HENRI PIÉRON, LA PSYCHOLOGIE DE L'ORIENTATION PROFESSIONNELLE Michel Huteau, Se

HENRI PIÉRON, LA PSYCHOLOGIE DE L'ORIENTATION PROFESSIONNELLE Michel Huteau, Serge Blanchard Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie » 2014/5 Numéro 533 | pages 363 à 384 ISSN 0007-4403 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2014-5-page-363.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Groupe d'études de psychologie. © Groupe d'études de psychologie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.154.40.211) © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.154.40.211) Henri Piéron, la psychologie de l’orientation professionnelle HUTEAU Michel* BLANCHARD Serge** « Tâche sociale destinée à guider les individus dans le choix de la profession, de telle manière qu’ils soient capables de l’exercer et qu’ils s’en trouvent satisfaits, en assurant aussi, par la répar- tition de ces choix, la satisfaction des besoins professionnels de la collectivité. » C’est ainsi qu’Henri Piéron (1951/1968) définit l’orientation professionnelle (OP) dans son Voca- bulaire de la psychologie. La question de l’OP peut être abordée de divers points de vue : économique (répartition de la main-d’œuvre), sociologique (facteurs sociaux de cette répartition), psycholo- gique (conduite des individus). L’approche que Piéron défendra et développera tout au long de sa vie est résolument psychologique. Elle est fondée sur une idée largement partagée et pas spéciale- ment nouvelle (Platon déjà...), à savoir qu’il est souhaitable que les individus exercent des profes- sions en accord avec leurs caractéristiques person- nelles. Nous verrons que derrière un consensus de façade se cachent de profondes oppositions et que cette idée simple peut donner lieu, avec Henri Piéron, à des élaborations relativement complexes. À la fin du XIXe siècle, l’idée selon laquelle il faudrait organiser l’orientation des jeunes arrivant en fin de scolarité primaire commence à s’affirmer (Huteau, Lautrey, 1979). Ceux qui plaident pour que des services d’orientation soient créés ont des motivations diverses. La plupart (des responsables de l’enseignement technique professionnel, des services de main-d’œuvre, des organisations patro- nales...) pensent par ce moyen faciliter le recrute- ment et rendre plus efficace la formation des apprentis. Il y a, en effet, une crise de l’apprentis- sage que le développement du machinisme accentue. Certains, et ce sont parfois les mêmes, ont des intentions moralisatrices et pensent qu’une meilleure orientation des jeunes contribuera à la résolution de « la question ouvrière » et à assurer la paix sociale. Les uns et les autres ne demandent rien à la psychologie scientifique, que générale- ment ils ignorent. Il y a aussi quelques universi- taires, physiologistes et psychologues, parfois médecins, qui gravitent dans l’orbite d’Édouard Toulouse. Ils sont jeunes, positivistes, avec des idées de réforme sociale, et souhaitent instituer l’OP sur des bases scientifiques. Piéron est l’un d’eux. UN RATIONALISTE HUMANISTE Henri Piéron s’est toujours intéressé aux appli- cations de la psychologie et plus particulièrement à l’OP. Depuis l’époque où, jeune étudiant à peine sorti de l’adolescence, il faisait le coup de poing au Quartier Latin contre les groupes nationalistes et antisémites pour la révision du procès de Dreyfus, il s’est toujours senti concerné par les problèmes politiques et sociaux et a constamment affiché des positions progressistes. Il est convaincu très tôt que les nécessaires réformes sociales doivent être fondées sur la science et notamment sur la psychologie naissante. Ces convictions se sont renforcées au contact d’Édouard Toulouse, autant militant que savant, dont la véritable obses- sion était, dans tous les domaines, de rendre la société plus rationnelle et plus juste en appliquant les données de la biologie, une biologie largement définie puisqu’elle inclut la psychologie (Huteau, 2002). Pendant plus de dix ans, Piéron a travaillé au côté de Toulouse dans son laboratoire annexé à l’asile de Villejuif, où il a été recruté comme prépa- rateur (poste non rémunéré) en 1901. En 1904, il devient le secrétaire de la Revue scientifique que dirige Toulouse. Passé chef de travaux en 1907, il quittera Villejuif en 1912 pour prendre la direction du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne et remplacer Binet décédé l’année précé- dente. « Je me suis trouvé assez tôt au contact d’Édouard Toulouse, écrit-il en 1923 (a), si soucieux des applications sociales de la science, * Conservatoire national des arts et métiers, Paris. ** Groupe de