clément, condamné à être noyé dans la mer, lesté d'une ancre représentée sur la mosaïque. L'évêque de Rome avait été condamné aux travaux forcés et à l'exil au bord de la mer Noire. Jacques de Voragine raconte qu'après sa mort, « tous les ans, à l'anniversaire du martyre de saint Clément », soit le 23 novembre, « la mer se retira…pendant une semaine, permettant aux fidèles d'atteindre à pied sec le tombeau du saint. A l'une de ces fêtes, un femme vint là avec son petit garçon » et dans un mouvement de panique, la foule fuyant le retour des flots, l'oublia là, endormi. L'année suivante, après bien des pleurs et des prières, elle revint et « aperçut son fils couché à l'endroit où elle l'avait laissé…Grandes furent sa surprise et sa joie lorsqu'elle découvrit que l'enfant n'était qu'endormi. » Le miracle du retrait de la mer finit par cesser, affirme la Légende Dorée, en raison de la corruption des habitants du lieu, presque tous des nouveaux venus. C'est un prêtre surnommé le Philosophe qui retrouva le corps, « le conduisit à Rome et le déposa dans l'église qui porte aujourd'hui le nom de ce saint. Ce corps continue à opérer d'innombrables miracles. A en croire une autre chronique, le corps de saint Clément aurait été retrouvé et rapporté à Rome par le bienheureux Cyrille, évêque des Moraves » – en l'an 861. Renaissance médiévale Les reliques de Clément, ainsi que celles d'un autre martyr des premiers temps, Ignace d'Antioche, reposent sous l'autel entouré de quatre colonnes portant un baldaquin de marbre. Le trône et certains panneaux de la barrière séparant les clercs des autres fidèles avaient déjà été réalisés plus de trois siècles avant l'arrivée – ou le retour – des reliques de saint Clément ! On voit gravés dans le marbre les monogrammes du Pape Jean II (533-535), à une époque qui n'est plus l'Antiquité et n'est pas encore tout à fait le Moyen-Age. La grande mosaïque de l'abside remonterait-elle, au moins en partie, à cette époque ancienne ? On a longtemps vu en Saint-Clément, avec ses colonnes antiques et son atrium, un parfait exemple de la basilique des premiers siècles. Nombre des visiteurs d'aujourd'hui pensent comme le pape Clément XI (1700-1721) qui sur une inscription placée au-dessus de la porte d'entrée parle d'une « antique église » qui « a échappé à l'outrage des siècles ». La confusion durera jusqu'à la campagne de fouilles des années 1857-1860, qui mirent en évidence sous la basilique actuelle une autre église plus ancienne et plus vaste. On sait maintenant que la mosaïque fut réalisée entre les années 1115 et 1125, ce qui la rend peut-être plus précieuse encore. En effet, Saint-Clément témoigne d'une uploads/Religion/ visages-de-rome-st-clement.pdf

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  • Publié le Jan 27, 2021
  • Catégorie Religion
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