Communio, n° XIV, 2 — mars-avril 1989 Georges CHANTRAINE Théologie et sainteté

Communio, n° XIV, 2 — mars-avril 1989 Georges CHANTRAINE Théologie et sainteté Trinité (4), d'une Erika (5) — ne représente pas pour lui une « théologie alternative » (6). Il n'y a qu'une théologie : celle qui est unie à la sainteté. Et l'expérience spirituelle — mystique chez certains — n'a de prix que si elle est entièrement dogmatique. Théologie et sainteté définit l'aire de sa pensée, oriente son oeuvre, appartient à son expérience originelle, forme le soubassement de l'Institut Saint-Jean qu'il fonda avec Adrienne von Speyr. 1. Trois approches d'une seule idée Théologie et sainteté, c'est le titre d'un article de revue paru en 1948 (7), puis augmenté avant d'être inséré dans la première des cinq grandes esquisses pour la théologie : Verbum caro (8). Sous un titre un peu modifié, Theologie und Spiritualität (9), le Père von Balthasar, qui vient de terminer La Gloire et la Croix, le reprend pour la revue de la Grégorienne avant de l'insérer dans Einfaltungen (10), traduit en français par Retour au Centre (11). Enfin, ayant achevé la Théologique, dernier volet du triptyque, il traite une dernière fois le même thème sous le premier titre, Theologie und Heiligkeit en 1987 dans un cahier de Communio (12), qui avait l'objet suivant : au cours des siècles, ce sont les saints qui ont surmonté les crises de la pensée Théologie et sainteté Inclina cor meum, Deus, in testimonium tuum. Nos perfice operarios veritatis ut qui ex te nati sumus lucis filii, tui testes coram ho- minibus esse valeamus. (Laudes - Mercredi de la 1 ° Semaine) CHEZ Hans-Urs von Balthasar, il n'existe pas une spiritualité qui serait une spécialité à côté de l'exégèse, de la dogmatique et de la morale. Sa pensée théologique possède « un caractère hautement synthétique, par quoi elle renverse les barrières à l'intérieur desquelles a coutume de s'enfermer la théologie classique de nos temps modernes » (1). C'est qu'elle est attentive à une réalité que les philologues et les historiens, parfois les théologiens et les moralistes, mettent entre parenthèses : l'Esprit-Saint. Balthasar « nous fait voir comment le Saint-Esprit lui-même les fait sauter » (2) ou tout simplement les ignore. On n'attribuera donc pas au « spirituel » un intérêt étonnant pour les « maîtres-chrétiens », qu'il a traduits, étudiés (par exemple Thérèse de Lisieux et Elisabeth de la Trinité) (3) ou publiés dans sa maison d'édition. L'expérience spirituelle — celle d'une Adrienne von Speyr, dont il a édité l'oeuvre entière (60 volumes), d'une Marie de la (1) Henri de Lubac, Un témoin du Christ dans l'Église: Hans-Urs von Balthasar, dans Paradoxe et mystère de l'Église, Paris, Aubier, 1967, p. 191. (2) Ibid., 193. (3) Thérèse de Lisieux. Histoire d'une mission, Paris, Apostolat des Editions, 1973 ; Elisabeth de la Trinité, Paris, Seuil, 1959. 54 (4) Im Schoss des Vaters (Dans le sein du Père), Einsiedeln-Trier, Johannes Verlag, 1988 ; voir en français, Marie de la Trinité, Filiation et sacerdoce des chrétiens, coll. le Sycomore, Paris-Namur, Lethielleux, 1986. (5) Du weisst nicht wie Behr ich dich liebe (Tu ne sais pas combien je t'aime), Einsiedeln-Trier, Johannes Verlag, 1988. (6) V. Conzemius, « Hans-Urs von Balthasar oder das kurze Ged2chtnis der schweizer Katholiken (H.U. von Balthasar ou la mémoire courte des catholiques suisses) », dans Schweizer Montashefte 68 (1988), 753-762, ici 759. (7) Dans Dieu vivant 42 (1948), 17-31 ; et dans Wort und Wahrheit 3 (1948), 881-896. (8) Einsiedeln, Johannes Verlag, 1960. (9) Gregorianum 50 (1969), 571-586. (10) Einfaltungen. Auf Wegen christlicher Einigung (Reploiements. Sur les chemins de l'unification chrétienne), Munich, Klfsel Verlag, 1969. (I1) Paris, DDB, 1971. (12) Theologie und Heiligkeit (Théologie et sainteté), dans Internationale katholische Zeitschrift Communio 16 (1987), 483-490 ; dans Communio. International Catholic Review 14 (1987), 341-350 ; dans Communio. International Katholiek 7ijdschrift 12 (1987), 401-410. 55 Georges Chartraine Théologie et sainteté Fils incarné, accomplissant la promesse faite à Abraham, scellée dans l'Alliance Ancienne. A l'intérieur de l'échange de connaissance, de fidélité, d'amour, dont l'Alliance crée la possibilité, la vérité est un « concept de totalité » qui exprime à la fois ce qui eSt et ce qui doit être, « la vérité et l'authenticité, la véracité et ce sur quoi on peut compter» (16). Elle s'articule parfaitement à d'autres concepts de totalité, tels justice, grâce, parce que tous désignent la même réalité et parce que celle-ci est attestée avec adéquation par le Témoin fidèle, grâce à l'Esprit qui donne aux baptisés de participer au témoignage du Christ : c'est ce que développe l'article de 1987. Les trois articles traitent donc le même thème sous trois aspects distincts : la Vérité, l'Alliance, le témoignage, liés à l'intérieur de la Révélation. La théologie est sainte et doit l'être en raison du Dieu qui se révèle et qui est révélé (theos legôn et legomenos), lequel est saint et sanctifiant. 