Publications de l'Institut d'études et de recherches interethniques et intercul
Publications de l'Institut d'études et de recherches interethniques et interculturelles L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel Colette Guillaumin Citer ce document / Cite this document : Guillaumin Colette. L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel. Nice : Institut d'études et de recherches interethniques et interculturelles, 1972. pp. 3-247. (Publications de l'Institut d'études et de recherches interethniques et interculturelles, 2); https://www.persee.fr/doc/ierii_1764-8319_1972_mon_2_1 Fichier pdf généré le 22/05/2018 COLETTE GUILLAUMIN L'idéologie raciste genèse et langage actuel ,o S' NlG' MOUTON - PARIS - LA HAYE Diffusion en France par la Librairie Maloine S.A. Éditeur: Librairie de la Nouvelle Faculté Librairie Maloine S.A. 30, rue des Saints-Pères 8, rue Dupuytren Paris 7 Paris 6 Diffusion en dehors de la France : Mouton & Co P.O. Box 482 La Haye © 1972, Mouton & Co Les pages qui suivent ont été écrites au cours des années 1967-68. On comprendra donc le décalage, sensible, entre le ton de ce travail et celui communément adopté en ce domaine depuis 1968. Beaucoup de remarques qu'il avance sont devenues admises ou admissibles qui ne l'étaient pas alors ; on ne peut qu'en être réconforté. Mais nous sommes bien loin encore d'être lucides dans le domaine des relations dites raciales. Le retour, très prononcé depuis 1965-70, des conceptions biologistes dans l'analyse des faits sociaux n'est pas un symptôme propre à inspirer l'optimisme. On pourrait considérer ce retour comme un coup de théâtre si it blié t it l lidité d' idé l i é iè l Publications de l'Institut d'Études et de Recherches Interethniques et Interculturelles Préliminaires Pour l'opinion publique, la question du racisme se pose selon deux axes simples, d'une part l'existence d'une différence de « nature » entre des groupes humains et d'autre part l'exercice de l'hostilité entre ces différents groupes. Pour la recherche, il est évident que la question est plus complexe ; cependant ses présupposés centraux restent les mêmes et, tout en apportant au niveau des définitions du groupe et des causes de l'hostilité des nuances et des complexités importantes, elle a adopté la définition courante, prenant pour vérité en soi ce que le sens commun disait être le racisme. Elle a traité ce phénomène comme s'il se définissait totalement par l'agressivité entre groupes objectivement différents. L'étude du racisme suit alors des schémas fonctionnalistes, écono¬ miques ou psychologiques, soit au niveau individuel soit au niveau global, et les questions qu'elle se pose se résument dans les for¬ mules suivantes : « Pourquoi une société et ses membres sont-ils agressifs ? », « D'où vient cette agressivité ? », « Quels sont ses degrés ? » ; ou bien : « Existe-t-il des différences innées entre les différents groupes ? ». Mais elle ne se demande pas : « Qu'est-ce que la société X appelle une race ? » et « L'agressivité est-elle le définissant nécessaire et suffisant du racisme ? ». Le concept « race » se trouve être double, à la fois concept scientifique et notion de « bon sens ». Son emploi est insuffisam¬ ment défini dans les sciences humaines où il est utilisé avec le même sens et les mêmes valeurs que dans les sciences naturelles tout en s'appliquant à des manifestations sociales : les races concrètes y prennent figure d'objet réel de la structure sociale raciste. Or déterminer le sens réel du racisme c'est d'abord lever les ambiguïtés de la notion de race elle-même. Mais au problème du racisme, l'un des plus étudiés, l'un des plus brûlants du monde 2 Préliminaires actuel, s'attache un potentiel affectif très élevé, tel qu'il obscurcit la réflexion qui s'y applique : les questions posées par cet acte social qu'est le racisme sont profondément marquées par les motivations inconscientes de la conduite raciste elle-même. D'une façon ou d'une autre le problème raciste, lorsqu'il est analysé, est abordé en considérant la race selon le niveau de réalité que lui attribue consciemment la société qui le produit. C'est-à-dire que la race est considérée comme un objet concret intervenant comme facteur de l'acte raciste. D'où le consensus général de la recherche à donner une définition d'ordre biologique à la race.l Pourtant les différences somatiques, considérées comme « évi¬ dentes », renvoient à plus qu'elles-mêmes. Ce surcroît de signifi¬ cation, ce halo, peut permettre de tenter un examen conceptuel de la notion de race comme objet des sciences humaines et d'en donner une définition sociologique en quittant enfin le terrain biologique. Ces remarques ne tendent en rien à éliminer une définition de la race dans le domaine propre des sciences biolo¬ giques mais à attirer l'attention sur le manque de