« Epistémologie et Méthodologie en sciences de Gestion : réflexion sur l’étude
« Epistémologie et Méthodologie en sciences de Gestion : réflexion sur l’étude de cas » Céline Chatelin Maître de conférence celine.chatelin@wanadoo.fr LOG – IAE Orléans « Epistémologie et Méthodologie en sciences de Gestion : réflexion1 sur l’étude de cas » Résumé : Cet article propose une réflexion méthodologique en sciences de gestion. En examinant ce que recouvre le processus scientifique, à partir d’une illustration dans le champ de la gouvernance des entreprises, nous montrons ce que sous-tend le conflit apparent entre les démarches quantitative et qualitative. Nous développons un guide méthodologique de l’étude de cas et discutons de sa portée épistémologique. « Epistemology and Methodology in Management Science: Discussion on Case Study » Abstract : The topic of this paper is related to the methodological question in management science. We study the scientific process on the basis of the corporate governance scope to show what the apparent conflict between quantitative and qualitative approaches underlies. We develop a methodological guide for case study and we discuss its epistemological significance. 1 Ce document de recherche a été rédigé dans le cadre d’une discussion de l’article de Moriceau (2000) en séminaire thématique du LOG « les méthodologies en sciences de gestion », le 7 juin 2004. 3 La question méthodologique s’impose naturellement au chercheur dans la mesure où le processus scientifique vise à produire une connaissance objective de la réalité observée. Partant de l’existence supposée avérée des conflits entre tenants de la méthodologie quantitative et des tenants de l’approche qualitative notamment par étude de cas, Moriceau (2000) défend l’hypothèse selon laquelle la validité externe des résultats obtenus par une démarche qualitative relève non plus de la généralisabilité mais de la répétitivité que cette démarche permet. En effet, selon l’auteur (p. 238), les « qualitativistes » parce qu’ils se référent « aux mêmes critères que leurs maîtres aux méthodes statistiques », cherchent par conséquent la généralisation de leurs résultats obtenus par études de cas même si celle-ci est de nature « analytique et non plus statistique ». Or cette attitude, qui implicitement viserait à faire gagner en légitimité les premiers aux yeux des seconds consisterait finalement à prétendre que l’étude de cas n’a d’autre prétention que de fournir une autre voie d’accès à l’observable, « permettant d’aboutir à la même chose, à des lois générales gouvernant les organisations ». Ce constat décevant nous invite donc, selon l’auteur, à réfléchir à la portée épistémologique alternative que pourrait offrir la démarche qualitative comparativement à la démarche statistique largement reconnue dans l’ensemble des sciences, le but restant, force est de le constater, « de solidifier plus encore [la] reconnaissance académique [des études de cas] ». A partir de la réflexion de Moriceau nous proposons deux points de discussion. Nous revenons tout d’abord sur l’hypothèse implicite de départ selon laquelle il existe « un débat récurrent qui oppose les méthodes qualitatives et quantitatives ». Plus précisément nous souhaitons proposer une lecture moins conflictuelle que celle proposée par l’auteur afin de démontrer que sous cet angle, la question du choix méthodologique du chercheur cache l’interrogation essentielle et vraisemblablement universelle qui guide celui-ci au cours du processus scientifique. Nous proposons ensuite un guide méthodologique de recherche par étude de cas et envisageons une discussion centrée sur le prolongement de la proposition de l’auteur selon lequel le potentiel scientifique des études de cas réside dans leur capacité à mettre en exergue l’observation de la singularité du problème posé « participant [ainsi] à la compréhension d’un ressort problématique susceptible de se répéter » (Moriceau, p. 239). 4 1. Choix méthodologique : quelle est la véritable question du chercheur ? L’hypothèse d’opposition traditionnelle entre les démarches qualitatives et quantitatives fait l’objet de corroborations fréquentes lors de colloques où la logique d’affrontement et peut être plus profondément une logique d’incompréhension entre quantitativistes et qualitativistes ont pu être expérimentées ou observées. Or, à l’instar de Popper, la corroboration partielle conduit donc à reproduire incessamment le test d’observations, tout rejet de l’hypothèse initiale conduisant à une remise en question de tout ou partie de la théorie de départ dans le processus de rapprochement de la vérité. Or, il est un fait observé que quantitativiste et qualitativiste peuvent être incarnés par un seul et même chercheur. En sciences de gestion, en particulier dans les préoccupations d’ordre organisationnel, un même auteur peut proposer dans un seul et même article sinon dans plusieurs, deux types de résultats issus chacun de méthodologies différentes. En ce sens, l’opposition récurrente, supposée, ou tout du moins vécue comme telle par une majorité de membres de la communauté scientifique est réfutable et sa réfutation, effectivement avérée même de manière non statistiquement représentative. Cette