2. Vérité, obéissance, mission, témoignage L'article de 1948 est plein de l'intuition première. En étant connue, la vivante vérité de Dieu engendre la sainteté et réciproquement la sainteté donne de connaître Dieu. L'idée de vérité qui le sous-tend est peu développée. La vérité en Dieu n'est pas le dévoilement de ce qu'Il est, qui pourrait nous aveugler ; c'est Dieu lui-même en ses relations personnelles et dans sa communication en son Fils incarné ; c'est « le mystère de l'amour éternel — ainsi fait dans son essence intime, que sa nuit, dans l'excès de sa lumière, ne peut être glorifiée que dans l'adoration» (17) et dans l'obéissance. Nul ne connaît la vérité « s'il ne marche dans la vérité ». « Celui qui dit : Je le connais et ne garde pas ses commandements, celui-là est un menteur et la vérité n'est pas en lui » (1 Jean 2, 4). « Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4, 8). « Le type même de la vérité, le Christ, qui se donne lui-même comme tel, en est la règle (18), parce que son existence est l'exposé de son (11) Théologie et spiritualité, Op. cit., 18. (12) Cité par H. de Lubac, Op. cit., 207. (13) Cf. H.U. von Balthasar, « Neuf thèses pour une éthique chrétienne», dans Principes d'éthique chrétienne (éd. J. Ratzinger et Ph. Delhaye), coll. le Sycomore, Paris-Namur, Lethielleux, 1979, p. 75 ss ; du même, Théologie de l histoire, Paris, Fayard, nouvelle édition, 1970, ch. I11 et IV. chrétienne et renouvelé la théologie. Balthasar n'a cessé de moduler ce même thème (13). Dieu en sa sainteté, tel est le centre d'où la théologie procède, et où elle retourne, en qui elle demeure en s'acheminant vers lui. C'est lui qu'elle connaît. C'est un nouveau genre de connais- sance : « la théologie, ce feu dévorant entre deux nuits, deux abîmes : l'adoration et l'obéissance» (14). Avec tous les moyens dont l'homme dispose, elle se déploie entre ces deux abîmes : elle rend témoignage à la vérité du Dieu Trinité qui est amour et s'est lié à l'humanité par l'alliance en son Fils, et ce témoignage est véridique s'il est une mission accomplie par obéissance dans l'Esprit. Pour autant, ce déploiement du sens par une foi en quête d'intelligence est un reploiement, un retour au centre (Einfaltung). Car le centre, le Dieu saint, se déploie toujours à partir de lui-même, donc en se reployant : en son unicité, Dieu est trois personnes et en se donnant aux hommes, il fait rayonner sa gloire ; en lui-même comme en sa libre communication de lui-même, il est « catholique » (15). La théologie n'existe donc qu'en étant « catholique », non certes dans un sens confessionnel, mais au sens de Dieu. Elle n'existe qu'en se communiquant comme Dieu, donc en se reployant. Elle est alors sainte et suscite la sainteté. Témoignage de la Vérité du Dieu-Amour, né de l'adoration et rendu par obéissance à une mission reçue dans l'Église : telle est donc, selon Balthasar, la théologie en elle-même, c'est-à-dire en sa sainteté. Telle est aussi l'idée que notre auteur a développée dans les trois articles que nous venons de signaler. Elle s'ordonne autour de l'idée de la Vérité personnelle de Dieu qu'expose avec force l'article de 1948. Or, comme le montre l'article de 1969, cette vérité a pris corps et consistance historique grâce à l'Alliance de Dieu avec l'humanité en son (13) Voici un relevé non exhaustif des textes accessibles en français: Tâche de la théologie, dans Théologie de l'histoire, Paris, Plon, 1955 ; Parole et Histoire, dans Cahier de l'actualité religieuse 15 (1961), 227-240 ; « l'Evangile comme norme critique de toute spiritualité », dans Nouveaux points de repères, coll. Communio, Paris, Fayard, 1980, 285-302 ; « Vérité et vie », dans Consilium 3 (1967), 40-43 ; tout Retour au centre ; « Exégèse et dogmatique », dans Communio I, 5 (1975), 18-25 ; « La foi est une », dans Recherches et expériences spirituelles, N.D. de Paris, 30 nov. 1980, 3-13 ; «De la théologie de Dieu à la théologie de l'Église », dans Communio VI, 5 (1981), 819. uploads/Religion/hans-kung-baltazar.pdf

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  • Publié le Sep 10, 2021
  • Catégorie Religion
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