Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir aut

Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce qu’il résulte d’une décision et implique un choix ; puis à mesure que ces mouvements s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns des autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quel sont d’autre part les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs parties à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ? Les variations d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix. Bergson Bergson, dans ce court extrait, s’interroge sur la nature de la conscience. Selon lui, elle se manifesterait par un choix, et serait tournée soit vers le passé, (mémoire, c’est à dire création) soit vers le futur (anticipation, c’est à dire choix.) Ainsi, il y aurait des fluctuations de la conscience, selon "la somme plus ou moins considérable de choix [...] que nous distribuons sur notre conduite". Si le raisonnement de Bergson est limpide, ses conclusions le sont moins. En effet, les conséquences potentielles de sa thèse sont énormes. L’humanité se définit souvent par sa conscience : si nous acceptons que celle-ci puisse osciller, n’y-a-t’il pas un risque de négation de la conscience et donc de l’humanité de certains ? Si la conscience est "synonyme de choix", tous ceux qui adhèrent à un dogme sont-ils encore conscients ? Si la mémoire est création, quelles en sont les conséquences pour l’art ou la théologie ? Enfin, le temps et le divin peuvent-il coexister avec cette conscience Bergsonienne ? La dialectique de Bergson est, dans ce texte du moins, très ordonnée avec une séquence : question rhétorique-réponse-analogie ou exemple explicatif-et conclusion à la fin d’une séquence d’idées. Ici, nous pouvons séparer le texte en trois parties. Dans la première, Bergson interroge son lecteur : "Qu’arrive-t’il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ?" Pour lui, la conscience qu’il y avait dans cette action s’en retire. On peut utiliser l’analogie de la danse. (Bergson lui utilise comme exemple "un exercice" fait de "mouvements") Peu avant de quitter l’Australie, j’ai été invité par un ami d’origine Grecque à une soirée de danse traditionnelle. Après avoir assisté à une ronde ou deux, il m’invita à essayer une danse simple, "la danse du boucher". Tout d’abord, j’étais maladroit, et je devais me concentrer à chaque pas. Chacun de mes mouvements était délibéré. Puis, je commençai à attraper le rythme, et ma danse se fit plus fluide. Voyant cela, mon ami commença à introduire de nouveaux pas, et je dus de nouveau me concentrer sur mes pieds. Pour Bergson, la conscience est comme cette danse Grecque. Je suis conscient de mes actions tant que mes pas, ou mes actions, ne proviennent pas d’un automatisme. Ainsi, dans une danse ou dans une série d’actions rythmiques ou répétitives, la conscience n’est présente que durant la période d’apprentissage, puis est remplacée peu à peu par l’habitude. Cette doctrine philosophique peut être rapprochée des expériences de Pavlov sur les réflexes créés artificiellement chez les animaux. Dans une deuxième partie, Bergson retourne la question de la première partie et cherche à déterminer "les moments [ou actions] où notre conscience atteint le plus de vivacité". Selon lui, le paroxysme de la conscience serait des moments de "crise intérieure" ou d’hésitations "entre deux ou plusieurs partis à prendre". Il cherche à expliquer ceci en ayant recours à une analogie mathématique. Il lie l’ "intensité" de la conscience à la "somme" de choix ou de chemins que nous offrons à notre conduite : nous sommes plus conscients à un carrefour que dans une ligne droite. Il est intéressant de remarquer que cette "somme" de choix ne correspond pas à la "somme" de choix apparente. Les choix sont une "création". Pour reprendre l’analogie de la route, imaginons un voyageur dans une forêt. Il est sur un chemin qui sinue et veut arriver à un certain village avant la nuit. Son seul choix apparent est le chemin sur lequel il soulève la poussière ; mais il peut également "créer" un autre chemin en pensant à sortir du sentier battu et couper à travers les bois. 1 La conscience Bergsonienne est donc comme une carte : sa précision, ou son intensité dépend du nombre