définition sociologique.2 Ce manque marque bien à notre avis l'organisation raciste de notre pensée, il est la conséquence de l'adoption sans critique que nous faisons du caractère biologique de la race en le transportant tel quel dans l'univers social sans rétablir la médiation du sens. Il est donc urgent de donner une perspective sociologique à ce qui est habituellement abordé comme un phénomène bio¬ logique ayant des conséquences sociologiques (ou bien comme la négation de cette « réalité biologique », ce qui est identique puis¬ que c'est situer le problème au même niveau de réalité).3 Cette dernière prise de position se convertit dans la pratique en tentative de ramener à la raison les acteurs sociaux du racisme en leur montrant qu'ils font erreur, qu'il n'y a pas de races et qu'ils doivent donc ne pas se conduire comme ils le font : raisonnement qui réintroduit dans la pratique sociale un racisme de type intellectuel en ce qu'il suppose que l'existence matérielle des 1. Cette définition peut être aussi bien positive que négative : soit confir¬ mant, soit niant, soit relativisant l'existence biologique des races. 2. Une définition sociologique de la race, contrairement à celle de la conduite raciste, n'a pas été donnée. 3. Cette négation a été longtemps l'attitude la plus courante de la recherche; actuellement, depuis la rencontre Unesco de Moscou (1964), la tendance se renverse au profit de l'admission de l'existence d'un facteur biologique réel de différenciation. Ce qui n'avance en rien la connaissance du problème. Préliminaires 3 races pourrait être la cause efficiente du mécanisme social. Ce paradoxe qui semble être à l'origine de certaines inadéquations et insuffisances de la lutte antiraciste nous presse de son côté de tenter une redéfinition du problème. On trouvera donc dans ce travail une histoire de ce qui constitue actuellement le poids et le sens de la notion de race telle qu'elle apparaît socialement. Ensuite, à la lumière des traits centraux de cette notion qui auront été mis en évidence, sera étudié le statut de ces traits dans notre société tels que les manifeste le langage banal. Sens et statut qui nous permettront un essai de définition sociologique de la race. La race n'y apparaîtra pas réalité biologique, mais plutôt forme biologique utilisée comme SIGNE. C'est sans doute de n'avoir pas séparé les deux niveaux, concret et symbolique, de la race dans l'étude du racisme qui a entraîné l'impasse de la recherche sur le racisme et les échecs relatifs de ses applications pratiques. On ne peut en sciences humaines traiter les races selon le niveau de réalité des sciences naturelles. Le mot de Husserl sur les races de harengs qui nous apprennent sur les races « tout ce qu'on sait sur la question quand la passion ne s'en mêle pas », est éclairant sur le mécanisme qui sous-tend notre approche de la question : d'une part on a étudié les races « concrètes », d'autre part on a étudié la passion et on a tenté de joindre les deux aspects. Acte impossible si l'on songe qu'on a alors oublié que l'objet des passions n'était pas à proprement parler la race concrète, mais un objet social à définir. On ne s'étonnera pas alors, dans une approche sociologique de la race et de ses connotations inconscientes, de voir figurer parmi les races mentionnées toutes les catégories institutionnelles revê¬ tues de la marque biologique, puisque cette marque, comme nous le verrons dans la première partie, est le critère fondamental de la notion de race. Ces catégories sont certes investies de la marque biologique selon des schémas différents, par exemple les aliénés le sont par le biais du constitutionnalisme, de la dégénérescence, des différences chromosomiques ; les femmes par celui de la différence anatomo-sexuelle, somatique et du potentiel chromo¬ somique ; les homosexuels par celui de la différence hormonale ; les ouvriers (le peuple) sont pour la droite, depuis la révolution et encore actuellement, de race différente. Les âges extrêmes de la vie eux-mêmes sont investis de différences biologiques tout en se trouvant dans une position relativement marginale quant à l'investissement affectif puisque chacun en parcourt le trajet. Ces 4 Préliminaires remarques sont nées peu à peu au cours de la recherche elle-même. Dans un premier stade, l'observation du langage courant était orientée sur l'objet « race » communément reconnu. Etait retenu tout ce qui se rapportait aux jaunes, aux juifs, aux nègres, bref à toutes les catégories explicitement dites raciales. Mais dès ce moment on pouvait uploads/Science et Technologie/ colette-guillaumin-l-x27-ideologie-raciste-genese-et-langage-actuel.pdf
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- Publié le Sep 20, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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