recherches sur l’évolution de l’orienta- tion (GRÉO) et Groupe de recherche sur l’histoire du travail et de l’orientation (GHRESTO/CRTD/CNAM) Correspondance : Michel Huteau, 15 allée des Orchi- dées, 92220 Bagneux. <michel.huteau@wanadoo.fr> 363 bulletin de psychologie / tome 67 (5) / 533 / septembre-octobre 2014 © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.154.40.211) © Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 16/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.154.40.211) pour n’avoir pu songer à m’enfermer dans la méta- phorique tour d’ivoire, qui paraît bien démodée à notre société moderne » (p. 20). Piéron et Toulouse resteront en contact comme en témoigne leur volu- mineuse correspondance (450 lettres de Toulouse à Piéron sont déposées aux archives Piéron à l’université René Descartes). Piéron est cosigna- taire de la dernière publication scientifique de Toulouse en 1945. Les positions de Toulouse et de Piéron sont voisines, mais ce dernier les a expri- mées moins fréquemment et avec davantage de modération (il ne s’est jamais présenté comme un biocrate). Piéron n’a jamais adhéré à un parti politique. Bien qu’engagé à gauche avec de fortes convic- tions républicaines, et en cela fidèle à Toulouse, il s’est toujours tenu à distance des mouvements socialistes et du marxisme qu’il a qualifiés, à plusieurs reprises, de « métaphysique » (par exemple, 1931a, p. 223). Il pense que le progrès vient principalement de l’action des élites éclairées et est résolument réformiste. « Je pense, déclare-t-il en 1932 (p. 268), que les révolutions ne sont, quand elles apparaissent, que des manifestations de surface, qui trahissent une évolution profonde. Ce qu’il y a de viable dans une révolution, c’est préci- sément ce qui sort de par cette transformation qui s’est lentement produite sans qu’on l’ait vue... Il y a dans toutes les révolutions des choses durables et des choses passagères... Je pense justement que les choses durables le sont dans la mesure où elles représentent une évolution continue... N’opposons pas toujours : l’évolution se fait. Aidons-la à se faire ». Au lendemain de la première guerre mondiale, il sera membre des Compagnons de l’université nouvelle, mouvement qui agit pour une réforme de l’enseignement et pour l’école unique. Il s’investira beaucoup 1 dans le Groupe français pour l’Éducation nouvelle (GFEN) créé en 1922. Cette organisation, proche des Compagnons, se propose de former des individus complets et d’œuvrer pour la paix en réformant l’enseignement. Elle agit pour que les méthodes pédagogiques pren- nent en compte les données de la psychologie. Jusqu’en 1930, Piéron représentera le GFEN auprès de la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle. Il sera membre du comité de rédaction de Pour l’ère nouvelle, la revue du groupe (avec Wallon, Decroly et Piaget). Il présidera le GFEN à deux reprises (1932-1933 et 1937-1939) 2. À la Libération il sera, avec Henri Wallon, vice-prési- dent de la Commission de réforme de l’enseigne- ment présidée par Paul Langevin 3. Piéron, et en cela aussi il est toujours fidèle à Toulouse, a toujours manifesté une véritable foi en la science. C’est un positiviste. Non seulement la science, et la science seule, permettra les réformes sociales rationnelles et justes, mais elle est aussi un facteur puissant de rapprochement des hommes. Piéron note qu’il y a un mouvement vers l’unifi- cation des cultures et il pense qu’il faut l’encou- rager. « La première place dans cette œuvre d’uniformisation doit être donnée à la science. La science est vraiment quelque chose de commun à tous les hommes... et cela est vraiment la chose essentielle » (1932, p. 267). Aussi est-il scandalisé que l’on puisse, dès le début des années 1930, en Union soviétique, distinguer une science bour- geoise et une science prolétarienne. Il a toujours pensé que la science devait être indépendante des conditions sociales et des philosophies, et devait se tenir à l’écart (au-dessus) des luttes partisanes qui ne pouvaient que lui nuire. DE LA FIN DU XIXE SIÈCLE À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE Au début du siècle, les applications de la psycho- logie commencent à se développer (Reuchlin, 1971) et celles qui concernent l’OP sont fréquem- ment envisagées. Tous les psychologues qui construisent des tests, et presque tous les psycho- logues construisent des tests, envisagent leur appli- cation à l’OP. À son arrivée au laboratoire de Ville- juif, Piéron met au point, avec Vaschide et Toulouse, uploads/Science et Technologie/ bupsy-533-0363.pdf

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