de chemins ou possibilités qu’elle recèle. Dans une troisième partie, Bergson conclut qu’il en est ainsi de la conscience en général, et ajoute cette phrase qui peut paraître à première vue sibylline et sans rapport logique avec ce qui précédait : "Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix." Cette affirmation est en fait la conséquence directe du raisonnement de la seconde partie. Si la conscience est création ou choix comme il le pense, la conscience ne peut être que mémoire ou anticipation. En effet, je suis au présent. Je ne peux donc hésiter. Le choix de Bergson est l’anticipation du choix, pas le choix lui même. Quant à la création, elle n’est pour Bergson que la réinterprétation de choses passées pour faire des choses nouvelles. La mémoire est création, l’anticipation est choix, et la conscience est liée à la quantité de "choix ou de création que nous distribuons sur notre conduite" ; c’est ainsi que Bergson peut écrire que la conscience signifie ou l’un ou l’autre. Hegel dans son Esthétique écrit : "L’homme est un être doué de conscience." Cette citation n’est qu’une feuille dans une forêt. Depuis des temps immémoriaux, l’homo sapiens a cherché ce qui lui est propre, ce qui fait de lui un homme. La conscience est un des attributs humains qui fait le plus preuve d’ubiquité dans toutes ces listes de caractères propres à l’homme. Le texte de Bergson que nous avons sous la main a donc une importance capitale, puisqu’il touche à ce qui pour beaucoup définit l’humanité. Pour Bergson, la conscience peut certes être un attribut humain, mais elle admet des fluctuations. Il serait dangereux de s’engager sur une route qui peut partir de bases apparemment raisonnables et aboutir à une conclusion qui ne l’est pas. L’humanité n’admet pas de fluctuations, et la conscience humaine suit logiquement. Bergson, comme Descartes, pourrait être réinterprété pour servir des doctrines pseudo-rationalistes de supériorité d’un homme sur un autre. On peut penser à Fichte, pour qui raison supérieure donnait à celui qui la possède tous les droits et pouvoirs sur ceux qui ne la possèdent pas. Cependant, on peut et doit également se souvenir du Descartes qui disait "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". Bergson ne nie pas l’existence de la conscience chez tout être humain. On peut donc défendre sa thèse de toute inclination vers la discrimination ou la séparation absolue entre les "conscients" et les autres. Il faut distinguer la capacité à être conscient, commune et identique à toute l’humanité, à la conscience dans l’instant, qui peut varier selon les circonstances et les personnalités individuelles. L’application de la thèse de Bergson soulève également des questions intéressantes dans le domaine du dogme. Le croyant adhère à une série de principes et restreint ainsi le nombre de chemins qui lui sont ouverts. En deviendrait-il moins conscient ? Je crois que Bergson voit en fait la foi différemment. La foi humaine serait apparentée au doute- après tout, si nous n’avions qu’un grain de moutarde de vrai foi, les montagnes ne se lèveraient-elles pas pour s’ôter de notre chemin ? Je crois, mais (du moins si je crois de manière claire et saine) je doute que je crois. Ainsi, s’attacher à un dogme serait donc source de conscience. On peut penser aux "J-cells" que des neurologistes américains avaient trouvées incroyablement développées chez les patients religieux, ou à tous les jeux subtils de la théologie qui inspirent et appellent à la réflexion. Les kabbalistes, Philo d’Alexandrie, Swedenborg, les mullahs, Calvin, Luther ou encore l’Argentin Borges ne sont que quelques uns de ceux qui cherchèrent et cherchent encore les sens cachés1 des écritures sacrées, quelques uns de ceux pour qui l’adhésion et la foi n’enlevèrent ni le doute ni la conscience. Bergson soulève également le problème de l’art de la création. Pour lui, la création est mémoire (ou, à un autre et moindre degré, espoir.) Bacon, dans ses Essays (LVIII) écrivit : 2"Solomon saith : There is no new thing upon the earth. So that as Plato had an imagination, that all knowledge was but remembrance ; so Solomon giveth his uploads/Science et Technologie/ bergson-qu-x27-arrive-t-il.pdf

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