modeste démonstration de la réfutabilité d’une théorie et plus spécifiquement ici de l’hypothèse d’opposition récurrente des méthodologies, à partir de quelques observations, de quelques cas observés, a pour dessein d’interroger la préoccupation sous-jacente mais non moins cruciale des chercheurs quand la question de la démarche méthodologique est posée. a. Considérations épistémologiques : l’essence même de toute recherche scientifique Le propos ici n’ayant aucunement la prétention de statuer sur la science, nous proposons cependant une réflexion générale sur l’activité scientifique. Selon Lecourt (2003, p. 368), « pour anticiper ce qui de l’inconnu est susceptible d’être acquis à la connaissance, la pensée scientifique doit inlassablement prendre le risque d’interroger le réel en fonction d’un possible dont elle sollicite les virtualités par la pensée et l’expérimentation. Et cette ferveur interrogative ne se satisfait d’aucune réponse apportée. » En ce sens, la construction de connaissance en rapport avec les observations est la préoccupation centrale du chercheur. La science en tant qu’activité de 5 production de connaissance renvoie à plusieurs types de connaissances et en amont à plusieurs attitudes et questionnements scientifiques desquels émergent ces types de connaissances2. Pourquoi cela est ? Comment cela est-il ? Comment cela devrait-il être ? Comme le stipule le principe méthodologique proposé par Popper (1991, p. 519), « les théories satisfaisantes doivent, en principe, transcender les exemples empiriques qui leur ont donné naissance ». L’observation tient alors un rôle décisif puisqu’elle constitue le siège de l’expérience, laquelle permet de falsifier ou non une conjecture. Ainsi, à partir d’un phénomène réel, la tâche scientifique consiste en de multiples interactions entre théories et faits. Développé entre autres par la réflexion épistémologique poppérienne, le processus scientifique consiste en un enchaînement d’observations, d’explication du phénomène observé, de prédictions et de leur test sur d’autres situations réelles. Dans la démarche empiriste et ses variantes, la connaissance scientifique est issue d’une série d’observations logiquement coordonnées (Lecourt, p. 367). Ainsi, le positivisme logique ou « physicalisme » consiste à établir un lien entre « les observations sensibles et simples » et les énoncés construits selon « un calcul logique et rigoureux » (Lecourt, p. 366). Si l’observation est décisive dans le déroulement et l’aboutissement du processus scientifique, la manière de la conduire l’est tout autant. La question qui se pose alors est celle du choix de l’approche instrumentale du phénomène étudié, des moyens de recueil et d’analyse des données afin d’articuler de manière pertinente et rigoureuse les concepts et leurs liens avec les faits. Plus précisément, cette question relève de l’objectif de la modélisation et de ses modes opératoires dans le cadre d’une confrontation 2 Précisons qu’il existe plusieurs approches scientifiques de la connaissance. Elles dépendent entre autres, de la nature de la recherche, descriptive, explicative et/ou prédictive et des objectifs associés. Leur pluralité n’implique pas systématiquement une rivalité entre elles, comme le prétend Wacheux (1992). Leur spécificité réside dans l’approche instrumentale de l’observation (déductive, inductive, analytique, clinique, expérimentale ou statistique) qui demeure essentielle à l’accumulation de la connaissance (Wacheux, Op. cit., p. 50 et suivantes). Toutes néanmoins, procèdent d’un va et vient entre représentations théoriques et observations. Ainsi, d’un bout à l’autre du spectre de la conception du savoir, on peut distinguer l’abductivisme qui dérive la théorie à partir de l’observation et le falsificationisme pour lequel une théorie réfutable guide l’observation. Ces conceptions de la formation de la connaissance ont permis en outre, de développer différentes perspectives de la science sous forme de programmes de recherche de Lakatos et de paradigmes scientifiques - dont le passage de l’un à l’autre témoigne d’un progrès scientifique selon Kuhn - (Chalmers, 1987). 6 au terrain. S’interroger sur la méthodologie de terrain renvoie par conséquent à la question du positionnement méthodologique par rapport à la problématique de recherche et au type de connaissance à laquelle le chercheur souhaite accéder. Ainsi, la conception de la connaissance, autrement dit le parcours conceptuel et empirique réalisé par le chercheur est multiforme. Il peut être hypothético-déductif ou constructiviste mobilisant les approches statistique, clinique et/ou expérimentale de l’observation (voir note de bas de page 2). En référence à la citation de Popper, le développement de la théorie provient alors du dépassement qu’elle permet par rapport aux faits dont elle provient. Une lecture de cette démarche globale, transposée dans le champ de recherche plus spécifique des organisations, notamment celui de la théorie positive de l’agence (désormais TPA), a été proposée par Wirtz3 (2000, p. 173) sur uploads/Science et Technologie/ article-5-methodologie.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2022
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